Alléluia, gloria in excelsis déhooooOooo ! Le gouvernement, touché par la grâce divine ou, plus probablement, subtilement aiguillonné par une conjoncture pas facile-facile, se sera décidé à émettre enfin des propositions que d’aucuns pourraient qualifier, si on les regarde vite fait, de bonnes pour le pays voire (soyons fous, soyons troll) carrément libérales.
Oui, je sais, lire ceci, ici, le matin, cela peut choquer. Mais c’est tellement surprenant, que voulez-vous, qu’il n’est plus temps de mettre des gants. Jugez plutôt de la révolution culturelle, voire, littéralement, du grand bond en avant que nous offre le grand timonier président de la république, ou, plus précisément, sa trouvaille ministérielle, Emmanuel Macron. En l’espace de quelques heures, voilà en effet qu’il nous offre une véritable salve de renouveau flamboyant, d’espoir vibrant et de changement économique paradigmatique qui permet, d’un seul coup, de sortir toute une panoplie de mots complexes et enthousiasmants dans un petit billet rebondissant.
Ainsi, pif, paf, pouf, Macron propose dans son joli projet de loi d’autoriser le travail du dimanche, pour 5 à 12 dimanches par an. Bon, bien sûr, lorsqu’on regarde les petites lignes fines écrites en bas de la proposition, il s’agit d’un petit assouplissement des règles en vigueur, et on est encore très loin d’une réelle liberté d’ouvrir ou pas le dimanche, décidée par le propriétaire d’un magasin. Et puis, oups, il va falloir doubler le salaire des gens qui travailleront ces dimanches-là, ce qui, pour les zones touristiques où le travail le dimanche était déjà de mise et le salaire pas doublé, risque d’aboutir à des petits soucis (rentabilité, licenciements ?)… Mais allons, allons, tout ça, ce sont des petits détails, c’est toujours bon à prendre, et, ne boudons pas notre plaisir, cela va certainement permettre à quelques magasins d’engranger quelques recettes, qui, ne l’oublions pas, se traduira probablement par quelques rentrées fiscales supplémentaires.
Ainsi, tic, tac, toc, Macron explique que, bientôt, une fois son projet de loi passé, dans quelques mois, tout au plus, très vite, youpi, disons un peu après décembre, les pharmacies et les études d’avocats ou de notaires pourront ouvrir leur capital à d’autres professionnels du même secteur (parce qu’ouvrir à n’importe qui, ce serait faire n’importe quoi et on sait déjà que ces professionnels sont très très contre – et puis ce serait dommage de « financiariser le secteur »). Bon, à l’évidence, cela ne risque pas trop de créer subitement de nouvelles pharmacies, de nouvelles études ou une baisse des prix, mais ce sera tout de même une ouverture, une liberté supplémentaire et ce serait dommage de ne pas envoyer une volée de petits bisous dans la direction de Macron qui fait des efforts, le brave petit. Et puis accessoirement, ces ouvertures, ça fait des mouvements capitalistiques, et on peut parier que grâce à ceux-ci, on aura quelques rentrées fiscales supplémentaires.
Ainsi, plic, plac, ploc, Macron a trouvé un moyen pour que les pauvres, qui n’étaient pas assez riches pour faire des voyages, puissent découvrir le monde et aller être pauvre ailleurs que dans leurs villages, dans leurs villes ou dans leurs campagnes, en multipliant les lignes d’autocar dans le pays. Et si l’on passe sur, justement, les termes utilisés pour communiquer son ébouriffante trouvaille (et qui, il faut bien le dire, introduisent de sérieux doute sur les capacités du petit Emmanuel a bien maîtriser, justement, l’exercice communicationnel dans lequel il s’est vaillamment lancé), on constate qu’il touche du doigt une vérité connue depuis longtemps des libéraux, à savoir que les lignes de car, en France, sont complètement noyautées par … la SNCF qui dispose d’un quasi-monopole, et en profite d’ailleurs assez largement. Bon, bien sûr, il ne s’agit pas ici de toucher à l’indéboulonnable dogme des bus et des liaisons de moins de 200 km (pas fou, le Macron), mais toute libéralisation de ce secteur sera fort bien venue, permettant ainsi de redonner un peu de dynamisme à certains territoires au maillage trop large, en réintroduisant ainsi une goutte de concurrence dans un secteur passablement verrouillé. En plus, outre les éventuelles créations d’emplois que ceci peut entraîner, on peut parier sur quelques rentrées fiscales supplémentaires.
Ainsi, bim, bam, boum, Macron nous prévient que l’État va céder pour 5 à 10 milliards d’euro de participations dans différentes sociétés dont il est actionnaire. Que voilà une excellente nouvelle qui va à l’évidence diminuer la part de celui-ci dans les participations diverses et variées qu’il a pu prendre au cours des années et qui ne se sont pas toujours traduites par des choix judicieux en matière de développement. Bon, certes, compte-tenu des volumes, il faudra sans doute attendre le moment propice pour vendre tout ça et éviter de le faire au moment où les Bourses se cassent la figure, mais je fais confiance à notre petit parvenu de chez Rotschild pour bien calibrer son timing. Quant à l’utilisation des fonds, qui ne seront pas entièrement consacrés à rembourser une dette pourtant colossale et en grande partie dirigés à des « investissements » (embauche de fonctionnaires, nouveaux chantiers bidons ?), on est en droit de se facepalmer doucement la tête, mais cela ne doit pas nous faire oublier que ces ventes se traduiront probablement par quelques rentrées fiscales supplémentaires, non ?
