Sale temps pour les banquiers : tout ne se déroule pas toujours comme prévu et parfois, les petits arrangements comptables ou fiscaux ne tiennent pas dans le temps. Pour la Société Générale, cela risque même de tourner carrément au vinaigre.
La Société Générale, c’est cette grosse banque dont l’histoire voudrait qu’elle aurait eu maille à partir avec l’un de ses traders, Jérôme Kerviel. Ce dernier, enhardi par quelques succès, s’est lancé courant 2007 dans des positions de trading de plus en plus risquées, en utilisant pour ce faire un savoir étendu des rouages de la sécurité de la Société Générale. Cependant, accumulant les pertes, il aurait alors camouflé ses erreurs jusqu’à la crise immobilière puis bancaire de 2008 qui mettra un terme à sa cavalerie, en laissant au passage une ardoise d’environ 5 milliards d’euros.
C’est en tout cas l’histoire officielle telle qu’elle était écrite jusqu’à présent.
En juin dernier, différents éléments ont cependant fait jour permettant d’affirmer que les responsabilités de Kerviel ne sont pas totales. Petit-à-petit, à mesure que différents témoignages sont alors versés au dossier, on découvre que, du côté de la banque et des équipes de direction, les choses auparavant claires et incriminant directement Kerviel, laissent entrevoir des zones d’ombres.
À cette occasion, je présentais dans un billet une interview réalisée par Thinkerview de l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi. Il revenait en détail sur les différents rebondissements de l’affaire, les témoignages, versés au dossier, de Jacques Warren, persuadé que la direction connaissait tout des agissements louches de son trader, de Philippe Houbé qui va jusqu’à expliquer que non seulement, la Société Générale savait, mais était en partie organisatrice, et enfin de Chantal de Leiris qui mettait en lumière les trucages du procès en cours.
À l’époque, je notais surtout un point particulièrement important, soulevé par Me. Koubbi, à savoir les conditions posées par le Conseil d’État pour que l’État français vienne en aide à la Société Générale, alors en difficulté, en abandonnant une bonne partie de la dette fiscale de la banque :
« …quand une société [bancaire] subit une fraude, cette fraude ouvre le droit à percevoir un tiers du montant de la fraude sur les finances publiques, mais à deux conditions : il ne doit pas y avoir de connivence entre le fraudeur et sa hiérarchie, pas de complicité, et il ne doit pas y avoir de défaillance de ses systèmes de contrôle. »
L’affaire Kerviel / Société Générale, relativement technique, n’a rien d’évident, mais sur le point spécifique de la fiscalité, la logique est là : si on prouve que Kerviel n’est pas entièrement responsable des failles de sécurité, ou si, plus précisément, la banque n’est pas en mesure de démontrer une sécurité raisonnablement solide de ses systèmes de vérification, alors elle ne peut pas prétendre à un effacement d’une partie de ses impôts.
Depuis juin, les choses ont donc évolué, et pas de façon favorable pour la Société Générale : l’administration fiscale a décidé de contester cette déduction d’impôts dont la banque a bénéficié et a lancé une procédure contre elle pour récupérer tout ou partie des 2,2 milliards d’euros de crédit d’impôts dont la banque a bénéficié entre 2009 et 2010, au titre d’un régime accordé aux entreprises déficitaires.
En effet, Michel Sapin, le ministre qui serait selon la rumeur en charge de ce qui reste de finances dans ce pays, avait indiqué que l’administration fiscale envisageait de remettre en cause la déduction fiscale accordée à la banque. Pour lui,
« S’il y a une responsabilité ou une part de responsabilité (de la banque), cela modifie la doctrine fiscale.»
Et poum, par ici la bonne soupe, voilà la Société Générale potentiellement redevable de plusieurs milliards d’euros, … en tout cas, du point de vue de Bercy. L’avenir tranchera, mais au contraire de Oudéa, le dirigeant de la banque, il semble délicat de conclure avec sérénité que tout ceci se terminera très bien.
Au passage, on pourra se reporter à une plus récente interview de Koubbi qui fait suite à la première, et qui revient sur ces différents points.
Et sans même présumer du résultat des tractations fiscales entre la banque et l’État et au-delà des péripéties de trading, cette affaire met en lumière crue plusieurs points que tout contribuable (et tout citoyen) français devrait conserver à l’esprit.
D’une part, la complexité de la justice française rend à peu près impossible toute prévision ou toute planification dans ce genre de procès. Ainsi, si tout semblait incriminer totalement Kerviel au début de l’affaire, les différents éléments apportés à l’enquête et lors des procès par la suite permettent de brosser un tableau beaucoup plus nuancé : le coupable idéal ne l’est plus autant et l’entreprise ne pourra pas se dédouaner d’une part de responsabilité.
D’autre part et de façon bien plus importante, cette affaire démontre s’il le fallait vraiment que ce que le fisc a fait, il peut le défaire. Ce qu’il a accordé, il peut le reprendre. On peut gloser sur le changement de point de vue de Bercy, qui serait motivé par les décisions de la cour d’appel de Versailles, mais on se devra d’examiner aussi, pour faire bonne mesure, le bienfondé de la décision initiale qui semblait admettre avec une facilité déconcertante que la banque n’était en rien responsable des trous de sécurités par lesquels Kerviel s’était glissé pour commettre son forfait.
À vrai dire, de loin, tout ceci ressemble à un arrangement entre amis qui tourne mal : courant 2008, la banque se retrouve empêtrée dans des positions invraisemblables prises par un trader incontrôlable ou insuffisamment contrôlée, et l’établissement menace de s’effondrer. L’État, comprenant l’ampleur du désastre potentiel, décide d’accorder plusieurs milliards de latitude fiscale. Malheureusement, la Justice finit par tempérer l’unilatéralité des torts, obligeant l’État à revoir sa position.
Or, ça tombe bien : l’État n’a pas un rond et aurait grandement besoin d’un ou deux petits milliards pour arroser les ouailles d’un président en perdition.
Eh oui : quoi qu’il arrive et même lorsque le capitalisme de connivence joue à plein, l’État est toujours aux abois, il a toujours faim et s’il doit un jour manger sans sourciller ses enfants jadis chéris, il le fera si cela peut sauver sa peau.
Ce qui arrive à la Société Générale n’est pas une surprise, c’est une règle. Ceux qui persistent à croire, encore et encore, contre toutes les évidences, que la finance ou l’industrie ont face aux politiciens le dernier mot se trompent : le gros bâton est toujours du côté de l’État. Il s’appelle fisc, police, armée, et l’État n’hésitera jamais à s’en servir.
Rappelez-vous bien : ce que l’État vous a donné, il peut vous le reprendre. Et il vous le reprendra.
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