Beaucoup
d'entre vous m'ont demandé de commenter sur un article écrit par Antal E.
Fekete intitulé Counter-Productive
Monetary Policy of the Fed.
Le sous-titre de cet article est Semer l'inflation pour récolter la
déflation. Il est long de 16 pages et n'est pas facile à lire.
D'une façon générale, je suis d'accord avec Fekete. Il ne fait aucun doute que
les politiques de la Fed soient contre-productives, pour un certain nombre de
raisons dont Fekete ne fait pas mention.
- La Fed crée
des bulles dont l'amplitude augmente au fil du temps.
- La Fed
alimente la spéculation grâce à des politiques de refinancement qui
représentent un danger moral.
- Les
politiques de la Fed bénéficient à ceux qui ont accès les premiers à la
monnaie, c'est-à-dire les banques, les gouvernements et les plus
fortunés, aux dépens de tous les autres.
- La Fed est
largement responsable de l'élargissement de l'écart entre les salaires
dont même elle se plaint.
Voici quelques paragraphes de l'article de Fekete qui ont attiré mon
attention :
Ma théorie
selon laquelle des taux d'intérêt en baisse (contrairement à des taux
d'intérêt bas, mais stables) génèrent une destruction générale du capital
est, je l'admets, controversée. J'apprécierais énormément que quelqu'un de
compétent et d'impartial se penche sur ma théorie et examine la supériorité
de l'« auto-liquidation du crédit » sur le crédit basé sur la dette
gouvernementale (qui pourrait être appelée « dette
auto-perpétuée »). Nous nous pencherons ici sur trois effets
destructeurs d'une baisse des taux : (a) la hausse de la valeur de
liquidation de la dette, (b) la détérioration du travail en termes
d'industrie, et (c) la disparition des quotas de dépréciation.
La théorie selon laquelle le prix des obligations varie inversement aux taux
d'intérêt n'est pas controversée et est universellement acceptée. Elle décrit
les effets d'une baisse des taux du point de vue du créditeur. Curieusement,
les gens ont des difficultés à comprendre des théories équivalentes qui
décrivent le même effet du point de vue du débiteur, ou plus précisément, qui
expliquent que la valeur de liquidation de la dette varie également à
l'inverse des taux d'intérêt.
Une baisse des taux fait notamment grimper le coût de la liquidation d’une
dette avant sa maturité. La valeur de liquidation est la somme qui doit être
versée par le débiteur pour rembourser sa dette avant son arrivée à maturité.
Puisque cette valeur de liquidation grimpe, la baisse des taux d'intérêt
alourdi le poids de la dette. Par exemple, si le taux d'intérêt est réduit
de moitié, alors la règle veut que la valeur de liquidation de la dette de
long terme soit doublée (sa liquidation coûte deux fois plus cher qu'avant la
baisse des taux).
« Si
le taux d'intérêt est réduit de moitié, la liquidation de la dette coûte deux
fois plus cher. »
Revenons sur cette dernière phrase.
J'ai demandé à mon ami Keith Weiner s'il pouvait m'expliquer les propos de
Fekete.
Il m'a répondu ceci :
Calculons la
valeur d'une série de paiements. Supposons que vous devez payer 100 dollars
par an pendant 10 ans. La valeur actualisée nette n'est pas simplement de 100
x 10 = 1 000 dollars. Chaque paiement futur doit être actualisé en utilisant
le taux d'intérêt qui prévaut. Si le taux est de 10%, nous obtenons la somme
de la série ainsi : 90 + 81 + 72,90... = 586 dollars. Si le taux d'intérêt
est réduit de moitié et passe à 5%, la somme de cette série est de 762
dollars.
« Ahah! », vous dîtes-vous. « Ce n'est pas le double. » Non, une obligation à
dix ans ne double pas avec une division des taux par deux. Mais c'est le cas
pour une obligation perpétuelle.
Une autre idée développée par Fekete veut qu'au sein d'un système de monnaie
papier non-échangeable, la dette ne disparaisse jamais. La monnaie elle-même,
le dollar, est juste une obligation (une part de la dette du gouvernement).
Quand nous remboursons une dette en or, cette dernière disparaît. Mais parce
que nous ne remboursons plus nos dettes qu'en dollars, la dette ne fait
qu'être transmise de mains en mains. Toutes les dettes devraient par
conséquent être traitées comme perpétuelles.
Il y a un côté pratique à tout ça. Supposons que vous empruntez 1 million de
dollars pour construire un restaurant, et que vos intérêts soient de 10%. Et
que le taux passe ensuite à 5%. Un compétiteur pourrait construire un même
restaurant et devoir rembourser bien moins. Ou il construire un restaurant
plus cossu pour la même somme.
Le poison
de la Fed
Keith Weiner discute de ces points en détails dans un article
écrit pour Forbes intitulé The Fed Poisons The Market.
Le problème que j'ai avec le modèle de Fekete, c'est que je suis quelqu'un de
pratique.
