La cacophonie qui résonne à
Wall Street depuis déjà six ans fait retentir à nos oreilles que depuis la
mise en place des taux d’intérêts à zéro pourcent, rien ne vaut mieux pour
placer notre épargne que le marché des actions. Pour beaucoup, il n’importe
que très peu que le ratio de la capitalisation boursière totale par rapport
au PIB, - soit de 125%-, soit de 15 pourcents supérieur à son niveau de 2007,
son pourcentage le plus élevé depuis la bulle sur la technologie qui a marqué
le début du siècle. Les rendements des dettes souveraines atteignent des
records à la baisse sur toute la planète, et la stratégie employée par une
majorité d’investisseurs est d’ignorer la croissance anémique de l’économie
et de continuer d’investir leur argent sur le marché, simplement parce qu’il
n’y a aucune autre alternative.
Mais l’épicentre du séisme qui
se présente sur les marchés sera le marché des changes. Le dollar grimpe
depuis mai du fait du consensus selon lequel la Fed devrait mettre fin au QE et
autoriser une hausse des taux d’intérêts en 2015. Le Japon et l’Union
européenne se dirigent dans une direction diamétralement opposée. La Banque
du Japon a accéléré son programme de QE, et la BCE a annoncé la semaine
dernière que son propre programme d’achat d’obligations commencerait en
octobre. Le dollar a déjà gagné 5% sur le DXY depuis quatre mois, et une
hausse continuelle de la valeur du dollar finira par causer du tort au
chiffre d’affaire reporté par les corporations américaines. Cette force
déflationniste est l’une des raisons pour lesquelles les prix des actions
devront tôt ou tard traverser une phase de correction.
Mais ce qui est encore plus
probable est de voir se développer un véritable renversement des fortunes
établies en dollars. Comme je l’ai déjà dit auparavant, à Wall Street,
presque tout le monde est convaincu que la Fed fera grimper les taux dès
l’année prochaine. Et maintenant que la BCE et la Banque du Japon se sont
lancées dans des programmes de QE, que peuvent-elles faire de plus pour
dévaluer davantage leurs devises ? Avec des obligations sur dix ans qui
rapportent seulement .93% en Allemagne et .50% au Japon, ces banques
centrales peuvent-elles réellement continuer de nous faire croire que le taux
d’emprunt demeure trop élevé pour laisser place à une croissance du
PIB ?
Si une croissance robuste du
PIB des Etats-Unis ne se manifeste pas cette année, comme elle a manqué de le
faire depuis la fin de la Grande récession, le dollar subira de lourdes
pressions. En réalité, le PIB réel n’est pas passé au-delà des 2,5% depuis
2006. Avec la fin de ses achats d’obligations par la Fed et un reste du monde
au bord de la récession, il est difficile de s’imaginer que cette année
marquera une exception à la règle – la croissance du PIB des Etats-Unis
s’élève à 1% pour les six premiers mois de cette année.
Si le marché venait à
s’imaginer que la Fed ne pourra pas redresser les taux d’intérêts l’année
prochaine et pourrait être forcée de relancer son programme de QE en raison
d’une paralysie de l’économie des Etats-Unis, un renversement du carry trade du yen se produirait inévitablement. Les
institutions financières ont emprunté des yens à près de zéro pourcent et investi
sur les marchés américains des actions et des obligations. Puisque les
rendements sont plus élevés aux Etats-Unis et que la direction du yen ne peut
aujourd’hui être qu’à la baisse au vu de l’intervention continue de la Banque
du Japon, ce trade a jusqu’à présent été
gagnant-gagnant. En revanche, si le dollar renversait sa course, nous
verrions se développer une ruée des vendeurs de dollars vers une porte de
sortie de plus en plus étroite, pour chercher à vendre des actions et
obligations surévaluées afin de racheter des yens.
La volatilité des devises est
l’un des effets destructeurs qui résultent de cette manipulation sans
précédent des taux d’intérêts par les banquiers centraux du monde. La fin du
carry trade du yen est un facteur qui pourrait enterrer
la notion selon laquelle les prix des actions ne peuvent chuter tant que la
Fed adopte des taux à zéro pourcent.
