Il s’en passe, des choses, à Arles ! Et il s’en passe, des choses, pour la Ministre de la Culture ! On apprend en effet que lors de l’inauguration des Rencontres Internationales de la Photographie, Fleur Pellerin a décidé de la création avant la fin de l’année 2015 d’un Conseil National de la Photographie. Ouf, il était temps, la France n’était décidément pas complète sans lui.
Et voilà bien un sujet passionnant. Je ne parle pas de la photo, dont tout le monde comprend immédiatement l’intérêt d’autant plus que de nos jours, n’importe qui peut s’improviser photographe avec un téléphone (décadence du monde moderne où les objets dépassent les limites de leurs usages et où, bientôt, les lessiveuses feront aussi télévision et les vibromasseurs sauront aussi faire le café). Je parle plutôt d’un nouveau Conseil National qui va enfin permettre de répondre, par le truchement étatique, aux mille et uns besoins non comblés en matière de photographie.
Et à en croire la petite Fleur, des besoins non comblés, il y en a, en grosses trouzaines joufflues :
« Ce conseil national de la photographie pourra s’emparer de sujets qui vous tiennent à cœur et vous préoccupent, comme l’évolution de la protection sociale, comme salariés ou artistes, d’œuvres, des questions de fiscalités, les évolutions de la protection, du droit, de la propriété intellectuelle dans un contexte de libéralisation accélérée »
Oh, comme cela est bien dit ! On imagine déjà le petit conseil national, fraîchement né, bondissant dans les prés aux herbages hauts, jouant gentiment avec ses découvertes du jour, et, d’un coup sec, s’emparer de plein de sujets dans ses petits doigts potelés de nouveau-né plein de vigueur. Et quels sujets ! De la protection sociale ! Des questions de fiscalité ! Des questions sur la propriété intellectuelle ! De l’aventure ! De la romance ! De l’amûûûr ! Youpi !
Et en terme de petits doigts potelés, cela se traduira concrètement par un bureau, deux collèges et trois roudoudous. Le bureau, avec son président, son secrétaire et quelque autre fonction honorifique, dirigera les deux collèges, l’un scientifique, et l’autre professionnel, parce que vous comprenez, la photo, c’est un sujet émotif sensible qui nécessite au moins tout ça, d’autant que, ne l’oubliez pas, tout ceci s’inscrit « dans un contexte de libéralisation accélérée » (comprenez ici que le méchant turbolibéralisme met les professions de photographe en péril, et que seul l’État peut se dresser, comme un seul homme aux poches pleines de longues factures, pour dresser un barrage bureaucratique au progrès destructeur). Quant aux autres professions, moins versées dans l’art du lobbyisme et qui n’ont pas encore leur Conseil National, elles pourront toujours aller se faire cuire un œuf.
À ce titre, on se demande d’ailleurs comment à peu près tous les autres pays du monde parviennent à se passer de ce genre d’appendice bureaucratique de la ministricule cultureuse, qui aura poussé la perfection jusqu’à asperger tous les présents d’une bonne giclée de vivrensemble bien dégoulinant qu’il me ferait violence de ne pas vous citer in extenso :
« Les Rencontres de la photographie sont à l’image de cette culture source d’emploi et d’attractivité de notre territoire, source d’émancipation intellectuelle, source de lien (…), source de solidarité et de transmission, source de pédagogie sur les valeurs que nous désirons transmettre aux générations suivantes »
Shplaf, voilà, c’est fait, tout le monde en a pris plein la besace, c’est superbe, c’est mignon, c’est payé par le contribuable, et c’est un peu du floutage de gueule (comme on dit en photo lorsque le point n’y est pas).
Et pourquoi diable ? Bon, bien sûr, il me serait assez facile de m’étendre en quelques lignes sur les coûts induits inévitablement par cette nouvelle création qui ne manquera pas de venir s’immiscer dans la vie des photographes de leurs clients, et d’empêtrer tout ce beau monde dans une masse informe de paperasserie nouvelle. C’est, quasiment, l’unique destinée de ce genre de machins que la République, nos ministre et nos élus, devenus fous, pondent par dizaines tous les ans dès qu’un vague problème surgit.