Au passage et pendant ce temps, le patron de Macron, qui a tout compris, continue avec sa finesse d’analyse coutumière, à proposer d’intelligents aménagements des taxes qui existent déjà, par exemple en élargissant la redevance audiovisuelle au-delà de la télé pour inclure les supports numériques (tablettes, ordinateurs, téléphones) de plus en plus en usage pour les diffusions de contenus. Bien sûr, en terme de popularité, c’est assez nul, mais on peut peut-être espérer quelques rentrées fiscales supplémentaires, non ?
Tout cela est décidément bel et bon.
Seulement voilà, il y a tout de même quelques éléments qui incitent à la prudence. Oh, certes, Macron semble ici distribuer des bonnes idées pleines de promesses. Oh, certes, les propositions aboutiraient bien à augmenter, enfin, la liberté des uns et des autres. Après des années de restrictions, on peut imaginer que c’est un mieux.
Mais voilà. D’un autre côté, je l’ai dit, je le répète ici : les dépenses de l’état et des collectivités territoriales ne diminuent pas d’un cachou. Elles augmentent. En fait, pour les collectivités, elles explosent même. Et toutes ces belles déclarations de Macron sont des propositions qui s’inscrivent dans un projet de loi, qui sera discuté en décembre à l’Assemblée nationale, où tout peut arriver, y compris et à commencer par des amendements subtils et castrateurs qui pourraient bien transformer tout ceci en petite soupe clairette et sans intérêt.
Mais surtout, ces propositions, aussi intéressantes soient-elles, restent extrêmement timides et orientées d’un seul coté du problème budgétaire français.
Timides, parce que, mises bout à bout, elles ne représentent finalement que quelques leviers de croissance légers, des aménagements, des petits bricolages sympathiques mais très loin d’être décisifs pour redresser l’économie du pays. Pour envisager un véritable effet, il faudrait plusieurs douzaines de ces propositions, ce qui accroîtrait d’autant le risque d’une crise parlementaire majeure. Procéder à petit pas est probablement indispensable compte tenu de la sclérose intense du pays, mais si les pas sont trop petits, on a surtout l’impression de faire du surplace, et le risque de s’affaler ne diminue pas.
Et malheureusement, ces propositions sont exclusivement poussées du côté des recettes : nos élites ont, bien évidemment, compris que le déficit budgétaire chronique français risquait de causer d’importants problèmes, suffisamment importants pour mettre en péril le gouvernement voire la réélection de François en 2017 (c’est probablement la seule raison qui les pousse à agir). Mais delà à s’attaquer aux dépenses, il y a un pas, bien trop grand, que nos petits trottineurs en pantoufles n’oseront jamais faire. Autrement dit, ne pouvant toucher aux dépenses, les vannes à pognon public étant coincées et ouvertes à fond, on accroît les recettes : on laisse un peu de mou à la vache à lait de contribuable pour qu’elle puisse brouter un peu plus loin que prévu, mais on n’a toujours pas lâché la bride. Et la traite, vigoureuse, continue, toujours au même rythme, toujours plus forte que ce que l’animal est capable de produire.
Quant à Macron, on peut peut-être se dire qu’il entend ainsi préparer l’opinion et surtout ses collègues socialistes à des réformes d’ampleur mais on voit surtout que ces réformes ne seront faisables que tant que tiendra le soutien populaire ; dès qu’il faudra faire mal (et si on parle de réformes d’ampleur, il faudra faire mal), le soutien s’évaporera, et l’opinion publique grondera (les médias y veilleront). Le gouvernement sera alors en délicatesse. Hollande le dissoudra, se débarrassant d’un Macron impopulaire et d’un Valls devenu trop encombrant, après un grillage médiatique à cœur, juste avant les élections.
Tout ceci est malheureusement un peu trop prévisible. Macron, placé dans cette position exactement pour ça, fait donc son travail et propose, docilement, quelques réformes sympathiques qui donnent un peu de crédibilité aux couinements gouvernementaux sur l’air du « On va réformer », indispensable à apaiser Bruxelles et les financiers. Lorsqu’ensuite, on verra que ces micro-ajustements n’arrivent pas (surprise !) à couvrir les 80 milliards de déficits, on en viendra comme par hasard à la conclusion que libéraliser, déréguler, autoriser, tout ça, ça ne marche pas fort. On le comprend : tant que le pays ne sera pas au pied du mur, les vraie réformes attendront, et la taille de l’État ne diminuera pas.
Décidément, le libéralisme, c’est pas maintenant.
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