Gilbert(1) a travaillé pendant 17 ans au service contentieux
d’une URSSAF locale du Sud-Ouest. Aujourd’hui employé d’un cabinet comptable,
il évoque une politique de contrôle souvent abusive, destinée avant tout à “faire
du chiffre“. Nous lui avons posé quelques questions pour tenter d’en
savoir un peu plus.
LORETLARGENT.INFO : Pourquoi avoir choisi de quitter votre emploi
à l’URSSAF pour travailler dans un cabinet comptable du secteur privé ?
GILBERT : Alors, soyons clairs dès le départ, les URSSAF ne
sont pas des établissements publics, et les gens qui y travaillent n’ont pas
le statut de fonctionnaires. C’est une erreur que font beaucoup de personnes,
y compris dans certaines administrations, sans doute parce que les URSSAF
exercent un service public par délégation et collectent des
prélèvements obligatoires fixés par l’État. C’est d’ailleurs cette ambiguïté
qui a lentement amené ces organismes à se comporter comme des titulaires de
la force publique, dans tous les sens du terme, avec aujourd’hui un sentiment
de toute puissance qui les fait parfois agir en pensant n’avoir de comptes à
rendre à personne. J’ai fini par ne plus me sentir à l’aise avec cette
conception…
L.I. : Vous voulez dire que l’URSSAF peut faire ce que bon lui
semble sans le moindre contrôle ?
G. : L’URSSAF rend forcément des comptes sur son mode de
fonctionnement et soumet régulièrement ses procédures à des autorités qui en
valident le principe. Le réseau dépend à la fois du ministère de la Sécurité
Sociale et de celui du Budget, donc difficile de faire n’importe quoi. Mais
sur le terrain, certains salariés peuvent avoir l’impression qu’ils ont carte
blanche pour atteindre les objectifs. Et comme, au final, seules les
performances comptent, on comprend assez vite que tous les moyens
sont bons pour y parvenir. Évidemment, dans les limites de la loi ! Mais pour
le reste, tout dépend des valeurs morales et humaines de chacun…
L.I. : La mission des URSSAF est de collecter les cotisations
salariales et patronales destinées à financer, notamment, le régime général
de la Sécurité sociale. C’est l’État qui décide des montants en question,
alors pourquoi selon vous les gens ont-il une si mauvaise image des URSSAF ?
G. : Tout simplement parce que les gens, comme vous dites,
mais plus spécialement les employeurs, ont depuis longtemps compris que les
URSSAF n’étaient pas des interlocuteurs qui leur voulaient du bien. Par
exemple, l’une des missions des organismes de recouvrement est de conseiller
les entreprises. Or, la plupart du temps, cette mission est ignorée
et on attend surtout que des anomalies apparaissent… pour pouvoir mieux les
redresser par la suite.
L.I. : On laisserait volontairement les entreprise commettre des
erreurs ?
G. : J’ai sans doute un peu forcé le trait, mais ce
raccourci un peu provoc’ n’est malheureusement pas très loin de la réalité.
En fait, l’obligation de conseil des URSSAF (car c’est une mission prévue
dans les statuts) va se limiter à répondre aux employeurs qui auront
expressément demandé des informations. Et encore, la réponse dépendra souvent
de la question, si bien que lorsqu’un employeur évoquera un problème dont il
ne maîtrise pas toutes les subtilités, on se gardera bien de le renseigner
sur des dispositifs qu’il n’aura pas lui même abordés ou spécifiquement
mentionnés, même s’ils s’appliquent à son cas et même s’ils peuvent l’aider à
résoudre son problème. De la même façon, le temps de traitement des
dossiers n’est pas toujours justifié et entraîne souvent un
dépassement des délais que l’entreprise doit respecter. C’est vrai que la
réduction de personnel décidée récemment sur l’ensemble du réseau n’a pas
aidé, mais les dossiers prioritaires ont toujours été ceux sur lesquels on
peut récupérer quelque chose immédiatement ; les réponses aux questions de
ceux qui souhaitent éviter de se tromper, cela vient après. À mes débuts, mon
supérieur hiérarchique aimait répéter : “ici, on n’évite pas les
problèmes, on les redresse“. Une phrase ambigüe qui peut avoir plusieurs
interprétations, et c’est justement ce qui est voulu.
L.I. : C’est ce qui vous fait dire que 80% des contrôles URSSAF
sont injustifiés ?
G. : En partie. Ils seraient surtout facile à éviter, mais
cela remettrait en question tout le fonctionnement interne des URSSAF.
L.I. : Les contrôles constituent donc une part si importante de
l’activité des URSSAF ?
