On l’apprend dans une presse un peu atone entre les orages, la grêle, la foudre et les grèves plus-trop-surprise d’un service plus-trop-public : François Hollande renonce à amputer le budget de la recherche de 134 millions d’euros. Finalement, le changement, ce ne sera pas maintenant non plus : à un an du potentiel renouvellement de tableaux à l’Élysée, ce serait dommage de se lancer dans des réformes, d’autant plus que les plus modestes ont déclenché des vagues de protestations, de grèves et de casses dans tout le pays.
Tout s’est déroulé comme prévu.
Dans un premier temps, lors de l’élaboration d’un budget gouvernemental serré comme un café clooneysque, il avait été décidé de faire quelques économies de 134 millions d’euros dans le budget de la Recherche en France.
Dans un second temps, ce budget fut présenté devant les partenaires européens, puis accepté par ceux-ci et adoubé du oui timide et inquiet de la Commission européenne, pas vraiment dupe des pipeautages hollandesques mais diplomatiquement poussée à accepter l’entourloupe.
Dans un troisième temps, la popularité du chef de l’État refusant toujours de décoller un peu en vue d’une campagne présidentielle qui s’annonçait tendue, il fut donc décidé de ne surtout pas aller plus loin dans ces coupes budgétaires abominables qui plongeaient le pays dans une austérité turbo-libérale insoutenable.
(On ne s’en lasse pas, voici l’état des lieux de l’austérité en question, froid de canard et petit cheval mort inclus 🙂
Alors, puisqu’austérité et économies il ne devra pas y avoir dans la Recherche, annonçons-ça en grandes pompes (et petit parapluie puisqu’après tout, depuis Hollande, gouverner c’est pleuvoir) : moyennant un petit tweet élyséen avec force photos et moult prix Nobel et autre médaillé Fields, et après avoir reçus ce beau monde sous les ors de la République, on annoncera annuler complètement tout projet de couper 134 millions d’euros de crédits sur la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Tous ces gros millions joufflus concernaient les crédits de quatre organismes de recherche (CEA, CNRS, INRA, Inria) sur une coupe de 256 millions d’euros pour la mission Enseignement supérieur et recherche, soit un quart du total des crédits que le décret prévoyait de ponctionner, à hauteur de 1,1 milliard d’euros.
Nos chercheurs médaillés repartent la tête haute, le cœur soulagé et heureux d’avoir pu convaincre le Président de l’importance cruciale de la recherche.
Youpi.
Enfin, youpi, c’est une façon de voir les choses.
C’est la façon « l’argent des autres m’est nécessaire et il est bien plus facile à dépenser que le mien à gagner ». Parce qu’après tout, les 134 millions d’euros ne sortiront ni de la poche de nos médaillés, ni de celle de François Hollande. Bien évidemment, on peut toujours arguer (à raison) que ces médaillés, par leurs découvertes et leur prestige, rapporteront certainement des sommes conséquentes au pays. Certes, mais on voit mal en quoi ceci pourrait justifier alors d’aller piquer dans la poche des classes moyennes et modestes, les plus nombreuses. D’autant qu’il n’est même pas impossible d’imaginer que les découvertes et le prestige en question rapporte surtout en dehors de nos frontières…
C’est surtout une façon de dire « mais sans l’État, qui fera la recherche fondamentale ? », question faussement ingénue qui regroupe à elle seule tout le paradigme mortellement collectiviste et socialisant dans lequel notre société a gentiment basculé depuis plus de 40 ans avec pertes et fracas. Pour beaucoup, en effet, le message est maintenant passé, inaltérable : laissées à elles-mêmes, les sociétés privées ne savent pas faire de recherche et de développement, seul l’État peut se lancer dans des trucs a priori pas rentables et découvrir des notions fondamentales de l’Univers pour sauver l’Humanité et inventer le fil à couper le beurre en prime.
Bilan : en France, les budgets à la Recherche n’ont pas cessé d’augmenter ces dernières années… Sans qu’on puisse observer ni une remarquable progression de nos résultats scientifiques, ni une explosion des découvertes sur notre territoire, ni même un quelconque progrès dans le nombre d’emplois directement ou indirectement créés par cette recherche.
D’ailleurs, ça tombe bien (ou mal, c’est selon le point de vue, finalement), la Cour des Comptes a régulièrement écrit quelques petits paragraphes acidulés au sujet du CNRS en particulier et des organismes de recherche en France en général, et le moins qu’on puisse dire est que les Sages de la rue Cambon sont franchement mitigés sur les résultats obtenus en regard des fonds dépensés.
Ainsi, en 2002, l’effort de recherche public était de 0,82% du PIB et l’effort privé de 1,42%. Après plus de dix ans de « Recherche prioritaire » et d’une augmentation des efforts budgétaires, les chiffres respectifs en 2011 sont de 0,82% et de 1,43%. La différence semble avoir été quelque peu absorbée par les CIR (crédits impôt recherche) dont j’avais narré les péripéties il y a deux ans et qui s’est essentiellement traduit par des redressements fiscaux carabinés pour ceux qui s’y sont risqués.
À ces remarques s’ajoutent l’instabilité des directions prises pour la Recherche par le gouvernement, d’années en années, à laquelle s’ajoute les immanquables « réformes », marques indispensables du passage de l’un ou l’autre ministre, qui ne font qu’alourdir et empêtrer un peu plus les équipes dans une paperasse administrative douillettement létale.
En réalité, au soulagement de nos chercheurs, on pourrait aussi rétorquer qu’il serait plus que temps que la France s’aligne enfin sur les meilleures pratiques étrangères et que ces 134 millions de coupes étaient peut-être l’occasion de forcer ces indispensables remises à plat. Peut-être faudrait-il envisager d’introduire plus sérieusement les entreprises dans les universités, comme le tente timidement une Myriam El Khomri poussée par Cisco, quitte à déclencher des crises d’urticaire chez quelques fossiles gauchistes qui n’ont toujours pas compris qu’une recherche publique et un enseignement gratuit, cela coûte très cher. D’ailleurs, peut-être faudrait-il aussi nettement revoir les barèmes et grilles de salaires de nos chercheurs : avoir un nombre de fonctionnaires-chercheurs moins grands mais mieux payés pourrait durablement changer la donne en terme de résultats.
Au-delà des salaires, ces coupes auraient pu avoir un effet salvateur : celui de forcer les universités à se retourner, enfin, vers le marché, celui qui, finalement, permet le mieux d’évaluer ce qu’on attend des chercheurs, de mettre en relation ceux qui sont prêts à payer avec ceux qui sont prêts à chercher. De ce point de vue, la recherche américaine, allemande ou anglaise, bien plus en phase avec le monde de l’entreprise, nous donne des pistes sérieuses d’amélioration que notre gouvernement et les précédents semblent oublier avec componction.
Le Président François a donc tranché, il n’y aura pas d’économies. Rendormez-vous, amis chercheurs, la remise-à-plat de ce système qui fonctionne si bien ne sera certainement pas lancée maintenant. Fidèle à lui-même, le pédalomane a abandonné en rase campagne toute velléité de faire quelque chose d’un peu ferme, et laissera à l’intendance le travail de tout réorganiser suite à son demi-tour budgétaire.
Non, décidément, le renoncement, c’est maintenant, encore une fois.