Joie, bonheur, santé et moules-frites à volonté, la France peut s’enorgueillir, une fois de plus, de récolter par brassées opulentes de nombreux contrats industriels qui se solderont par moult emplois, force milliards d’euros et des emplois par millions : c’est avec le sourire et les fesses roses qu’on apprenait il y a quelques jours que le constructeur naval français DCNS remportait un mirifique contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie…
Allons, ne faisons pas la fine bouche : youpi, un contrat décroché pour notre industrie, voilà qui tombe à pic. Avec des chiffres du chômage qui marqueraient presque une inversion de courbe fort utile pour un certain futur candidat, cette nouvelle a permis à François le président de terminer le mois d’Avril sur une note résolument optimiste.
Bon, certes, dans le monde réel, le chômage ne baisse pas vraiment vraiment. Entre les radiations, les artefacts statistiques et les bidouillages plus ou moins sobres pour aboutir aux chiffres médiatisés, on comprend que la question d’une baisse réelle se pose vraiment, mais là encore, ne nous attardons pas trop sur les détails puisque le tableau d’ensemble, résolument joyeux, permet de redonner de l’espoir aux Français, n’est-ce pas.
Et concernant les sous-marins, l’analyse montre que le contrat, annoncé à 34 milliards d’euros, n’en rapportera pour la France qu’une douzaine, et encore, sur une période de cinquante années, soit 240 millions par an, et encore, s’il est effectivement signé, puisqu’il s’agit pour le moment d’une négociation exclusive avec le gouvernement australien.
Mais baste, ne boudons pas notre plaisir : le chômage baisse, des sous-marins sont vendus, l’argent rentre à gros bouillons, c’est supayr et décidément, les gros contrats joufflus, il n’y a que ça de vrai.
Eh bien peut-être que justement, le problème en France est qu’il n’y a guère que ce genre de gros contrats joufflus.
Je m’explique.
Tout ce que la presse compte d’organes a rapidement vibré la semaine passée du bonheur que représentent ce gros contrat, mais peu sont les mêmes organes qui se sont interrogés sur ce qui fait, effectivement, vivre le peuple français au jour le jour, et, par voie de conséquence, son Etat qui, pour rappel, carotte plus de 44% des richesses produites et dont les dépenses représente 57% du PIB.
Parce qu’il faut bien comprendre que même si ces gros contrats sont, par leurs montants, particulièrement attractifs, ils ne sont pas, loin s’en faut, ce qui permet à l’écrasante majorité des Français de faire chauffer la marmite. En réalité, la majeure partie de la richesse produite en France l’est par des structures de petites tailles, ces fameuses « Petites Et Moyennes Entreprises », qui comptent moins de 250 salariés et font moins de 50 millions de chiffres d’affaire par an, ces commerçants, ces artisans et ces patrons d’entreprises unipersonnelles qui forment le tissus économique français. On compte 3 millions de ces PME en France, contre moins de 300 grandes entreprises françaises.
Or, en cas de crise, une grande entreprise qui devra s’adapter à un changement important de l’économie mondiale subira directement l’inertie liée à son poids, ses habitudes et ses méthodes de travail qu’on change d’autant moins facilement que l’entreprise est grande et implantée dans de nombreux pays, dans de nombreuses cultures différentes. La taille, qui constitue un avantage pour toucher un maximum de marchés, représente parfois un handicap lorsque les temps changent brutalement (Kodak en a par exemple fait l’amère expérience).
De leur côté, les PME ont l’avantage de fournir, par leur nombre, de très nombreuses opportunités d’adaptations à des offres d’emplois variées et elles aussi très nombreuses. Leur adaptabilité en cas de changement important de la conjoncture économique est ce qui protège le mieux le tissu économique en cas de crise. Leur souplesse, face à la concurrence, permet de faire émerger de nouveaux comportements, de nouvelles méthodes, de nouveaux produits ou services là où une grande entreprise prendra des années voire des décennies pour obtenir le même résultat.
Une fois ces éléments rappelés, les paillettes et cotillons autour des sous-marins retombent : dans ce contexte où ce sont bel et bien les PME qui créent les emplois, les richesses et la croissance du pays, l’obsession politique et médiatique des grands contrats publics apparaît plutôt comme un handicap. Les politiciens semblent en effet miser beaucoup et peut-être trop sur les grands champions français.
Du reste, les dernières années ont prouvé qu’en plus de miser sur des grands groupes, ces mêmes politiciens misaient sur les mauvais ou ne les incitaient pas vraiment à faire attention. Les aventures d’Areva au pays de l’Uranium, les bricolages à répétition avec Air France, les dettes abyssales d’EDF ou de la SNCF et tant d’autres rappellent pour qui en douterait que plus souvent qu’à son tour, l’Etat et l’argent public fut mobilisé dans de bien mauvaises affaires.
Autrement dit, en favorisant parfois outrageusement une certaine forme d’entreprises — i.e. les grands groupes monopolistiques ou quasiment, dans lesquels l’État est actionnaire voire majoritaire, et dont les dirigeants sont très (trop ?) souvent issu du sérail politique — on a clairement misé sur la portion congrue du tissu économique français, et pas sur la portion la plus agile, robuste et adaptable.
Ainsi, sur les 40 dernières années, l’État s’est mêlé de créer ou de faire créer de nombreux grands groupes, et à mesure que ceux-là grossissaient, d’importantes ressources (financières, humaines, médiatiques, diplomatiques, et j’en passe) leur ont été consacrées qui, en dernière analyse, auraient plus que sûrement mieux bénéficié aux petites et moyennes entreprises françaises, parents pauvres des politiques économiques en la matière. En somme, les politiciens ont systématiquement choisi d’aider avec l’argent public ceux qui en avaient le moins besoin en prenant cet argent à ceux qui en auraient fait le meilleur usage.
Bien sûr, la raison de ces choix faits sciemment est évidente : politiquement, une myriade de petits groupes et d’entreprises moyenne rapporte moins qu’un grand groupe de renommée internationale. Les PME sont médiatiquement moins porteuses. Et pour un politicien, les amis, les accointances et les connivences sont bien plus intéressantes lorsqu’elles sont dans un grand groupe que dans une petite entreprise.
Alors certes, ne boudons pas notre plaisir puisque, dit-on, des sous-marins seraient vendus et de l’argent rentrerait à gros bouillons. Mais n’oublions pas que derrière ces gros contrats, des milliers de PME ne trouveront aucune oreille attentive, aucun financement, aucune latitude auprès des administrations.