Bien que je sois d'accord sur le fait que la dette soit une part d'une
obligation gouvernementale, et que chaque morceau de papier en existence soit
une obligation, les dettes entre individus et entreprises peuvent être
annulées. Keith le comprend aussi ; nous en avons discuté au téléphone.
Revenons-en encore une fois à ce passage : « Si le taux d'intérêt est
réduit de moitié, la liquidation de la dette coûte deux fois plus cher. »
Commençons avec un intérêt initial d'1%. La liquidation de votre dette vous
coûtera deux fois plus cher si le taux passe à 0,5%. Et une fois encore deux
fois plus cher si le taux passe à 0,25%. Et une fois encore deux fois plus
cher si le taux passe à 0,125%.
Les taux d'intérêt peuvent être réduits de moitié indéfiniment sans jamais
atteindre zéro. Et à mesure qu'ils se trouvent réduits, la liquidation de la
dette coûte indéfiniment plus cher.
Plutôt que de réduire le taux, supposons qu'il passe simplement à zéro. Que
se passerait-il alors si la Fed décidait de le faire grimper ?
Selon le modèle de Fekete, il se passerait quelque chose de très curieux. Que
les taux passent à 0,1%, 1% ou encore 100% n'aurait aucune importance,
puisqu'une division par zéro serait appliquée, et n'importe quelle hausse
depuis zéro rendrait votre dette moins chère à rembourser.
Ne confondons pas changement du pourcentage d'une obligation théoriquement
perpétuelle avec ce que nous avons dans le monde réelle, où nous pouvons
rembourser des dettes et nous refinancer, et ne pouvons pas (du moins pour le
moment) obtenir d'obligation perpétuelle.
Dans le monde réel, réduire les taux d'intérêt de moitié de 8 à 4% a une
grande importance. Réduire les taux depuis 0,2 jusqu'à 0,1% n'a pas
d'importance, bien que les deux réductions de taux fassent théoriquement
doubler la valeur de liquidation d’une dette.
Un aspect particulier du monde réel devrait être mentionné ici, avec lequel
Fekete et Weiner seraient d'accord : Plus la Fed force les taux
d'intérêt à la baisse, plus il y a de dette dans le système. La dette totale
devient de plus en plus difficile à rembourser, et la Fed a de plus en plus
de difficultés à faire grimper les taux.
Nous approchons rapidement d'un point où les banques centrales en général
trouveront très difficile de faire grimper les taux, malgré leur bonne
volonté. Le Japon en est déjà là aujourd'hui.
Acting Man nous apporte son grain de sel
J'ai transmis mon opinion à Pater Tenebrarum, du blog Acting Man. Il a dit la
partager. J'ai ajouté à sa réponse quelques-unes de mes pensées, entre
crochets...
Certaines
obligations peuvent être échangées au pair avant leur maturité. Mais le fait
que les obligations s'échangent à premium en raison d'un ratio
rendements-maturité ou à prix réduit en raison d'une hausse du ratio
rendements-maturité n'est qu'un artéfact du point de vue d'une corporation,
qui se contente simplement de laisser l'obligation arriver à maturité, et de
remplacer sa dette arrivée à maturité par de la nouvelle dette à des taux
moins élevés.
Ce qui je pense est plus important et détruit activement le capital est le
fait que les intérêts manipulés par les banques centrales ne reflètent plus
les préférences temporelles d'une société. Au lieu de cela, ils envoient un
mauvais signal aux entrepreneurs [ainsi qu'aux ménages et aux sociétés], qui
pensent avoir plus d'épargne qu'ils n'en ont de disponible.
Les investissements sur des projets de long terme au sommet de la structure
de production sont encouragés - malgré le fait que les quantités de
« capital gratuit » (les fonds réels dont dispose une économie) ne
soient pas suffisantes pour mener ces projets à une conclusion satisfaisante.
La fracturation hydraulique en est un exemple récent. [L'explosion de la
bulle sur l'immobilier est un exemple classique au cours duquel, grâce à la
Fed, la spéculation a pris une telle ampleur que beaucoup ont cru en une
pénurie des logements !]
Fekete dit la même chose, mais d'une manière différente et plus convolutée.
Conclusion
Je ne pense pas qu'il soit valide d'ajouter des formules mathématiques à tout
cela, parce que les chiffres commencent à devenir abêtissants à mesure que
l'on approche de zéro.
Et dans la pratique, les obligations perpétuelles n'existent pas. La dette
des consommateurs et des entreprises peut être annulée même si le dollar
lui-même est une dette. Deuxièmement, parce que les bulles gonflent, je ne
pense pas que les dommages causés par la Fed soient linéaires.
Le point à retenir ici est que les politiques monétaires de la Fed sont
extrêmement contre-productives. Fekete, Weiner, Tenebrarum et moi-même sommes
tous d'accord sur ce point essentiel.
Mike "Mish" Shedlock
http://globaleconomicanalysis.blogspot.com