Ah, la SNCF ! À lire les nombreux articles de presse, les plaintes récurrentes d’associations d’usagers (usagés ?), les épais dossiers concoctés par les journalistes (et la présente enquête de Contribuables Associés n’y échappe pas), on en vient assez vite à croire que la Société Nationale des Chemins de Fer est une plaie, un de ces maux insupportables que la société française se doit de supporter sans même pouvoir grincer des dents. À en croire tout ce monde, si la SNCF devait être résumée en une phrase, celle-ci serait écrite avec des mots découpés dans un journal, remplie de mots grossiers, collés de travers sur une carte postale défraichie arrivée froissée avec quinze ans de retard à son destinataire.
La barque, ou plutôt le tender, ici, est chargé. Et lister l’ensemble des problèmes que trimballe, fort péniblement, la société publique de transports ferroviaires ressemble chaque jour un peu plus à une séance de tir sur la proverbiale ambulance.
Pourtant, ce serait malhonnête d’oublier tous les bons côtés de la SNCF. Ce serait même dommage d’omettre tous les aspects bénéfiques que l’entreprise nationale aura permis de développer grâce à son mode de fonctionnement et de management si particulier, qui font vraiment de l’exception française une réalité reconnue de tout le reste du monde.
Et des aspects bénéfiques, il y en a.
Prenez les horaires, rarement tenus. Eh bien grâce à eux, les entreprises ont appris à s’adapter à tout ; si c’est bel et bien un facteur de stress supplémentaire, c’est aussi une méthode (pas très agréable mais diaboliquement efficace) pour forcer ces entreprises à penser à toutes les redondances possibles dans leurs chaînes logistiques, à ne surtout pas les faire reposer uniquement sur les services souvent calamiteux fournis par la SNCF ou ses amusantes filiales, ou encore à proposer aux employés-clés des solutions nombreuses de télétravail, les rendant moins sensibles à ces variations d’horaires, dont la société nationale n’est jamais responsable (pardi !).
Les grèves ont poussé les uns et les autres à trouver d’efficaces systèmes de contournement. Entre la marche à pied, le vélo ou la voiture, on ne compte plus le nombre de Français qui grâce à la SNCF, ont durablement appris à se passer de ses services.
De ce point de vue, ses tarifs illisibles et prohibitifs, ainsi que la fermeture régulière de petites lignes inter-régionales, ont permis l’émergence d’une concurrence solide et directe de la voiture et de l’avion. C’est ainsi que les low-costs se sont développés précisément pour proposer un prix inférieur à celui des trains : bien qu’élevés, ils restaient inférieurs à ceux des lignes régulières. Et même lorsque les compagnies aériennes régulières parvenaient à s’aligner avec les tarifs de la SNCF, leur éloignement des centres-ville jouait en leur défaveur. Il fallait un prix franchement inférieur pour justifier l’avion plutôt que le train. Dans ce cadre, le temps que la SNCF a mis pour comprendre sa clientèle aura laissé une marge de manœuvre décisive aux compagnies aériennes à bas coût dont on connaît, maintenant, la réussite. A posteriori, ces compagnies peuvent dire merci à l’entreprise nationale.
En outre, le développement du covoiturage doit beaucoup au fléau SNCF. Blablacar est un concurrent direct de la SNCF (cette dernière s’en plaint même) et cette société constitue une alternative solide qui n’aurait pu émerger dans un contexte où le train serait rapide, ponctuel, efficace et bon marché. À la limite, les Français peuvent clairement bénir la SNCF pour ce gain en autonomie insoupçonnable qu’ils auront développé, contraints et forcés, grâce aux surprises permanentes que leur a imposées l’entreprise publique.
Et comment oublier que ces grèves, et ce covoiturage sont un vecteur évident de lien social ? Combien de couples se seront formés grâce au covoiturage ? Combien d’usagers ulcérés et de consommateurs bafoués auront appris à former une association loi 1901, à rassembler leurs innombrables plaintes et à rediriger leurs multiples frustrations par des actions de groupe ? N’y-t-il pas là autant d’opportunités pour les Français de se parler, de se grouper, de se retrouver et de discuter pour savoir comment se passer de la SNCF, ou en obtenir réparation ?
Enfin, cette multiplication des grèves et des incidents de travail permettent de diffuser une image assez exacte et de plus en plus précise de la valeur des syndicats de la maison.
Qui aurait cru, il y a trente ou quarante ans, que ces syndicalistes se battraient pour le maintien, à tout prix, d’une liste d’avantages de plus en plus en décalage avec les réalités que connaissent les Français du secteur privé ? Sans la multiplication de leurs actions souvent iniques ou scandaleuses, qui aurait pu croire que ces syndicats roulaient non sur des rails, mais sur l’or et sur les riches dotations que l’entreprise leur octroyait pour assurer une (toujours plus fragile) paix sociale ?
Ainsi, chaque nouveau conflit, chaque nouveau jour d’arrêt de travail pour des demandes toujours plus révoltantes ou loufoques, auront augmenté le nombre de contribuables et d’usagers de leurs sévices décidés à leur faire rendre gorge. Chaque entreprise qui aura mis la clef sous la porte par la faute, directe ou indirecte, de l’un de ces conflits à rallonge de la SNCF, c’est autant de salariés et de patrons marqués à vie par l’idée qu’une privatisation de tout ce bazar s’impose au plus vite. Chaque étudiant qui aura loupé son examen ou son concours parce qu’arrivé en retard (ou pas du tout) suite à « un mouvement de grève d’une certaine catégorie de personnel roulant », c’est autant de personnes dont la vie, dramatiquement impactée, ne versera pas une larme lorsqu’il s’agira de démanteler cette entreprise.
Alors oui, certes, la SNCF apporte presque tous les jours son lot de misères à ceux qui doivent en devenir l’usager. Mais comme le dit l’adage, les poisons qui ne tuent pas rendent plus fort. En matière de transports, grâce à la SNCF, les Français sont devenus des demi-dieux.
Merci à la SNCF !
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Ce billet a servi de chronique pour les Enquêtes du Contribuable
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