Francis Fukuyama et la fin de l’histoire

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Published : January 05th, 2015
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Francis Fukuyama est né le 27 octobre 1952, à Chicago. Philosophe, économiste et chercheur en sciences politiques, américain d'origine japonaise, il travaille en tant que professeur d'économie politique internationale à l'Université Johns-Hopkins à Washington DC. Il était auparavant titulaire de la chaire de politique publique à la School of Public Policy de l’Université George Mason.

 

Fukuyama a d’abord été membre du Département de science politique de la RAND Corporation en Californie, l’un des plus anciens « think tanks » américains, spécialisé dans l’analyse des politiques publiques, de 1979 à 1980, puis à nouveau de 1983 à 1989. Entre 1981 et 1982 Fukuyama a été membre du Policy Planning Staff du Département d'État américain où il travaillait sur les questions du Moyen-Orient.

 

En 1988, Allan Bloom invite son ancien élève à prononcer une conférence à l'Université de Chicago sur la Guerre Froide. Dans sa conférence, Fukuyama suggère que la propagation des idées politiques et économiques libérales à travers le monde communiste et dans une grande partie du Tiers-Monde est inéluctable. L'humanité a atteint la fin de son processus d'évolution idéologique.

 

Irving Kristol publie alors la conférence de Fukuyama sous forme d’article dans sa revue The National Interest. Puis il invite Samuel Huntington, directeur du John M. Olin Institute for Strategic Studies à Harvard, à commenter cet article dans le même numéro de la revue.

 

L’article, publié cinq mois avant la chute du mur de Berlin, suscite une quantité extraordinaire de débats et de controverses aux États-Unis comme à l'étranger. Après avoir quitté le Département d'État en 1990, Fukuyama élargit les thèmes de son article dans le livre The End of History and the last Man. Publié en 1992, ce livre est devenu un best-seller traduit dans le monde entier.

 

La fin de l’histoire

 

Qu'entend-il par « fin de l'histoire » ? À la suite des philosophes Hegel et Kojève, il considère que l'histoire résulte des antagonismes entre les différentes idéologies et formes d'organisations sociales, qui luttent chacune pour la reconnaissance. Or, avec la chute du Mur, l'effondrement du communisme et la victoire de la démocratie libérale, l'histoire, prise dans ce sens, s'abolit. Preuve est faite que la démocratie libérale moderne, à défaut d'être parfaite, offre le moins mauvais monde possible.

 

Ainsi selon Francis Fukuyama, ce qui caractérise notre époque, c’est une « homogénéisation croissante de toutes les sociétés humaines ». Le consensus croissant autour des droits de l’homme, de la démocratie et de l’économie libérale constituerait une sorte de « point final de l’évolution idéologique de l’humanité ». Et la démocratie, toujours selon Fukuyama, contient le principe d’une pacification des relations humaines : « La démocratie libérale remplace le désir irrationnel d’être reconnu comme plus grand que d’autres par le désir rationnel d’être reconnu comme leur égal. Un monde constitué de démocraties libérales devrait donc connaître beaucoup moins d’occasions de guerres puisque toutes les nations y reconnaîtraient réciproquement leur légitimité mutuelle ».

 

Toutefois, sa thèse profonde ne se situe pas sur le terrain de la philosophie de l'histoire, mais bien sur celui d'une réflexion sur la nature humaine. En effet, la mondialisation démocratique, indissociable du progrès technique, laissera place à un nouveau type d'homme, le Dernier Homme comme l'appelle Nietzsche, plus soucieux d'assurer son bien-être que d'affirmer sa valeur par des œuvres géniales ou par des guerres.

 

« Pour Nietzsche, écrit Fukuyama, l'homme démocratique était entièrement composé de désir et de raison, habile à trouver de nouvelles ruses pour satisfaire une foule de petits désirs grâce aux calculs d'un égoïsme à long terme. Mais il manquait complètement de mégalothumia, se satisfaisant de son bonheur mesquin et étant hors d'état de ressentir la moindre honte de son incapacité à s'élever au-dessus de ses désirs. » (La fin de l'histoire et le dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992, p. 340).

