Alarmés
par l’hystérie antirusse qui s’empare aujourd’hui de
Washington, et par le spectre d’une nouvelle Guerre froide, un groupe
de vétérans des services de renseignements secrets des
Etats-Unis, dont l’un n’est autre que William Binney, ancien
crypto-mathématicien en chef de la NSA qui en mars 2012, un an avant
Edward Snowden, avait dénoncé les programmes d'espionnage de la
NSA, ont décidé d’envoyer la lettre ouverte ci-dessous,
datée du 30 août, à la chancelière allemande
Angela Merkel pour lui parler de la fiabilité des médias
américains et ukrainiens quant à la question de
l’invasion russe :
Via
AntiWar, Zerohedge et ConsortiumNews
:
MEMORANDUM
A DESTINATION DE:
Angela Merkel, chancelière d’Allemagne
EXPEDITEUR: Veteran Intelligence Professionals
for Sanity (VIPS)
SUJET: L’Ukraine et l’OTAN
Nous,
soussignés, sommes des vétérans des services de
renseignements américains. Nous avons pris la décision
inhabituelle de vous écrire cette lettre ouverte afin de nous assurer
à ce que vous puissiez vous faire une opinion libre de la question
avant le sommet de l’OTAN qui aura lieu les 4 et 5 septembre.
Vous devez par
exemple savoir que les chefs d’accusation concernant l’invasion
de l’Ukraine par les forces armées russes ne semblent pas
justifiés par les services secrets. Les preuves qui en ont
été avancées paraissent très similaires aux
excuses douteuses qui ont été utilisées il y a douze ans
pour justifier l’attaque de l’Irak par les Etats-Unis. Nous ne
disposions à l’époque d’aucune preuve de la
présence d’armes de destruction massive en Irak, et de disposons
aujourd’hui d’aucune preuve crédible d’une invasion
de l’Ukraine par la Russie. Il y a douze ans, l’ancien chancelier
allemand Gerhard Shroeder, qui n’avait pas confiance en la
fragilité des preuves avancées, a refusé de se joindre
à l’attaque contre l’Irak dirigée par les
Etats-Unis. De notre humble avis, vous devriez vous montrer tout aussi
suspicieuse face aux allégations faites par le Département
d’Etat américain et les officiels de l’OTAN concernant
l’attaque de l’Ukraine par la Russie.
Le
président Barack Obama a tenté hier d’apaiser la
rhétorique de ses propres diplomates et des sociétés
médiatiques, en décrivant publiquement la situation en Ukraine
comme une « continuité des évènements qui se sont
déroulés ces quelques dernier mois, qui ne constitue pas
vraiment de changement ».
Obama, en
revanche, n’a qu’un contrôle limité sur les
législateurs de son administration – qui, malheureusement,
n’ont une connaissance historique que très
développée, ne savent pas grand-chose de la guerre, et
substituent des invectives antirusses à une politique réelle.
Il y a un an, les officiels du Département d’Etat et leurs
acolytes des médias sont presque parvenus à persuader Mr. Obama
de lancer une attaque contre la Syrie pour des raisons encore une fois
basées sur des « renseignements » au mieux douteux.
En raison
principalement de la proéminence de ces renseignements et de la
confiance qui leur est aujourd’hui accordée, notre crainte de
voir les hostilités se répandre au-delà des
frontières de l’Ukraine n’a pu que grandir ces quelques
derniers jours. Plus encore, nous pensons qu’une telle situation puisse
être évitée, dépendamment du degré de
scepticisme dont d’autres dirigeants européens et
vous-même feront preuve lors du sommet de l’OTAN de la semaine
prochaine.
L’expérience
du mensonge
Vos
conseillers vous auront peut-être remémoré
l’historique de crédibilité du Secrétaire
général de l’OTAN, Anders Fogh. Il est de notre avis que
les discours de Rasmussen continuent d’être rédigés
par Washington, chose qui était claire à la veille de
l’invasion de l’Irak, dirigée par les Etats-Unis, alors
que le Premier ministre danois annonçait devant son Parlement :
« L’Irak dispose d’armes de destruction massive. Nous ne
faisons pas que le croire. Nous le savons ».
