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Nicolas
Dupont-Aignan n’aime pas le commerce international en général, et les
importations chinoises en particulier. Lors d’une rencontre avec des syndicalistes
de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois en avril 2012, il défendait un
« protectionnisme intelligent », c’est-à-dire des droits de douane,
pour contrer la « concurrence déloyale » de pays comme la Chine.
Selon le point.fr qui rapporte ses dires, pour Nicolas Dupont-Aignan,
« si on ne dit pas stop, on y passera tous, les uns après les autres. Au
début, ce sont les ouvriers, après, ce sont les employés des centres d'appel,
après, les chercheurs, les cadres. Cette concurrence déloyale est en train de
tuer toutes nos forces économiques, c'est comme un virus. »
Sur ce sujet,
il fait preuve d’une incroyable constance. En décembre 2009, sur son blog, il
écrivait : « La croissance de la Chine (entre 8 et 10 %) fait
la une de toute la presse. Alexandre Adler, dans Le Figaro, nous
demande même de la remercier pour tirer la croissance mondiale ! On
croit rêver, quand on sait que l’excédent commercial faramineux déséquilibre
l’économie mondiale, explique les délocalisations dans les pays développés et
s’explique principalement par une concurrence totalement déloyale. Le yuan
est scandaleusement sous évalué, le libre échange ne s’applique qu’à sens
unique, les entreprises occidentales qui veulent accéder au marché chinois se
heurtent à un protectionnisme déguisé impressionnant. »
Et tout
récemment, Nicolas Dupont-Aignan s’est indigné de la vente de l’aéroport de
Toulouse-Blagnac accusant Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, d’être
« un VRP de choix de la Chine, préférant défendre les intérêts d’un
concurrent économique plutôt que ceux de son propre pays », ou encore
s’est offusqué que la ferme photovoltaïque d’Arsac en Gironde soit dotée de
panneaux solaires chinois.
Bref, Nicolas
Dupont-Aignan prône « le patriotisme économique » qui « doit
être la boussole qui guide l’action publique en toute décision et en toutes
circonstances ».
Sur ce sujet,
il faut le dire, il n’est pas le seul. Marine Le Pen évoque souvent, elle
aussi, le « protectionnisme intelligent » avec l’établissement de
droits de douane et de quotas d’importation. Jean-Luc Mélenchon propose un
« protectionnisme européen » avec « des visas sociaux et
écologiques pour toute marchandise entrant dans l’Union » européenne.
Quant à la droite, elle ne dit pas autre chose. Le programme de Nicolas
Sarkozy en 2012 prévoyait aussi un « protectionnisme européen » en
réclamant « un principe de réciprocité dans les relations
commerciales », et la mise en place de « taxes réciprocité aux
frontières de l’Europe ».
Toutes ces
mesures visent d’abord la Chine, considérée comme le grand méchant loup du
commerce international.
Premier
problème : la réalité semble être différente. France
Info s’est
interrogée sur la véracité des propos de Nicolas Dupont-Aignan en s’appuyant
sur les travaux de Global Trade Alert, qui scrute le protectionnisme dans le
monde. On y apprend que la Russie, l’Argentine, l’Inde sont les pays les plus
protectionnistes. On trouve aussi trois pays européens (Royaume-Uni,
Allemagne et France) dans le Top 10 des pays les plus protectionnistes.
« L'Europe, insiste France Info, n'est visiblement pas la
passoire commerciale que dénoncent certains hommes politiques comme Nicolas
Dupont-Aignan. » Quant à la Chine, elle « a pris moins de mesures
protectionnistes que tous les pays » déjà cités.
Deuxième
problème : le protectionnisme est inefficace et retarde l’inévitable
adaptation de notre économie. Les échanges internationaux nous donnent accès
à des produits plus variés et moins chers. Comme le dit Cécile Philippe,
directrice de l’Institut économique Molinari, dans un entretien avec Grégoire
Canlorbe, publié sur le site de
l’Institut
Coppet en décembre
2014, « cela libère du pouvoir d’achat
qui permet d’acquérir d’autres biens. Mais encore faut-il que ceux-ci soient
produits et donc qu’on laisse les entreprises s’adapter aux nouvelles
demandes. Le fonctionnement d’une économie de marché repose intrinsèquement
sur la création et la destruction simultanées d’emplois. Ce processus est
indispensable pour permettre aux entreprises de s’adapter à l’évolution des
préférences des consommateurs et aux changements technologiques. Ce faisant,
l’économie prospère et le niveau d’emplois peut augmenter et compenser les
destructions qui ont nécessairement lieu. » Or, poursuit Cécile
Philippe, « dans un pays comme la France qui cherche avant tout à
bloquer les destructions d’emplois, ce processus d’adaptation des entreprises
est fortement retardé. On maintient trop longtemps des personnes dans des
emplois sans avenir si bien que lorsque l’inéluctable arrive, il leur est
parfois extrêmement difficile de s’adapter aux nouvelles offres
d’emplois. »
Troisième
problème : la rengaine est éculée. C’est Thucydide
qui a dit que « l’histoire est un perpétuel recommencement ».
Laissez-moi vous le prouver en citant les propos d’Edmond Théry. Dans son
ouvrage – « Le Péril jaune » – il affirme :
« Ce
n’est pas le péril militaire chinois qui est à craindre pour l’Europe, ce
n’est pas cet épouvantail bon à faire peur aux moineaux ; non, c’est le
péril économique et c’est bien assez, car, s’il est moins brutal et moins
apparent que l’autre, il est en réalité plus dangereux, de même que la
maladie est plus dangereuse que l’assassinat. »
(sic !)
« À
elle seule, la concurrence terrible de l’Amérique et de l’Australie
bénéficiant du progrès des transports, fait peser déjà sur notre agriculture
et notre industrie une menace qui paralyse une large part de la production
anglaise, oblige l’Allemagne à courir les aventures coloniales et à chercher
coûte que coûte, des débouchés, réduit la France à commettre la même
erreur ; et cependant la main-d’œuvre américaine et australienne est
très exigeante et très élevée.
Que
sera-ce le jour où nous aurons mis la machine américaine aux mains de
l’ouvrier chinois ? Quand nous aurons mobilisé contre nous ces armées,
ces légions innombrables de producteurs affamés, vigoureux, sobres, habiles
et sans travail ?
La
surproduction dont nous sommes déjà victimes deviendra de plus en plus grande
encore et avilira brusquement le prix du travail.
[…]
il y aura pendant quelques années une résistance obstinée, une tentative de
faire face à la double lutte, mais il faudra finir par s’avouer la lugubre
vérité : à savoir que pour tous les produits susceptibles d’être imités
par les Chinois, et ils sont nombreux, depuis le sucre jusqu’aux allumettes,
nous devrons, nous Européens et Américains, nous donner de plus en plus de
mal pour gagner de moins en moins. »
« Donc
la nécessité s’impose à l’Europe de s’armer contre le péril de la concurrence
et particulièrement contre le péril chinois qu’elle est en train de
déchaîner, comme elle a déchaîné les autres, mais par des moyens beaucoup
plus rapides ».
J’ai oublié de
préciser que l’ouvrage d’Edmond Théry a été publié, pour la première fois, en
1901. Voilà donc plus d’un siècle que nous subissons la « concurrence
déloyale » de la Chine. C’est probablement là l’origine de tous nos
problèmes.
Merci à
Nicolas Dupont-Aignan et ses confrères de nous avoir dessillé les paupières.
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