Le puits de l’oubli fait des
heures supplémentaires dans l’esprit du temps. Des choses se passent, et une
semaine plus tard, elles ne se passent déjà plus – c’est du moins ce que voudraient
nous faire croire la une du New York Times ou les battements de mâchoires
d’Anderson Cooper sur CNN.
Vous souvenez-vous de l'avion
commercial de Malaysia Airlines qui a été abattu en juillet en Ukraine avec
283 personnes à son bord ? Les officiels du gouvernement américain ont
fait des pieds et des mains pour en faire porter le blâme aux séparatistes
russes. Le problème était simplement qu’ils n’en avaient aucune preuve, et
que leurs efforts ont fini par tourner au ridicule (les Etats-Unis ont eu
l’air ridicule). La dernière fois que nous en avons entendu parler, deux jets
des forces armées ukrainiennes auraient été à sa poursuite, et des points
d’entrée et de sortie de missiles auraient été observés dans la cabine du
pilote. Les communications entre l’équipage et les contrôleurs de la
circulation aérienne ont été mis à la poubelle aux Pays-Bas et n’ont jamais
été rendus publics. L’affaire s’est évaporée, à la manière du légendaire D.B.
Cooper – vous souvenez-vous de lui ? – pour ne plus refaire surface.
Vous rappelez-vous du
déclenchement d’une troisième guerre mondiale en Ukraine il y a trois
semaines ? Les Etats-Unis tentaient – vigoureusement – de promouvoir
l’idée d’une invasion russe – sans pour autant apporter de preuves de
l’avancée des troupes russes. Et les choses ont mal tourné. Tout cela s’est
passé, notons-le, parce que les Etats-Unis étaient déterminés à faire de
l’Ukraine un membre de l’OTAN, contrairement aux accords qui ont été
explicitement faits avec la Russie suite à l’effondrement de l’Union
soviétique, et selon lesquels l’OTAN ne devait pas s’étendre vers l’est. Il
se trouve qu’il n’y ait une aucune invasion russe, et que le Département
d’Etat américain et la Maison blanche se sont retrouvés à essayer de vendre
un argument que personne ne voulait acheter.
Vous souvenez-vous de ce qui
s’est passé le mois dernier à Ferguson, dans le Missouri ? Un ado assez
imposant a été abattu par un policier du nom de Darren Wilson. Les quartiers
mal famés de Saint Louis ont été secoués par des mouvements de protestation
qui ont laissé place à des pillages et à la violence. Don Lemon ne parlait
plus que de ça sur CNN. Et puis des vidéos et une photo ont été rendues
publiques. Michael Brown avait volé des cigares… Michael Brown a aussi posé,
liasse de dollars à la bouche, en possession d’un semi-automatique et d’une
bouteille de vodka. Peut-être n’était-il pas le doux agneau dont on nous
parlait. Et n’oublions pas les os brisés du visage du policier. Fin des
protestations. Fin de l’histoire.
Des troubles ont aussi eu lieu
à Gaza. Le Hamas a lancé des missiles sur Israël, et Israël a répondu
agressivement pour mettre fin à ces attaques. Les missiles ont finalement
cessé de pleuvoir. Dans les médias, rien n’a jamais suggéré qu’il y ait eu là
une relation de cause à effet. Tout ce qu’ont fait les médias a été de tenter
de rationaliser le lancement de missiles par le Hamas. Et les conséquences
parlent d’elles-mêmes. Je suis sûr que très peu se souviendront bientôt que
la situation a dégénéré suite au lancement de ces missiles.
Vous souvenez-vous du défaut
de paiement de l’Argentine ? Cette affaire a donné lieu à une série
d’affabulations peu conclusives. L’International Swaps and Derivatives
Association (ISDA) a parlé d’évènement de crédit, et fait trébucher les swaps
de crédit pour ces obligations. Certaines d’entre elles n’ont pas pu être
retrouvées… mais quelle importance. Les machinations qui concernent cette
affaire sont bien évidemment absconses, et tout le monde refuse de voir que
ces swaps de défaut de crédit ont été générés, parce que cela provoquerait
une majestueuse chaine de défaut de contreparties que les Dieux de l’Olympe
eux même auraient intérêt à regarder si ce l’argent se trouvant sur leur
compte en banque ne risquerait pas une confiscation à la Chypriote.
C’est la vie, comme le disait
le grand Vonnegut. Toutes ces affaires ont quelque chose en commun : des
questions restent sans réponses, et les médias ne semblent pas s’y
intéresser. Absence totale de conséquences. Des gens meurent, des nations
montent en puissance et s’effondrent, de l’argent disparaît, et tout le monde
oublie. Il ne peut pas s’agir là que des retombées grotesques de l’âge de
l’information – bien que les conséquences de l’informatisation pourraient
être terribles. Le puits de l’oubli est la marque de notre temps : l’Âge
où tout peut arriver et où rien n’a d’importance.
Tout cela pourrait encore
changer à l'heure même où j’écris ces lignes. L’Âge des conséquences approche
plus silencieusement qu’un chat. (voir Steve Ludlum, de chez
Economic-Undertow.com, pour plus de détails).