En France, à chaque solution doit correspondre un problème que le politicien s’empressera de trouver. Et mieux encore : à chaque problème correspond aussi une somme pharaonique que l’État s’attachera à dépenser rapidement dans un feu d’artifice communicationnel. Rassurez-vous : comme le veut l’adage, quand c’est l’État qui paye, ce n’est pas cher. Dès lors, lorsque Manuel Valls fait semblant de « sauver » une usine de trains en lançant une commande publique, tout le monde se doit d’applaudir à deux mains.
C’est aussi ça, la magie du pouvoir et des coups de mentons volontaires qui déplacent des montagnes à la sueur du front des autres : avec un minimum de volonté, une bonne motivation liée à l’approche concomitante d’élections désespérées, et un sacré p$*%ain de paquet de fric issu de contribuables tendrement attachés au consentement à la tonte l’impôt ainsi qu’aux nécessaires valeurs républicaines qui autorisent à peu près toutes les saloperies budgétaires, on peut arriver à annuler à peu près tous les coups du sort.
Et question sort, l’histoire de l’usine de Belfort illustre assez bien toute la puissance de l’État-stratège dont j’ai déjà parlé : cela fait plusieurs années en effet que cette usine, portée à bouts de bras par la commande publique, avait vu son carnet de commande s’étioler lentement. Le non-renouvellement des matériels SNCF, la fermeture de lignes ferroviaires peu ou pas rentables, le prix peu concurrentiel des motrices produites, facteurs auquel s’additionnait la présence de l’État dans les actionnaires avec toute sa finesse d’analyse et ses judicieuses orientations politiques, tout concourrait à ce qu’Alstom entame une descente en petites foulées vigoureuses vers les enfers du capitalisme de connivence.
Début septembre 2016, l’annonce d’Alstom de relocaliser une partie de la production de Belfort à Reichshoffen, à 200 km de là, ne surprend donc qu’une classe politique complètement obnubilée par son désir d’avenir et qui ne peut pas se satisfaire du déplacement de 400 emplois de la France vers la France. Il lui faut donc agir, frapper les esprits par une puissance de feu directement proportionnelle à sa capacité de nuisance ponction : puisqu’il faut des commandes pour Alstom Belfort, on va commander à Alstom Belfort.
Il ne faut pas désespérer Belfort : Manuel Valls a donc décidé de commander quelques demi-douzaines de trains. J’écris « quelques demi-douzaines » car le nombre précis, ainsi que le montant total de la transaction, est assez difficile à estimer. Selon des journaux pilotés par une Agence France Presse manifestement sous amphétamines, l’État aurait commandé pour 700 millions de trains, soit 15 rames. Ah, pardon, on me dit dans l’oreillette qu’il s’agirait de 16 TGV. Pour Libération, au taquet, c’est plutôt 21 TGV et 20 dépanneuses qui sont dans la commande. Pour le Monde, il s’agira de 15, et n’en parlons (presque) plus. Question montants, c’est là encore le même nuage de chiffres : de 400 à 700 millions, en comptant (ou pas) les investissements d’Alstom elle-même, en répartissant sur les années de production ou pas, on finit par comprendre que l’État va devoir débourser plusieurs centaines de millions pour éviter non pas le chômage de 400 personnes, mais leur seule relocalisation.
On évoquait le sort, parfois coquin. Celui-ci nous aura cependant épargné le pire puisqu’Alstom produit plutôt des wagons et des locos et pas des préservatifs. Dans ce dernier cas, le premier ministre nous en aurait probablement commandé 80 milliards, que, comme les trains, il aurait fallu utiliser à tout prix. Pour les TGV, il suffira de les faire rouler sur des lignes inadaptées ce qui en fera les trains inter-cités à petite vitesse les plus clinquants de l’Histoire (mais au moins avons-nous « sauvé » 400 emplois qui n’étaient pas menacés de chômage) ; 80 milliards de préservatifs auraient constitué un problème plus épineux que même avec la meilleur volonté du monde, Manuel n’aurait pas pu écouler seul. Ouf. On peut donc se réjouir du choix judicieux (stratégique, même ?) de nos politiciens lorsqu’ils déversent ainsi la manne publique. Ou, alternativement, on peut regretter qu’Alstom ne soit pas dans les produits lubrifiants : l’année 2017 promet à ce titre des besoins surnaturels pour tous les Français.
La journée du 4 octobre sera à conserver dans les annales comme l’une de ces journées où le gouvernement, trop imbibé de substances caféinées, se sera lancé dans des dépenses parfaitement consternantes pour contenter quelques catégories spécifiques de la population à des fins bassement électoralistes : plan de « sauvetage » des désert médicaux, mesures de « sauvetage » des agriculteurs, « sauvetage » de l’usine Alstom de Belfort, l’État pompier n’a jamais autant arrosé de tous côtés, travaillant à sauver des populations qui n’auraient jamais eu besoin d’être sauvées si l’État n’était pas déjà massivement intervenu, de travers, dans leurs domaines respectifs.
Et à chaque fois, on peut dresser la même constatation du côté parfaitement dérisoire des décisions prises : ces petits pansements hâtifs sont posés de travers sur des jambes de bois déjà bien vermoulues par des incompétents notoires exclusivement intéressés par une sorte de « damage control » de leur image déplorable à l’approche des élections. Ainsi, la commande pour Alstom permet par exemple de « sécuriser l’activité » jusqu’en 2021, autrement dit, après-demain, à un coût énorme pour des finances publiques exsangues, avec au bout une production dont l’adaptation aux besoins est assez discutable. Les problèmes structurels de coût de main d’œuvre, de charges sociales, les problèmes inhérents de la trop grande dépendance de la commande publique ne sont en rien résolus : le gouvernement a juste repoussé à plus tard tout effort de remise en question. Après eux, le déluge (et pas de pognon public, cette fois).
En réalité, cette affaire illustre assez parfaitement ce qu’État stratège signifie : il s’agit d’un appareil administratif public totalement à la solde de ceux qui le dirigent, dont les actions sont stratégiques pour assurer leur bien être et, éventuellement, leur réélection. Tout le reste n’est que fadaises.
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