Comme toutes
les autres idées fausses, la théorie monétaire moderne repose sur des faits
réels, mais semble aussi être attachée à des suppositions qui sont liées bien
plus à une croyance qu’à une expérience historique ou encore pratique. Elle
relève donc autant d’un culte que d’une théorie économique.
Ce que j’écris
ici est lourd de sens. La théorie monétaire moderne peut devenir un culte,
parce qu’elle est une question de croyants et de non-croyants, de ceux qui
acceptent d’avaler le filtre, et de ceux qui ne le peuvent pas. Et ceux qui
ne le peuvent pas doivent être ignorés, parce que leurs arguments ne peuvent
être défendus de manière rationnelle. Bien que ce puisse être utile en
matière de religion, qui porte au-delà des limites de la raison, il n’en va
pas de même pour une question aussi pratique que le fonctionnement d’un
système monétaire.
« Le
gouvernement souverain ne peut devenir insolvable en sa propre devise ;
il pourra toujours rembourser ce qu’il doit grâce à sa propre devise, parce
qu’il en est l’émetteur, et pas simplement l’utilisateur (contrairement aux
ménages et aux entreprises privées).
« Cette
capacité d’émission monétaire est ce qui permet aux gouvernements de ne pas
faire face aux mêmes contraintes que les utilisateurs monétaires du secteur
privé, ce qui met en lumière l’idée fausse qu’est l’analogie des ménages,
tant aimée des discours économiques populaires. »
Les finances
d’un souverain ne ressemblent en rien à celles d’un ménage. Et ceux d’une
banque non plus.
D’une certaine
manière, elles peuvent être l’opposée des finances d’un ménage. Par exemple,
lorsqu’un ménage décide de réduire ses dépenses suite à un choc économique,
le gouvernement peut augmenter ses propres dépenses pour rétablir une
situation d’équilibre. Certains pensent que le rôle du gouvernement est de
maintenir l’économie hors de ce qu’on appelle la trappe de la liquidité qui,
ainsi que je le comprends, est une série de réductions qui exacerbent
toujours plus le problème de la baisse de la demande.
C’est l’une
des raisons pour lesquelles nous avons un gouvernement. Pour faire ce que les
individus ne peuvent achever eux-mêmes, peu importe combien ils se pensent
puissants, et pour protéger les droits de ceux qui sont plus puissants
encore, à l’échelle domestique comme internationale.
Mais voici où
se trouve l’objet de la discorde, le passage entre guillemets étant le leur,
celui en italique le mien : « un gouvernement souverain ne peut
pas devenir insolvable en sa propre devise ; il pourra toujours
rembourser ce qu’il doit grâce à sa propre devise, puisqu’il en est
l’émetteur, et pas simplement l’utilisateur ».
Comprenez-vous
ce que cela implique ?
Ce qu’il
manque ici, c’est l’idée que les utilisateurs d’une monnaie, que nous
appellerons le « marché », sont capables de et ont déjà au travers
de l’Histoire remis en question la valeur d’une devise, au point qu’elle
finisse parfois par ne plus rien valoir, en conséquence de certaines actions
prises par l’Etat souverain qui en est l’émetteur.
Voilà qui nous
amène à quelque chose qu’ j’ai réalisé il y a quelques temps déjà. La limite
pratique à la capacité d’un souverain d’émettre de la monnaie est la volonté
du marché de l’accepter à une certaine valeur. C’est une règle qui s’applique
à n’importe quel gouvernement souverain, notamment aux plus faibles.
Si la Russie
prenait par exemple la décision de commencer à imprimer davantage de roubles
et se fixait un objectif de valeur, elle pourrait mettre son projet en œuvre
à l’échelle interne. De nombreux Etats souverains en ont fait de même au
travers de l’Histoire. Je me souviens avoir visité Moscou peu de temps après
l’éclatement de l’Union soviétique et avoir été épaté par l’écart entre les
valeurs officielles et les actions des gens ordinaires à la recherche
d’alternatives comme le dollar, l’or, les diamants ou même encore le papier
toilette occidental, bien plus utile en tant que papier que le rouble.
