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Dans une 1ère
partie, j’évoquais la « charte pour le progrès humain » publiée
en novembre 2014 par les socialistes et dans laquelle ils montraient qu’ils
n’avaient pas abandonné les vieilles lunes marxistes.
Dans cette
seconde partie, nous allons nous attacher à parcourir ensemble trois des
principales contributions au prochain congrès du PS, à Poitiers, début juin
2015.
À tout
seigneur, tout honneur, commençons par celle de la direction du Parti emmenée
par Jean-Christophe Cambadélis. « Unir pour faire vivre la République –
Les chantiers de l’égalité », tel est son nom. À vrai dire, ce texte
ressemble beaucoup à la « charte » citée plus haut. Des phrases
entières se retrouvent dans l’un et l’autre texte. Autant dire tout de suite
que l’on ne va pas y découvrir grand-chose.
Vous l’avez
compris, les porteurs de cette contribution entendent « faire de
l’égalité la grande cause ». Il s’agit, ni plus ni moins, de créer un
« modèle de développement coopératif et qualitatif, adossé à une
nouvelle croissance distincte de celle, prédatrice et inégalitaire, du siècle
dernier ». Bref, c’est du lourd.
Cambadélis et
ses sbires se réfèrent à la Révolution française qui « a fait de
l’égalité la fin et le moyen de la nation », à Jaurès et au socialisme
démocratique qui ont « fait de l’exigence d’égalité [leur]
horizon », et au Conseil national de la Résistance.
Pour les
partisans de cette contribution, « il n’y a pas d’humanité libre sans
individus libérés des inégalités de situation, de revenus, de destin, mais
aussi des inégalités liées au savoir, au genre, à l’emploi ». Les
inégalités sont donc partout et, pour les combattre, les socialistes
entendent utiliser leurs outils habituels : fiscalité, législation
(c’est-à-dire obligations, contraintes et normes de tout acabit) et éducation
(c’est-à-dire bourrage de crâne grâce aux relais que sont les enseignants,
les journalistes, les « artistes » invités à se prononcer sur tous
les sujets, les association et tous les censeurs au service de la vulgate
rose).
Je crois qu’en
ayant dit cela, j’ai tout dit de cette contribution vraiment très pauvre. Non,
j’exagère. J’allais oublier une révélation de taille : « l’UMP
préconise un thatchérisme à la française ». Sans commentaire.
Examinons
maintenant le deuxième texte, celui des « frondeurs », intitulé
« Le choix de l’espoir ». Le texte est plus agréable à lire, mais à
part cela, il n’y a guère de différence doctrinale avec la contribution
précédente.
On ne sera pas
surpris que les « frondeurs » de « Vive la
gauche ! » voient des « néolibéraux » partout (sans
jamais définir ce que serait le « néolibéralisme ») : en
Europe bien sûr, où ils imposent les politiques d’austérité ; dans le
monde entier même où ils ont « déterminé nombre de choix politiques ces
trente dernières années ». Ils se demandent même si les socialistes
français ne sont pas devenus « les derniers convertis à un libéralisme
vieillissant et dépassé ».
Ce
« néo-libéralisme » partout à l’œuvre ne produit, selon les
« frondeurs » que des malheurs : il a provoqué la crise des
subprimes de 2008 ; il favorise « les théories du déclin et les
nouveaux obscurantismes » ; il conduit à l’augmentation
« considérable des inégalités », à la crise écologique, aux
« attaques contre la démocratie ».
Ils appellent
donc les socialistes à « rompre radicalement avec le néolibéralisme et
imposer un nouveau paradigme ». Car « l’ambition du Parti
socialiste ne peut se limiter à atténuer les rigueurs d’une adaptation à la
mondialisation libérale. Il doit résolument demeurer un parti de
transformation sociale », notamment en favorisant « une égalité
réelle dans notre société ». Ah revoilà, « l’égalité réelle »
et le lien entre la contribution Cambadélis et la « charte ».
Pour les
frondeurs aussi, il s’agit de « transformer la société, avec l’égalité
réelle comme stratégie ». Concrètement cela nous conduit à des mesures
qui ne sont pas de la première fraîcheur : « réguler très fortement
le capitalisme financier », emprunter le chemin de la « transition
écologique », réhabiliter le « rôle social redistributif de l’impôt »
en instaurant, notamment, la « progressivité de la CSG », utiliser
« l’outil des nationalisations temporaires », refuser de
« considérer que les politiques de réduction du temps de travail sont
derrière nous », faire le choix des services publics, inventer les
« nouvelles conquêtes sociales du 21ème siècle », etc.