Si certaines
images peuvent valoir beaucoup plus que des mots, d’autres peuvent
décevoir. Nous avons collecté, analysé et
étudié toutes sortes d’images satellites, ainsi que
d’autres documents. Nous nous contenterons de dire que les images
publiées par l’OTAN le 28 août n’apportent
qu’une base fragile sur laquelle établir une répartie
contre la Russie. Elles sont très ressemblantes à celles
présentées par Colin Powell devant les Nations-Unies le 5
février 2003, des images qui elles-aussi ne prouvaient rien du tout.
Le même
jour, nous avons mis en garde le président Bush au sujet de nos
anciens collègues analystes, qui se montraient « de plus en plus
angoissés devant la politisation des services secrets », et lui
avons décrété sèchement que « la
présentation de Powell ne justifie en rien une guerre ». Nous
lui avons demandé d’élargir la discussion au-delà
de son cercle de conseillers qui clairement étaient en faveur
d’un conflit, puisque nous ne voyions aucun intérêt
à entrer en guerre, et que les conséquences d’un conflit
pourraient s’avérer catastrophiques.
Et voyez
à quoi ressemble l’Irak aujourd’hui. Il est dans une
situation plus que catastrophique. Bien que le président Poutine ait
jusqu’à présent fait preuve d’une certaine
réserve concernant le conflit en Ukraine, nous avons le devoir de nous
rappeler que la Russie aussi peut faire des vagues. De notre point de vue,
s’il y avait la moindre chance qu’une situation comme celle-ci
afflige l’Europe à cause de l’Ukraine, tous les chefs
d’Etat devraient y réfléchir attentivement.
Si les images
rendues publiques par les Etats-Unis et l’OTAN représentent leur
meilleure preuve d’une invasion de l’Ukraine par la Russie, il
devrait être clair que tous les efforts sont mis en place pour
fortifier les arguments contre la Russie à l’approche du sommet
de l’OTAN, chose qui pourrait grandement offenser la Russie. Caveat
emptor est une expression avec laquelle vous êtes sans doute
familière. Tout le monde devrait se montrer prudent devant les propos
de Mr. Rasmussen ou du Secrétaire d’Etat John Kerry.
Nous ne
doutons pas que vos conseillers vous ont informés de la crise
ukrainienne dès le début de l’année 2014, et du
fait que la possibilité de voir l’Ukraine devenir membre de
l’OTAN est un anathème du Kremlin. Selon un câble
daté du premier février 2008 (rendu public par WikiLeaks) et
envoyé par l’ambassade américaine à Moscou
à la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice,
l’ambassadeur américain William Burns aurait été
contacté par le Ministre russe des Affaires étrangères,
Sergey Lavrov, qui lui aurait fait part de son opposition à
l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN.
Lavrov aurait
parlé d’une « possibilité de voir le
problème diviser la nation en deux et entraîner des violences
voire, comme le pensent certains, des guerres civiles, qui forceraient la
Russie à intervenir ». Burns a donné à son câble
le titre « NYET MEANS NYET: RUSSIA’S NATO ENLARGEMENT REDLINES
» et l’a immédiatement envoyé à Washington.
Deux mois plus tard, à l’occasion du sommet de l’OTAN
à Bucarest, les membres de l’OTAN ont déclaré que
« la Géorgie et l’Ukraine » en deviendraient
bientôt membres.