G. : Non, au contraire ! Et c’est bien là l’ironie de
l’histoire. Quand j’ai quitté mon poste, le réseau des URSSAF procédait à
environ 85000 contrôles sur site par an, ce qui est à la fois peu et
beaucoup. Peu, car au regard du nombre d’entreprises en activité, c’est une
goutte d’eau dans l’océan. Beaucoup, car une bonne partie auraient pu
être évités avec un peu plus de conseil et de prévention. Quoi qu’il
en soit, sur ces 85000 entreprises contrôlées, plus de 50000 étaient
effectivement redressées, pour un montant moyen de 25 à 30000 € par
redressement. L’antenne dont je dépendais était légèrement en-dessous de
cette moyenne. Au total, cela représentait 1,3 milliards d’euros pour la
France entière.
L.I. : C’est énorme.
G. : En fait, non. Là encore, c’est une fausse impression.
Quand on sait que les sommes collectées chaque année par les URSSAF
avoisinent les 350 à 400 milliards d’euros, on voit à quel point les
redressements sont marginaux. D’ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse
paraître, les services contentieux sont les moins “rentables” des services
URSSAF : alors qu’ils représentent en moyenne 15% des dépenses de
fonctionnement, ils ne rapportent que 0,3 à 0,5% des “recettes”.
L.I. : Pourquoi alors accorder autant d’importance aux
redressements, quitte même à les provoquer comme vous le prétendez ?
G. : Parce qu’une partie de la rémunération des contrôleurs
est basée sur leurs performances. Plus exactement, en plus du salaire qu’ils
perçoivent chaque mois, leur statut prévoit une prime d’intéressement
indexée, pour partie, sur les résultats nationaux du réseau des URSSAF, et
pour l’autre partie sur les performances de l’antenne dont ils dépendent. Et
on entend par “performances” la capacité à recouvrer les impayés notamment.
Par conséquent, le redressement devient un objectif essentiel
particulièrement motivant. Et le contrôle n’est rien de plus que l’élément
déclencheur susceptible d’aboutir à un redressement. Plus la législation se
complexifie et plus le risque d’erreur s’accroît ; peu importe que
l’employeur soit de bonne foi, “nul n’est censé ignorer la loi”. Néanmoins,
il y a eu récemment un changement dans le ciblage des entreprises à
contrôler, si bien que le nombre de redressements est passé de 60% en
2010-2013 à environ 50% aujourd’hui. Une manière de répondre à ceux qui
trouvaient que les redressements devenaient de plus en plus systématiques.
Dans les faits, si le nombre d’entreprises redressées à diminué c’est surtout
parce qu’on a inclus certaines visites de vérifications dans la catégorie des
contrôles (qui ont donc mécaniquement augmenté sur le papier), et aussi parce
que les inspecteurs se concentrent désormais en priorité sur les plus gros
impayés. Moins d’employeurs redressés, certes, mais plus rentables.
L.I. : Justement, quand vous parlez des risques d’erreurs, quelles
sont les principales causes de redressement ?
G. : En tête du palmarès, on trouve évidemment les
rémunérations pour lesquelles il n’y a pas eu de versement de cotisations. On
pense tout de suite au travail dissimulé (le “black”), mais en réalité, cette
infraction ne concerne bien souvent que 10% des cas, grand maximum.
La plupart du temps, ce sont des primes ou des indemnités dont l’inspecteur
va considérer qu’elles constituent des rémunérations. Idem pour les notes de
frais et les avantages en nature dont l’appréciation va dépendre grandement
de la capacité de l’employeur à les justifier. Autre grand classique, les
subtilités de calcul de cotisations sur les bas salaires, alternant
allègements et revalorisations en fonction des lois en vigueur (la dernière
en date étant la loi Fillon). Ces régularisations peuvent parfois donner
lieu à des remboursements au profit de l’employeur (dans 15% des cas
en moyenne) mais aussi à des redressements assez salés, en particulier dans
les grosses entreprises avec plusieurs milliers de salariés. Quoi qu’il en
soit, au moindre doute, on redresse sans possibilité de remise gracieuse,
alors même que dans plus de 90% des cas l’employeur est de bonne foi et
qu’une simple information en amont aurait pu lui éviter de commettre une
erreur.
L.I. : Pour terminer, que pensez-vous du collectif des Plumés qui
regroupe des chefs d’entreprise dénonçant les abus des URSSAF ?
G. : La plupart de ces gens ont subi de lourds redressements
et certains ont même dû fermer leur entreprise. On peut comprendre qu’ils
aient mal vécu leur expérience avec l’URSSAF mais, même si leurs attentes
sont légitimes et même si leur action est à encourager sur le fond, en ce qui
concerne la forme je dirai que l’exaspération engendre souvent l’excès. Et
c’est justement ce qui semble caractériser leur politique de communication, décrédibilisant
du même coup les vrais problèmes qu’ils soulèvent. Toutefois, sans
entrer davantage dans le détail de leur action, je trouve intéressante leur
idée d’une charte que devraient signer tous les organismes de recouvrement,
en faveur de davantage de conseil et moins de répression. Moins de suspicion
aussi, afin que les erreurs des employeurs soient reconnues comme telles et
non plus sanctionnées comme de véritables fraudes commises en toute
conscience.
(1) Le prénom a été modifié à la demande de l’intervenant.