En théorie, la
Russie ne pouvait pas devenir insolvable en termes de roubles, parce qu’il
lui était possible d’en imprimer davantage pour rembourser sa dette, acheter
ce dont elle avait besoin et verser les salaires de ses fonctionnaires. Le
seul problème, c’est que la Russie avait à maintenir un certain contrôle pour
que ce principe puisse être applicable.
C’est ce qui
rend la théorie monétaire moderne étatique et dangereuse. Elle est un
principe qui ne peut fonctionner que lorsque l’Etat exerce un contrôle total
sur l’évaluation de sa devise.
Dans le cas du
dollar en tant que devise de réserve globale, si cette théorie était
appliquée, et l’une de mes plus grandes craintes est qu’elle le soit un jour,
il faudrait que le cartel du dollar étende davantage son contrôle sur le
monde de la production et de la consommation.
Je suis désolé
d’avoir à tomber en désaccord avec des personnes que j’aime beaucoup lire,
mais comme vous pouvez le voir, il existe ici un point de discorde majeur. Et
compte tenu du nombre de nations souveraines qui ont fait défaut, affectant
ainsi leur peuple et les vies de beaucoup d’autres, ce n’est pas un détail
sans importance.
Je suppose que
la théorie monétaire moderne voit juste sur certains points, puisque c’est
souvent ainsi que les choses fonctionnent, mais il y a exception dans l’idée
que le pouvoir de l’Etat de fixer la valeur de sa devise puisse être sans
limite - ce qui est impliqué par la théorie qu’un souverain ne puisse faire
défaut en sa propre devise. D’un point de vue théorique, il ne le peut pas
parce qu’il lui est toujours possible d’imprimer plus qu’assez pour
rembourser sa dette et dépenser davantage. Mais dans la pratique, il peut
aussi créer de la monnaie au point de briser la confiance des marchés et de
les pousser à remettre en question sa valeur. Et c’est exactement là ce que
nous appelons un défaut.
Que se
passe-t-il lorsqu’un peuple refuse d’accepter une devise à sa valeur
officielle ? Qu’arrive-t-il à ceux qui ne pensent pas que l’Etat ne
puisse pas faire le mal ? Parce que si l’Etat ne peut jamais avoir tort
en matière de création et de dépenses monétaires, il devient un problème et
la source de grands malheurs potentiels.
A en croire
les exemples historiques, les gouvernements ont toujours recours à la force,
aux taux de change officiels et à d’autres actions draconiennes à l’encontre
de leurs nations voisines qui refusent de se soumettre à l’évaluation de leur
devise par diktat officiel.
C’est une idée
dangereuse qui peut être laissée de côté par la simple réalisation du fait
qu’il existe des limites pratiques au pouvoir de l’Etat. Et si les défenseurs
d’une croyance ne peuvent tomber d’accord avec ce point, tous les autres
aspects d’une théorie basée sur un principe aprioriste aussi absurde que
celui-ci se trouvent aussi remis en question.
Il en a été de
même avec la théorie de l’efficacité des marchés, qui s’imaginait que ceux
qui agissent au sein d’un groupe sont naturellement bons et rationnels, ce
qui est une idée on ne peut plus erronée aux yeux de ceux qui sont familiers
avec la réalité du marché ou ont déjà pris le volant sur l’autoroute. Au sein
d’un groupe, les gens ne sont pas naturellement bons et rationnels. Parmi
eux, une minorité persistante est toujours aussi peu déterminée à faire le
bien qu’elle est sociopathe ou déterminée à être criminelle.
Les Etats ne
sont pas non plus naturellement bons et rationnels. Mais c’est ce qui est
sous-entendu par la création d’un système qui permet au développement d’un
pouvoir au-delà de toute remise en question, en particulier pour ce qui concerne
les moyens d’échange et la valeur.