Bien entendu, la vente des
actions ne représenterait qu’un léger tremblement avant un séisme bien plus
important – qui se prouverait dévastateur pour les actions comme les
obligations. Ce séisme dont je parle est l’effondrement synchronisé des prix
des dettes souveraines du monde.
Le marché libre fonctionne à
la manière de la tectonique des plaques. Le déplacement des continents cause
des frictions dans la lithosphère de la Terre. Le glissement des plaques
engendre des séismes, qui sont une manière pour la nature de se débarrasser
de pressions accumulées. De petits tremblements tendent à empêcher de plus
importants de se produire en se débarrassant d’un peu de cette pression. De
la même manière, les dépressions et les récessions soulagent les
déséquilibres des bulles sur les actifs et sur les actions qui se développent
dans l’économie. Tenter de prévenir de petits tremblements et des récessions
mineures ne peut que nous mener à la catastrophe.
Les banques centrales ont
empêché la récession de guérir nos maux en 2008 en prenant le contrôle du
marché des dettes souveraines. Aujourd’hui, en Europe, au Japon et aux
Etats-Unis, les taux de rendements sont au plus bas. Des rendements très bas
devraient être la conséquence d’une baisse des ratios dette/PIB et de la
réduction des bilans des banques centrales en vue de limiter l’inflation.
Mais c’est aujourd’hui tout le
contraire. La dette nationale américaine a augmenté de 8,6 trillions de
dollars depuis 2008, et le ratio dette/PIB a augmenté de 64% pour passer à
105% sur la période. En plus de cela, les bilans de la Fed ont augmenté de
800 milliards de dollars pour passer à 4,4 trillions de dollars depuis 2008.
La qualité du crédit a donc été détériorée dans le même temps que les dangers
de l’inflation ont augmenté en raison de la croissance de la masse monétaire.
A moins que l’économie ne flirte avec une dépression déflationniste, les taux
d’intérêts devraient être bien supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui.
Les banquiers centraux
devraient un jour parvenir à atteindre leur objectif d’inflation de plus de
2%. Mais ceux qui impriment la monnaie ne peuvent pas déterminer un objectif
d’inflation et l’atteindre avec exactitude. Il y a des chances que
l’inflation soit supérieure à leurs objectifs. Le choix difficile qui se
présenterait alors serait de laisser l’inflation devenir hors-de-contrôle ou
de forcer la vente d’obligations. Cela signifie que les banques centrales
devraient passer du rôle d’acheteurs de dettes souveraines à celui de
vendeurs d’obligations. Dans un tel scénario, les taux d’intérêts seraient
non seulement positifs, ils éclipseraient leur niveau actuel d’un degré
important.
Pour ce qui est du Japon, les
obligations sur dix ans ont enregistré un rendement moyen de 3% entre 1984 et
2014. Une hausse des rendements de .50 à plus de 3% pourrait générer une
explosion des dépenses sur la dette souveraine qui dévasterait l’économie
toute entière. Le même scénario est applicable aux Etats-Unis et à l’Europe.
Si les banques centrales ne
parvenaient pas à générer croissance et inflation, alors le malaise
économique qui end écoulerait pousserait de nombreux détenteurs d’obligations
à perdre confiance en la capacité du gouvernement à s’assurer à ce que les
remboursements de dette ne dépassent pas les recettes fiscales de leur pays.
C’est exactement ce qu’il s’est passé en Europe en 2010-12. Une fois qu’un
marché est convaincu qu’une nation ne peut pas rembourser sa dette en termes
réels, la valeur de cette dette diminue.
C’est ultimement cette crise
qui nous attend de l’autre côté de la distorsion sans précédent des
rendements de obligations. C’est pourquoi le ralliement sur le marché des
actions se terminera suite à un séisme qui fera ressembler les évènements de
2008 à une simple secousse.