Concluons sur
la contribution de la gauche du PS avec ces deux phrases dirigées contre
Emmanuel Macron : « On ne peut pas fixer comme unique horizon aux
150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme
le ‘rêve’ moralement contestable et matériellement irréalisable de devenir
milliardaire. L’immense besoin d’idéal, de générosité, d’altruisme doit
trouver d’autres perspectives ».
Enfin,
examinons la proposition du « pôle des réformateurs », intitulée
« Inventer l’avenir ». Ce courant entend, lui aussi,
« construire une égalité réelle en combattant […] les inégalités de
chances et les inégalités de conditions, les inégalités a priori et les
inégalités a posteriori ». Pas de doute, nous sommes bien au PS. Les
signataires de cette contribution défendent « la mixité sociale »,
veulent « faire de l’accès au logement un droit réel », prétendent
préserver le système de santé. Ils réaffirment leurs valeurs, de
« solidarité », de « générosité », d’« attention aux
plus fragiles » et affirment pouvoir « réenchanter le monde. Le
monde d’aujourd’hui, comme celui de demain ! » On en aurait presque
la larme à l’œil…
Pourtant, ces
« réformateurs » ne sont pas de doux rêveurs. Ils pointent un des
paradoxes de la France : « C’est la nation où le principe d’égalité
est le plus affirmé, où l’arsenal législatif pour y parvenir est le plus
important. Et en même temps, c’est le pays où l’impact du milieu social sur
la réussite scolaire et professionnel est le plus fort, où la frontière entre
ceux qui sont exclus du marché du travail et ceux qui bénéficient d’un statut
protégé est la plus grande. Tout se passe comme si l’affirmation de l’idéal
d’égalité était inversement proportionnelle à la concrétisation de celle-ci.
Tout se passe comme si, à mesure que l’on développait des mesures pour
l’atteindre, les rangs des précaires, des chômeurs, des exclus ne cessaient
de grossir. »
Ils en
appellent donc au réveil de leurs camarades du PS, car « le logiciel
socialiste a vieilli et il est urgent de le reformater pour tenir compte des
réalités des temps présents ». Ils enfoncent même le clou, un peu plus
loin dans le texte : « En un mot, il faut dire ce qui peut
permettre de créer à nouveau la richesse dans notre pays. Faute de quoi les
discours les plus ronflants sur la justice sociale, la lutte contre les
inégalités, les beaux principes républicains sembleront vides car en décalage
total avec la réalité quotidienne qui est celle de nos concitoyens ».
C’est ainsi
qu’ils font le constat d’une panne de l’économie due à « l’inadaptation
de notre système de formation », « la faiblesse des marges de nos
entreprises » conséquence d’une « fiscalité pénalisante », à
« tous ces freins à la mobilité qui bloquent l’évolution des
entreprises », freins à l’embauche et freins à l’évolution de l’appareil
productif. Il faut donc que les entreprises aient davantage de souplesse dans
la gestion de leurs effectifs.
Bien sûr, tout
« réformateurs » qu’ils sont, ils veulent « répartir les
richesses », redistribuer. Mais ils affirment qu’il convient d’abord de
« produire » ces richesses, de créer. Et donc de « valoriser
ceux qui créent » et entreprennent. Ils veulent « baisser le coût
du travail », doter la France « d’une fiscalité plus favorable à la
prise de risque et à l’innovation », arrêter de « laisser filer nos
déficits » en menant « des politiques volontaristes pour réduire
notre dette », réformer les structures de l’Administration et simplifier
les procédures.
Que
conclure ? Ce qui est frappant, c’est cette référence commune aux trois
contributions à « l’égalité réelle », c’est-à-dire à tous ces
« droits à » quelque chose, à ces droits-créances qui impliquent
des créanciers et des débiteurs. La plupart des socialistes – la direction du
PS derrière Jean-Christophe Cambadélis comme les « frondeurs »
derrière Benoît Hamon – veulent arriver au résultat par toujours plus de
réglementations, d’impôts, de déficits publics, de politiques de relance. Les
« réformateurs », en revanche, mettent l’accent d’abord sur la
création de richesses, l’entreprenariat, l’innovation. Au moins ont-ils
commencé à comprendre quelque chose de l’économie.
D’ici quelques
semaines, les militants socialistes se prononceront pour chacune des 27
contributions. Il y a fort à parier que celle des « réformateurs »
ne recueille qu’un faible nombre de suffrages.
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