Mais ici, je vais plutôt m’attarder sur le timing diabolique de l’annonce de la création de ce nouveau concombre bureaucratique turgescent, qui coïncide assez bien avec la publication au parlement européen, le 9 juillet prochain, de son avis concernant le rapport sur le droit d’auteur, rédigé par le député Julia Reda, du Parti pirate.
J’avais évoqué l’un et l’autre dans un précédent billet sur, justement, le droit d’auteur et la propriété intellectuelle. Les propositions, que j’invite à lire en résumé ici et en détail là sont intéressantes en ce qu’elles font, pour une fois, preuve de bon sens et visent essentiellement à harmoniser les droits des différents pays, en essayant à chaque fois de tenir compte des usages les plus favorables pour le grand public. On se souviendra par exemple que la député européenne propose d’étendre certaines exceptions du droit d’auteur dans le domaine numérique, en étendant par exemple le droit de citation pour tenir compte des GIF animés.
En outre, et c’est ici qu’on en revient aux photographies, on découvre que le projet Reda propose (entre autres) d’harmoniser le « droit de panorama ». Il s’agit d’une exception au droit d’auteur qui autorise un individu à capturer (en dessin, photo, film, …) des bâtiments, sculptures ou œuvres d’art situés dans l’espace public et à diffuser ces images, sans avoir à demander l’autorisation de leur auteur. En gros, ce que font tous les internautes du monde depuis que la photo s’est très largement démocratisée, et que des sites comme Flickr, Google Images ou Picasa proposent d’héberger les clichés en question. Dans certains cas dépendant du pays européen, le droit de panorama autorise même à vendre légalement des cartes postales de monuments publics, sans que l’architecte ou ses ayants-droit ne puisse demander un paiement.
Or, et c’est là que les choses deviennent croustillantes : en France – devinez quoi – la loi sur le droit de panorama est l’une des plus contraignantes en Europe (comme c’est souvent le cas au pays de la liberté surveillée). La proposition de Julia Reda reviendrait donc à tailler dans cette contrainte franco-française, et rendrait nettement plus simple la vie des internautes et touristes en France qui, prenant une photo de l’un ou l’autre monument historique du pays pour la publier sur Facebook, Twitter ou Flickr, ne savent pas qu’ils sont en réalité en infraction.
Évidemment, cette disparition d’une contrainte a fait frémir d’effroi quelques députés européens français dont Jean-Marie Cavada qui, pour bien faire passer l’idée générale qu’il faut absolument que la France reste dans le petit groupe des 5 pays interdisant ce droit, accuse presque ouvertement Julia Reda d’être à la solde de Facebook, Flickr, Google et j’en passe, méchants groupes qui refusent de payer les gentils droits d’auteur sur les beaux monuments de notre patrimoine (notons que l’argument selon lequel Cavada serait gentiment orienté par les lobbies adverses, composés de photographes, d’architectes et de groupes médias tout aussi intéressés n’est pas évocable, bien sûr).
En somme, on se dirige droit, en petites foulées vigoureuses, vers un bel imbroglio au niveau européen, et la démarche pellerinesque n’en prend que plus de saveur : alors que l’issue des proposition de Reda est totalement incertaine, alors que le droit d’auteur et ses exceptions peuvent changer drastiquement, voilà notre ministre qui crée une magnifique Commission Théodule de plus dont on se demande exactement ce qu’elle pourra faire, le droit européen étant finalement supérieur aux bricolages juridiques français.
Mais je suppose qu’il fallait bien cela pour sauver les petits pioupious photographes et les aider à « s’emparer des sujets qui leur tiennent à cœur et les préoccupent ». Et puis après tout, le socialisme, c’est magique™ !
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