Pas plus tard
qu’hier, le Premier ministre ukrainien, Arseny Yatsenyuk, a
décrété sur sa page Facebook que suite à
l’accord du Parlement qu’il avait lui-même requis, le
chemin vers une adhésion à l’OTAN est désormais
ouvert à l’Ukraine. Yatsenyuk était bien
évidemment le favori de Washington au poste de Premier ministre suite
au coup d’Etat du 22 février dernier à Kiev. «
C’est Yats qu’il nous faut », a annoncé la Secrétaire
d’Etat adjointe, Victoria Nuland, quelques semaines avant le coup, lors
d’une conversation téléphonique placée sur
écoute avec l’ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine, Geoffrey
Pyatt. Vous vous souviendrez certainement que c’est au cours de cette
même conversation que Nuland a décrété « Que
l’Union européenne aille se faire voir ».
Le minutage
de l’invasion russe
La
pensée conventionnelle promue par Kiev il y a encore quelques semaines
était que les forces ukrainiennes avaient la main sur le conflit qui
les opposaient aux fédéralistes anti-coups du sud-est du pays.
Mais cette vision de l’offensive ne semblait partagée que par
des sources officielles du gouvernement basées à Kiev. Les
rapports originaires du sud-est de l’Ukraine étaient très
peu nombreux. Il y en a en revanche eu un, citant le président
ukrainien Petro Poroshenko, qui est venu remettre en question la
fiabilité des rapports du gouvernement.
Selon les
« services de presse du président ukrainien », Poroshenko
aurait demandé le 18 août dernier un « regroupement des
unités militaires ukrainiennes impliquées dans les
opérations à l’est du pays… Nous avons
aujourd’hui besoin de réarranger nos forces afin qu’elles
puissent défendre notre territoire et poursuivre leurs offensives.
Dans les circonstances présentes, il nous faut considérer une
nouvelle opération militaire ».
Si par «
circonstances présentes », il voulait dire
l’avancée des forces ukrainiennes, pourquoi demanderait-il un
regroupement de ses troupes ? Les sources déployées sur le
terrain ont reporté une série d’attaques à
succès portées par les fédéralistes contre les
forces du gouvernement. Selon ces mêmes sources, c’est
l’armée du gouvernement qui aurait enregistré le plus de
pertes et aurait été forcée de reculer, notamment pour
des raisons d’inaptitude et de mauvais commandement.
Dix jours plus
tard, alors que les forces gouvernementales se retrouvaient encerclées
et ont dû reculer, on nous a parlé d’une « invasion
de l’Ukraine par les Russes ». C’est à ce moment
précis que l’OTAN a publié ses images, et que des
journalistes comme Michal Gordon, du New York Times, ont commencé
à parler de « l’arrivée des Russes » (Michal
Gordon était l’un des plus grands propagandistes de la guerre en
Irak).
Pas
d’invasion – mais un soutien de la Russie
Les
fédéralistes du sud-est de l’Ukraine profitent d’un
soutien local considérable, en conséquence notamment des
attaques menées par les forces du gouvernement contre des centres
urbains. Nous pensons que la Russie leur a également apporté
son support, en leur faisant part notamment ses excellentes connaissances en
matière de tactique de combat. Mais la possibilité que ce
soutien implique aussi des chars et de l’artillerie est loin
d’être déterminée – notamment parce que les
fédéralistes sont jusqu’à présent parvenus
à être mieux organisés que les forces gouvernementales et
à les repousser.
Il ne fait
aucun doute que, lorsque les fédéralistes en éprouveront
le besoin, des chars russes leur seront fournis.
Et c’est
précisément la raison pour laquelle la situation
nécessite un effort de cessez-le-feu, que Kiev a jusqu’à
présent tenté de repousser. Que faut-il faire aujourd’hui
? De notre point de vue, Poroshenko et Yatsenyuk doivent être
prévenus du fait que l’adhésion de leur pays à l’OTAN
n’est pas envisageable – et que l’OTAN n’a aucune
intention de financer une guerre contre la Russie et n’apporte pas son
soutien à l’armée indisciplinée du gouvernement
ukrainien. D’autres membres de l’OTAN auraient besoin
d’entendre la même chose.
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