L’Écotaxe n’en finit pas de renaître. Il y a quelques jours, le conseil municipal de Paris s’entourait de mille et une précautions pour ne pas éveiller le moindre soupçon qu’une nouvelle dégelée de ponctions allait s’abattre sur le contribuables parisien et avouait, à mots choisis, que cette taxe, destinée à frapper (d’abord) les transports routiers de marchandises, serait de toute façon mise en place au début de l’année 2015, qu’on le veuille ou non, circulez, y’a rien à voir et tout à taxer.
Et effectivement, comme prévu, la lente progression administrative vers le flicage automatisé de toutes les routes de France continue, camouflé en droit de passage des méchants camions étrangers qui viennent jusque dans nos bras abîmer nos routes de campagne, aux armes citoyens et tout le tralala. Et quoi de mieux pour camoufler le camouflage qu’envelopper tout ça dans l’épais papier coloré d’un écologisme de bon aloi ?
C’est exactement ce à quoi s’emploie Ségolène Royal avec sa Ségotaxe. Las. Cette nouvelle ponction ne passe vraiment pas. Malgré toute la bonne volonté dont pourrait faire preuve le ministre de l’Écologie et des Punitions Environnementales pour mettre en place une ponction supplémentaire sans déclencher de cris, le contribuable ponctionné commence à émettre des grognements de plus en plus audibles : l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) réclame ainsi l’abandon pur et simple du projet de péage de transit poids-lourds (cette fameuse écotaxe qui ne ferait pas de mal à une mouche, n’aboutira jamais à un contrôle routier supplémentaire et ne sera promis juré craché jamais adapté pour les véhicules particuliers). Et histoire de bien faire comprendre que les routiers, jadis sympas, en ont assez de se faire rouler dessus, ils ont déposé un ultimatum et laissé au gouvernement jusqu’au 15 octobre pour revenir sur la nouvelle taxe.
Immédiatement, notre ministre, sentant sans doute que l’affaire prenait une tournure délicate, a rapidement tenté de calmer le jeu, avec une déclaration des plus limpides, sans aucun doute apte à apaiser les plus vindicatifs :
« Il faut se calmer un petit peu parce que les circuits qui relèvent de ce péage de transit ont été considérablement réduits. »
Les circuits ont été considérablement réduits. Les klaxibules ont été renforcés. Les rotabidons seront parallélisés. Tout va bien.
Autrement dit, vous serez toujours ponctionné, mais sur une distance plus courte. Et tout ça sans renoncer ni au principe, ni au calendrier. Voilà qui doit mettre en joie, non ? Ce n’est pas clair, et c’est sans doute dû à la confusion dans laquelle s’ébroue péniblement Ségolène Royal. En effet, l’Écotaxe l’embarrasse de plus en plus, qui est contrainte à gérer un dossier qu’elle ne maîtrise pas, et dont elle a hérité tant de la précédente majorité (qui l’a initiée) que du gouvernement Ayrault qui lui trouvait suffisamment d’avantages pour la laisser en place (ou trop d’inconvénients à l’abandonner, au choix). Et paradoxalement, elle ne peut revenir en arrière sans dénoncer le principe même de pollueur-payeur dans lequel son action politique s’inscrit, sauf à devoir jongler avec un comportement schizophrénique trouvant nul l’installation de portiques dans le paysage français, mais louant tout de même l’idée d’aller tabasser de taxes les camions en transit.
Cette confusion promet, au moins pendant quelques jours, de laisser perplexe les différents acteurs de ce drame fiscal qui se met gentiment en place. Passé ce délai, on risque en revanche de voir les uns et les autres s’agiter.
