Selon la loi de Murphy, quelque chose qui peut mal tourner finira probablement par mal tourner. Et lorsque l’État, des élus et l’argent du contribuable sont impliqués, cette probabilité se transforme en certitude inévitable au même titre que la mort et les impôts. Il en va ainsi des emprunts complexes qui furent contractés au début des années 2000 par les collectivités territoriales et qui ont largement défrayé la chronique. On pourrait croire qu’à présent, tout le monde étant au courant, les responsables publics se soient assagis. Il n’en est rien.
Tout d’abord, il y a bien sûr le simple fait que, pendant que la mode était à la multiplication de ce genre de cascades financières osées, les collectivités territoriales ne furent pas les seules à en croquer. Au-delà des mairies, communautés de communes et autres regroupements d’agglomérations qui se sont empressés, dès que l’égo des élus enflait, de contracter ces bombes financières à retardement, on trouve aussi des institutions locales à commencer par les hôpitaux publics. Or, si l’on entend assez facilement les couinements ulcérés de maires et des conseillers généraux aux finances exsangues une fois les taux brutalement relevés à la faveur d’un franc suisse toujours plus solide, et ce, d’autant plus facilement que la presse aime se faire l’écho des célébrités politiques locales, on entend en revanche nettement moins parler des directeurs d’établissements hospitaliers publics qui ne sont pourtant pas les derniers à avoir profité de ces montages douteux.
Et c’est au détour de quelques articles dans la presse spécialisée (qu’on pourra lire ici, moyennant abonnement) qu’on découvre que la situation, qui n’est franchement pas rose pour les communes embourbées dans les misères toxiques et les petits arrangements avec la structure de défaisance de Dexia, ne l’est pas plus pour certains hôpitaux. Ainsi, la récente envolée des cours du franc suisse entraînerait une hausse du coût de sortie de ces emprunts improbables d’environ 400 millions d’euros, dont tout indique que ce sera le contribuable qui devra, d’une façon ou d’une autre, les régler.
Il faut en effet comprendre que depuis le plan Hôpital 2007 puis Hôpital 2012, les établissements publics de soins ont été largement encouragés à se débrouiller par eux-mêmes pour trouver des financements, quitte à croquer dans le fruit interdit (et méconnu à l’époque). La Cour des Comptes avait, en avril dernier, évalué à environ 30 milliards d’euros la dette totale de ces établissements, dont 20% (c’est-à-dire 6 milliards tout de même) classés « sensibles » — sans doute pour éviter le mot « toxique ». On comprend que le récent abandon du « peg » euro-franc suisse a jeté comme un petit vent de panique auprès de tous les joyeux souscripteurs de ces emprunts.
Mais là où l’affaire prend une tournure malheureusement trop habituelle, c’est lorsqu’on apprend la mise en place d’un fonds de soutien pour les hôpitaux ayant contracté ces emprunts structurés à risque, fonds abondé par le contribuable et, notamment, tous les établissements de soins, y compris privés, via l’utilisation habile de crédits d’assurance maladie. Autrement dit, ce sont les contribuables et les cliniques qui vont payer pour la gestion hasardeuse des hôpitaux publics. Chose qui ne plaît guère à Lamine Gharbi, le président de la Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP), qui déclare :
« Nous refusons catégoriquement que soient financées les erreurs de gestion des hôpitaux publics, on ne peut plus accepter que des erreurs soient payées par la collectivité au détriment des autres secteurs privés et associatifs. »
Et on comprend l’agacement du président de la FHP puisqu’en regard des établissements publics qui ne se sont pas gênés pour risquer ainsi les finances du contribuable dans du carry-trade en francs suisses, aucune clinique n’a contracté d’emprunt toxique. Bizarrement, celles-ci ont sans doute jugé ces emprunts un peu trop louches, ou trop risqués, ou trop beaux pour être vrais et se sont abstenues de mettre leurs finances en péril. De là à conclure que l’engluement dans des bricolages financiers hasardeux est précisément la marque d’un secteur public qui n’a rien à carrer des finances publiques, il n’y a qu’un pas qu’on se gardera de franchir, parce que ce n’est pas le style de la maison.
Pour le franchir, il faudrait vraiment qu’un nouvel exemple d’institution publique, déjà lourdement endettée, s’amuse à se lancer maintenant, là, tout de suite, dans cette période troublée, dans un nouvel emprunt en devise étrangère avec des taux soi-disant bas, avec l’argent du contribuable, et la quasi-certitude d’une catastrophe à moyen ou long terme. Évidemment, un tel cas semblerait à la fois grotesque (tout le monde sait, maintenant, ce qu’est un emprunt toxique, le carry-trade sur une monnaie étrangère et les risques qu’on court) et franchement caricatural (Une institution publique, se lancer dans une telle opération, en pleine période d’austérité ? Vous n’y pensez pas !).
Et voilà que fonce sur le devant de la scène la célèbre CADES, la caisse d’amortissement de la dette sociale, établissement public s’il en est, qui gère donc la dette de tout le bazar d’assurance santé que les Français regroupent sous le vocable « Sécu ». Alors même qu’un nombre inquiétant d’établissements de soins s’agite dans les affres du surendettement et des emprunts toxiques, la CADES fanfaronne dans la presse en annonçant, joyeuse comme seuls les parfaits imbéciles ou les irresponsables savent le faire, avoir réussi pour la première fois et avec brio l’émission en renminbi, « la monnaie du peuple » chinois, un emprunt de 423 millions d’euros (ou 3 milliards de renminbi) à un taux de 3,8% sur deux ans. Le patron de la CADES se réjouit même du montant :
« Aucune autre émission en yuan n’a atteint un tel montant ces deux dernières années. Cela place la CADES parmi les grands émetteurs prestigieux du service public »
Youpi, tralala, on vient de souscrire un emprunt de 3 milliards de renminbi. Tout ira bien : le renmimbi, cette monnaie sous-évaluée que la Banque Centrale Chinoise fait tout pour empêcher de monter depuis des années, ne gagnera pas de valeur, l’euro ne se cassera pas la figure, et on pourra rembourser ce prêt à un taux très raisonnable sans souci puisque il est seulement de 3.8%, mes enfants. Bien sûr, d’ici deux ans, la monnaie chinoise ne s’appréciera pas, même pas un petit peu suite (par exemple) à une décision unilatérale de la Banque Centrale Chinoise de lâcher un peu la bride à sa monnaie — ça n’arrivera jamais, c’est du Suisse jamais vu, c’est impossible, les Chinois sont fourbes mais ne feront jamais ça, voyons. Et puis, ce n’est pas un risque inconsidéré, puisque c’est géré au cordeau par des gens responsables et soucieux des deniers du peuple. Ils l’ont tous largement prouvé.
Franchement, c’est sûr, tout va bien se passer.
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