Des accords secrets
passés il y a cinq ans à la Réserve fédérale viennent d’être révélés. Connus
sous le nom de « Triangle document », ils prévoient d’abolir le
pouvoir de réglementation de la banque fédérale de New York – longtemps connue
comme étant l’avant-poste le plus important de l’institution privée
quasi-gouvernementale – pour le placer entre les mains du Conseil des
gouverneurs de la Fed à Washington DC.
Jusqu’en 2010, alors qu’était
rédigé le document, les grosses banques profitaient d’une certaine
autoréglementation, et exerçaient un pouvoir significatif sur le Conseil.
Les membres de la
direction de la Fed de classe A et B étaint élus directement par les banques
membres, et les membres de classe C étaient élus par le Conseil (ce qui n’est
en réalité pas si différent). Le directeur de JP Morgan Chase, Jamis Dimon – qui
a été impliqué dans la controverse du refinancement après 2008 – a été le gouverneur classe A du Conseil de direction de la Fed de New
York pendant six ans jusqu’à expiration de son mandat en 2013.
Pour les grosses banques
et la Réserve fédérale, il s’agissait simplement d’un arrangement de type « protection
du poulailler par un gentil renard » que le public n’était jamais
vraiment sensé comprendre.
Mais Jon Hilsenrath, du Wall Street Journal, a levé le voile sur l’affaire :
La banque de réserve
fédérale de New York, autrefois le régulateur le plus redouté de Wall Street,
vient de perdre tout son pouvoir suite à une réorganisation secrète de la
banque centrale du pays.
Le nouveau responsable
des régulations de la Fed est un petit comité peu connu dirigé par le
gouverneur de la Fed, Daniel Tarullo, qui tire les ficelles de la supervision
de titans du système bancaire comme Goldman Sachs et Citigroup Inc.
La nouvelle structure a
été élaborée en 2010 par un document confidentiel désormais connu sous le nom
de « Triangle document ». Sous ce nouveau système, Washington est
au cœur de la supervision bancaire, et exerce un contrôle sur les douze
banques de réserve de la Fed, de la même manière que le Département d’Etat
exerce un contrôle sur les embrassades.
L’article du WSJ s’intéresse
en détails à un conflit d’intérêts assez intéressant entre les intérêts
bancaires de Wall Street et les bureaucrates de Washington pour le contrôle
de l’institution qui contrôle désormais le monde.
La même année, au cours
des discussions qui ont précédé la signature du Triangle document, les
examinateurs de la banque fédérale de New York, supervisés par William
Rutledge, ont demandé une représentation accrue au conseil mais n’auraient,
selon les personnes présentes, pas obtenu gain de cause. Mr Rutledge,qaui
travaille aujourd’hui pour Promontory Financial Group, un cabinet conseil qui
s’adresse aux firmes qui ont affaire à des régulateurs, a dit soutenir cette
réorganisation.
Neuf des membres du
Conseil de la Réserve fédérale font partie du nouveau conseil des seize ;
la banque fédérale de New York y a trois représentants, qui ont à répondre à
Washington. Mr Dudley n’en fait pas partie.
« La banque de
réserve de New York ne peut plus respirer sans demander d’abord à Washington
l’autorisation d’inhaler ou d’exhaler », a déclaré une personne membre
de la communauté bancaire.
La décision avait pour
objectif d’établir une meilleure responsabilité envers le public, parce que
les membres du Conseil des gouverneurs de la Fed à Washington sont des
employés fédéraux et se doivent de respecter le FOIA.
Ces avantages sont en
revanche contrebalancés par le fait que le public n’ait pas entendu parler de
cette réorganisation jusqu’en 2015.
Il n’en est pas moins
que le Triangle document réoriente le pouvoir vers Washington, ce qui est une
bonne chose pour ceux qui jouissent désormais du pouvoir de la banque
fédérale de New York, qui a établi des liens très forts avec Wall Street.
C’est en partie une
conséquence de la loi Dood-Frank et de la création du Conseil de supervision
pour la stabilité financière.
Comme l’a écrit Naked Capitalism :
C’est une grande
victoire pour Dan Tarullo, qui est apparu comme étant un détracteur du rôle
joué par les grosses firmes financières à la Fed à l’aube de la crise. C’est
aussi une défaite pour les banques, puisque la banque fédérale de New York
est largement reconnue comme étant proche de Wall Street. Le Conseil des
gouverneurs doit répondre de ses actes devant les citoyens (ses employeurs
sont des employés fédéraux).
Bien que ce détournement
du pouvoir hors des mains de Wall Street soit une bonne chose, Washington DC
ne s’est pas avéré bien meilleur pour les intérêts du public.
La signification de
cette décision est peut-être surestimée, à une heure où la Fed tente de
paraître plus transparente toute en maintenant l’idée fausse que la vie ne
pourrait continuer ainsi sans ses nombreuses interventions.
Via Naked Capitalism :
Bien qu’il s’agisse là d’un
pas dans la bonne direction, la question à se poser ici est de savoir si ce
pas est adéquat. Comme nous pouvons le voir au travers de ses politiques
monétaires, qui ont favorisé les 1%, la banque centrale est liée de bien trop
près à l’opinion de l’élite de ce que devraient être ses priorités. La Fed
semble par exemple ne pas se soucier de la sur-financiarisation de son
économie, ou du besoin urgent d’une réduction de la taille et de la
profitabilité du secteur. C’est une idée qui est aussi l’anathème du membre
du Conseil des gouverneurs, Scott Alvarez, qui refuse d’admettre que la
dérégulation qu’il a lui-même supervisée est à l’origine de la crise et
continue d’avoir une lourde influence sur les politiques de réglementation.
Comme je l’ai déjà dit,
les grosses banques reçoivent le soutien de l’Etat et ne peuvent pas être
considérées comme des entités privées. Elles représentent aujourd’hui la pire
forme de socialisme des riches. Elles devraient être régulées à la manière de
sociétés de services. Voilà qui nous permettrait de redonner vie à une
véritable économie qui puisse attirer des candidats ambitieux et instruits,
plutôt qu’à une économie-casino.
La décision, bien que
salutaire, a de fortes chances de se transformer en ce que les Japonais
décriraient comme une « compétition de taille entre cacahuètes »,
où les réformes paraissent significatives aux insiders, mais triviales aux
observateurs plus objectifs.
C’est peut-être là un
recadrage trop faible et trop tardif. Ces nouvelles régulations nous mèneront-elles
à des réformes significatives ?