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Un livre,
sorti en librairie depuis quelques mois – Développer les
entreprises patrimoniales, un défi pour les héritiers et les
managers
– comporte quelques pépites que je ne peux garder pour moi.
Permettez donc que je vous les livre.
Tout
d’abord, quelques mots sur le propos général de
l’ouvrage. Les auteurs – Sylvain Gariel et Gauthier Lherbier
– ont cherché à mieux comprendre les entreprises
patrimoniales, définies par la Commission européenne comme
« des entreprises majoritairement contrôlées par une
ou plusieurs familles, dont l’un des membres est impliqué dans
le management ». Très vite, ils s’aperçoivent
que les données chiffrées sur ces entreprises n’existent
pas. L’INSEE ne produit pas de statistiques sur cette catégorie
de sociétés.
Leurs
recherches amènent tout de même les deux auteurs à une
estimation : les entreprise patrimoniales représentent 80 % des sociétés en
France (84 % des PME, 47 % des ETI, 23 % des grandes
entreprises), emploient 50 % de la population active et versent
70 % de l’impôt sur les sociétés. Cela mérite
tout de même un peu d’attention.
Pour la
recherche universitaire, les entreprises familiales ne sont pas un sujet
d’importance : 11 publications académiques leur sont
consacrées en France en 2012, contre 37 en Allemagne.
Les
entreprises patrimoniales ne semblent pas non plus intéresser les
politiques. Gariel et Lherbier ont noté que pour un ancien ministre du
Travail, « il fallait distinguer les vrais entrepreneurs, ceux qui
ont pris des risques, de ceux qui ont hérité de
papa-maman ». Selon un député, « le pacte
Dutreil est l’une des niches fiscales les plus scandaleuses : elle
favorise le capitalisme de rentier, d’héritier, marque de
fabrique du capitalisme français ». Ou bien, c’est un
des conseillers d’Arnaud Montebourg, l’ancien ministre de
l’Économie, qui s’en prend, dans un ouvrage, à
« l’inefficacité de l’héritier
manager », « responsable du climat
délétère dans les entreprises
françaises ». N’en jetez plus, la coupe est pleine.
Cette
méconnaissance des entreprises familiales, et cette hostilité
envers les héritiers influent sur la transmission des entreprises, et
donc sur leur pérennité. Selon une étude menée en
2010 par la Commission européenne, le taux de transmission des
entreprises patrimoniales vers un membre de la famille est de 7 % en
France, contre 51 % en Allemagne, 70 % en Italie, 75 % en
Autriche. En 2012, c’est Ernst & Young qui menait une étude
dans une dizaine de pays européens. Les enfants des chefs
d’entreprises patrimoniales étaient interrogés sur leurs
intentions professionnelles. C’était en Italie que les héritiers
étaient les plus résolus à reprendre l’affaire
familiale. Venaient ensuite le Portugal, l’Autriche,
l’Allemagne… La France se plaçait en neuvième
position.
L’ignorance
et l’antipathie des décideurs, qui menacent les entreprises
patrimoniales, atteignent leur paroxysme dans la fiscalité. L’on
découvre cela dans l’histoire d’une entreprise fictive,
mais dont l’histoire est inspirée de témoignages
réels recueillis par les auteurs.
Dans cette
entreprise – Textile Vieuxchênes – les syndicats sont scandalisés
par le montant des dividendes qui est de 1,2 million d’euros, soit
400 000 euros pour chacun des trois actionnaires. Ils le comparent
à celui des primes qui est de 200 000 euros, que doivent se
partager les 300 salariés, ce qui fait 600 euros chacun. Le conseiller
du chef d’entreprise lui suggère alors de montrer à ses
syndicalistes un petit tableau sur le rendement du capital des actionnaires
de l’entreprise.
Car, les trois
actionnaires ont des situations personnelles variées qui font
qu’avec le même rendement brut du capital, ils en ont un
rendement net très différent. Expliquons-nous. Sylvestre,
dirigeant de l’entreprise, est exonéré de l’ISF
(impôt de solidarité sur la fortune) car la part de capital
qu’il détient est son outil de travail ; il n’est
soumis qu’à l’impôt sur le revenu. Il paie
170 000 euros. Sa sœur Ursule vit en Suède et n’est
soumise qu’à l’impôt suédois sur les revenus
du capital au taux fixe de 30 %. Elle paie 120 000 euros
d’impôts. Enfin, le troisième actionnaire, Patrick est
assujetti à l’ISF et à l’impôt sur le revenu.
Il paie 308 000 euros d’impôts. Il lui reste donc
92 000 euros de revenus nets. Sa part dans Textile Vieuxchênes
étant de 16 millions d’euros, le rendement de son capital est de
0,58 %. Le tableau ci-dessous résume la situation de
chacun :
C’est
donc à cause d’une fiscalité confiscatoire, qui
pèse en particulier sur les revenus de Patrick, que l’entreprise
est contrainte de verser autant de dividendes. Une somme qui ne va pas aux
salariés, ni à l’investissement. Et qui fragilise
l’entreprise Vieuxchênes. Car quel est
l’intérêt de Patrick de continuer à être
actionnaire de la société ? Ne serait-il pas plus pertinent
pour lui de diversifier son capital ? Voir d’acheter des
œuvres d’art, exonérées d’ISF ?
Cette
fiscalité a aussi pour conséquence de maintenir Sylvestre
à la tête de l’entreprise le plus longtemps possible,
sinon il devient imposable comme son frère Patrick. L’entreprise
s’en trouve également fragilisée, car elle a un patron
vieillissant, peut-être plus vraiment en phase avec le marché,
peut-être réticent à investir. Un dirigeant qui finit par
passer la main tardivement, à un moment peut-être pas le plus
opportun pour l’entreprise.
Enfin, selon
Sylvain Gariel et Gauthier Lherbier, « de nombreuses publications
démontrent que la performance et la qualité d’une
entreprise patrimoniale est meilleure au sein des entreprises dont le
dirigeant est salarié et externe à la famille ». En
France, le management salarié représente 31 % des
dirigeants des entreprises patrimoniales ; en Allemagne, la proportion
est de 60 %.
Finalement,
Sylvestre Vieuxchênes qui souhaite quitter la direction de
l’entreprise et transmettre Textile Vieuxchênes dans de bonnes
conditions, à la fois pour ses finances personnelles et pour la
pérennité de l’entreprise, trouvera une solution. Elle
passera par un pacte Dutreil avec la transmission du capital aux enfants de
Sylvestre et l’arrivée d’un dirigeant extérieur
à la famille. « Tellement simple le Dutreil,
écrivent les auteurs, une seule page de décret explicatif,
soixante-six de notice applicative, l’enfance de l’art ! »
D’autres
solutions étaient envisageables, comme le déménagement
de Sylvestre en Belgique et la création d’une holding au
Luxembourg. Tout ce qu’il y a de plus légal, et surtout de plus
intéressant en termes d’imposition.
Pour terminer,
précisons que l’ouvrage de Sylvain Gariel et Gauthier Lherbier
est le fruit de leur mémoire de fin d’études à
l’École des Mines de Paris. Aujourd’hui, l’un est en
poste à l’Agence des participations de
l’État ; l’autre dans une Direccte (Direction
régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du
travail et de l’emploi). Comme quoi, il ne faut pas complètement
désespérer de l’Administration française.
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