 

La controverse avec Huntington

 

En 1996, Samuel Huntington, qui a été son professeur à Harvard, publie The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (traduit en français : Le choc des civilisations, chez Odile Jacob en 1997). Ce livre constitue une sorte de réponse à Fukuyama. Sa thèse est que les lignes de fracture passent plus par les cultures ou les religions que par les idéologies. Il doute de l’attraction des valeurs occidentales sur le reste du monde. Pour Huntington, la véritable clé de l’histoire n’est pas d’ordre économique mais d’ordre culturel (voir notre notice). Ce n’est pas un postulat mais un constat. Ainsi, selon Huntington, « la réussite économique de l’Extrême-Orient prend sa source dans la culture asiatique. De même les difficultés des sociétés asiatiques à se doter de systèmes politiques démocratiques stables. La culture musulmane explique pour une large part l’échec de la démocratie dans la majeure partie du monde musulman. »

 

Cela dit, Francis Fukuyama n’a jamais eu la naïveté de penser que l’histoire était linéaire, que la marche vers le progrès excluait les retours en arrière, ou les phases d’immobilisme. Simplement il n’existe pas, selon lui, d’alternative viable à la démocratie libérale et au libre-échange. Ainsi la Chine, malgré un gouvernement communiste et des atteintes répétées aux droits de l’homme, se rapproche progressivement de l’Occident. Et beaucoup de pays musulmans ont des aspirations parfaitement compatibles avec un processus de modernisation.

 

Toutefois, les difficultés politiques et culturelles rencontrées dans l'engagement de l'Amérique en Irak ont conduit les néoconservateurs à réfléchir. Ainsi, ces dernières années, Francis Fukuyama a cherché à se distancier de la politique de l'administration Bush. Dans son livre America at the Crossroads: Democracy, Power, and the Neoconservative Legacy, il reconnait que la politique de changement de régime en Irak avait accordé trop peu d'attention aux particularités culturelles du Moyen-Orient. Il estime que le néoconservatisme s’est définitivement éloigné de ses principes fondateurs. Et en 2008, il a voté en faveur de Barack Obama.

 

À lire

 

 

 

Francis Fukuyama, La Fin de l’Histoire ou le Dernier Homme, Champ, Flammarion, 1992.

 

Francis Fukuyama, Le grand bouleversement : La nature humaine et la reconstruction de l'ordre social, éditions de La Table Ronde, 2003.

 

Francis Fukuyama, Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle, éditions de La Table Ronde, 2005.

 

Francis Fukuyama, D’où viennent les néo-conservateurs ?, Grasset, 2006.

 

 

 

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Damien Theillier est professeur de philosophie en terminale et en classes préparatoires à Paris. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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Comme l'a démontré Thomas Piketty, les classes moyennes s'appauvrissent de plus en plus au niveau mondial. La victoire de Fukuyama a un goût amer. Les multinationales étaient les seules à tirer bénéfice de la mondialisation, en faisant fabriquer à bas coût -des esclaves travaillant pour des chômeurs-. Les Etats se sont endettés pour acheter du temps et retarder l'échéance inéluctable. Mais nous le voyons bien, les entreprises se portaient mieux lorsque les salariés, selon le principe de Ford, pouvaient acheter la voiture qu'ils fabriquaient. Maintenant, le prix du pétrole et de l'acier baissent durablement tout simplement parce qu'il y a une baisse mondiale de la consommation. Lorsque les Etats cesseront par la force des choses de s'endetter, les multinationales et leurs actionnaires vont souffrir car elles ont tué les clients. La mondialisation est un marché perdant-perdant où tout le monde sera finalement perdant, y compris les multinationales et les spéculateurs. Les Chinois n'ont pas pris le relais de la croissance car le régime politique est une dictature qui s’accommode mal d'une classe moyenne aisée qui remettrait en cause le pouvoir dictatorial. Où est la solution? Le retour aux Etats Nation pour protéger le pouvoir d'achat des citoyens? Pour réussir dans ce genre de retour de balancier, il faudrait que les multinationales prennent conscience qu'il en va de leur propre intérêt et de celui de leurs actionnaires car à priori, ce sont elles qui détiennent la réalité du pouvoir.
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