Pour les des taxés, il apparaît de plus en plus clair que les choses ne se passeront pas toutes seules. Il faudra attendre le 17 octobre pour voir si l’ultimatum est suivi d’effet, d’autant qu’on peut parier sans risque que le gouvernement ne va pas lâcher du lest tout de suite. Mais si, d’aventure, nos amis camionneurs se décident à bloquer les routes, la situation pourrait bien échapper rapidement à tout contrôle. En effet, à l’instar des agriculteurs, les camionneurs font partie de ces populations qui ont largement démontré ces dernières décennies leur capacité à se mobiliser et faire connaître leurs griefs de façon musclée. Or, la même Écotaxe a réussi, à la fin de l’année dernière, a mobiliser de façon durable les Bonnets Rouges bretons, excédés de voir pousser ces étranges portiques, et qui détruisirent proprement ce que l’envahisseur bobo-parisien écolo-compatible tentait de faire passer pour une mesure idoine afin de réduire la pollution.
Au passage, ce genre de mécontentement populaire et démonstratif est assez mal géré par la gauche qui, d’habitude, est plutôt du côté de ceux qui manifestent. La presse avait d’ailleurs fait un fier travail de diabolisation des révoltés fiscaux sans parvenir à convaincre qu’ils n’étaient qu’un ramassis de patrons et de bourgeois tentant une jacquerie mal à propos. Le bilan, on s’en souvient, avait été une reculade du gouvernement, montrant bien que la question était bien plus épineuse qu’il n’y paraissait au premier regard.
En réalité, Ségolène Royal traîne son Écotaxe comme un boulet encombrant et doit avoir perçu que la moindre fausse manœuvre risquait d’entamer franchement ce consentement à l’impôt qui semble de plus en plus fragile dans le pays : depuis la rentrée de septembre, la nervosité grandit autour des bâtiments publics dédiés à la tonte fiscale, et on compte déjà quatre incendies de ces locaux pompeusement rebaptisés « Centre des impôts ».
Cette nervosité, visible chez les imposés, commence à se voir aussi chez le personnel imposant, au point que la presse s’en fasse le timide relais.
Oh, bien sûr, il serait plus que prématuré de s’imaginer voir plus, ici, qu’une petite série d’agacements locaux, et il reste encore assez peu probable que tout ceci s’aggrave, tant les ventres sont pleins et les têtes occupées avec les calembredaines télévisuelles et gouvernementales. Mais il n’y a pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour comprendre ce que pourrait entraîner un mouvement de camionneurs excédés, bloquant de grands axes routiers, pendant plusieurs jours, et réclamant bruyamment l’abandon d’une taxe : la multiplication des revendications sectorielles, des expressions plus ou moins vives de ras-le-bol fiscal, et, pourquoi pas, la cristallisation de l’un ou l’autre mouvement de refus de payer un impôt devenu trop lourd et dont on peine franchement à voir où il passe.
Et du point de vue gouvernemental, s’il y a bien quelque chose qu’il ne faudrait surtout pas attraper maintenant, c’est une fiscalite aigüe, cette maladie grave d’un pays en faillite dont le peuple décide, du jour au lendemain, qu’il va chercher son bonheur ailleurs que dans une feuille d’impôt, aussi écoconsciente, citoyenne et festive soit-elle. Ce genre de maladies serait problématique à plus d’un titre : d’une part, cela accroîtrait les difficultés de bouclage d’un budget devenu un véritable casse-tête (bisous Sapin, hat tip Moscovici). D’autre part, cela montrerait au monde entier que la capacité de l’État français à recouvrer l’impôt, ce qui lui permet actuellement de rembourser sa dette, serait brutalement amoindrie. S’en suivrait probablement une longue spirale de gros soucis baveux, depuis la hausse des taux jusqu’à la fuite des investisseurs, en passant par les gros yeux de la Commission Européenne et de nos partenaires de l’Union.
Autrement dit, si jamais les petites tensions observées devaient cristalliser, avec ou sans l’aide de camionneurs, vous pouvez parier que la nervosité du gouvernement tournerait rapidement à la panique, bien mauvaise conseillère. Fiscalement, les prochains mois promettent d’être … intéressants.
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