D’un quinquennat à l’autre, les présidents français laissent traîner leurs crottes, et charge à leur successeur de rarement les nettoyer ou plus souvent les camoufler ou les refiler à celui qui viendra leur prendre la place. C’est ainsi que Sarkozy avait eu la délicate attention d’en laisser une belle pour Hollande avec l’Écotaxe, qui aura hanté son quinquennat jusqu’au bout.
Et l’Écotaxe, c’est vraiment tout un poème odorant.
On se souvient qu’avec l’approche de son entrée en application fin 2013, la grogne était subitement montée en France et particulièrement en Bretagne où beaucoup d’exploitants et de camionneurs, enfilant un bonnet rouge, avaient décidé de retourner un ou deux portiques afin de ne laisser aucun doute sur le fait que cette taxe, qui devait les toucher en priorité (avant, soyez en sûrs, de choper aussi les automobilistes lambda dans son escarcelle), les condamnait à la faillite.
Comme à son habitude, la presse, pas du tout partisane, avait essentiellement retracé cette colère en faisant passer les grogneurs pour des poujadistes de droite, étant entendu qu’aucune taxe en France ne pouvait déclencher un mouvement réellement populaire, normalement réservé au Camp du Bien.
En mars 2014, je notais que la mise sous cloche de la taxe en question ne résolvait guère le problème et promettait à terme une facture salée, d’une façon ou d’une autre, que le contribuable allait devoir payer. L’incurie d’un gouvernement ne dédouanait pas le suivant de gérer la patate chaude.
Pendant ce temps, ne se laissant pas abattre, la mairie de Paris décidait en septembre 2014 de passer en loucedé quelques petits décrets histoire de taxer le trafic de camions dans son giron, histoire de trouver quelque argent pour tenter de boucher le trou de trésorerie parisien, profond de plusieurs centaines de millions d’euros, la gestion socialiste aboutissant toujours – pas de bol ? – à des déficits mémorables.
Le mois suivant, Ségolène Royal, toujours au taquet quand il s’agit de débiter de l’ânerie à rythme industriel, tentait de réactiver la taxe en question. Malgré les explications emberlificotées de la ministre écolocomique, rien n’y fit : le vif agacement des transporteurs, et le fait qu’ils menacèrent immédiatement de bloquer le pays doucha quelque peu les espoirs de la Dame aux Caméras.
En août 2015, je continuais à m’interroger sur le retour (ou non) de la taxe, alors que le montant de la facture, que je pressentais salée en mars 2014, devenait plus précis puisque les estimations permettaient de comparer raisonnablement le four de l’Écotaxe avec le scandale du Crédit Lyonnais à cause duquel les orifices des contribuables n’ont pas encore fini de cicatriser.
Tout se déroule donc comme prévu : une société capitaliste a réussi, par connivence, lobbyisme et petites tractations en coulisses, à s’acoquiner avec l’État pour bénéficier d’une rente pépère, à la mesure des radars automatiques. Miam. Sauf qu’une partie du peuple excédé n’a rien voulu entendre et refuse l’instauration du pizzo routier. Zut, flûte et caca boudin, le « business model » de l’entreprise s’effondre. Contractuellement, cependant, l’État – pourtant impécunieux – doit sortir en larguant moult indemnités. Fin 2015, tout le monde se regarde encore en chiens de faïence. Hollande, homme fort de décisions fermes, se tâte.
Nous sommes en décembre 2016, il est plus que temps de faire un petit point sur la situation.
Sur le plan légal en effet, elle a quelque peu évolué. Profitant sans doute de la poigne de chèvre frais du président Hollande, l’Assemblée a profité d’un mois de novembre un peu plus calme (la presse étant entièrement perdue dans ses pleurs anti-Trump puis ses jérémiades anti-Fillon) pour faire supprimer la taxe urticante par voie d’amendement : les députés ont voté dans la nuit du 17 au 18 novembre cet amendement au projet de loi de finances 2017 qui supprime définitivement cette idée aussi sotte que grenue de taxer les camions sous prétexte d’écologie.
…
Mais patatras, quelques jours plus tard, le Conseil d’État décide de mettre son grain de sel. Saisi par l’une de ces frétillantes associations lucratives sans but qui entend faire respecter l’environnement surtout lorsqu’il s’agit de prendre l’argent de la poche des autres, le Conseil a en effet estimé que le refus de l’exécutif d’appliquer l’écotaxe est « illégal ».
Le lecteur goguenard pourra trouver que ce feuilleton devient de plus en plus rigolo à mesure que ce quinquennat s’enfonce dans le n’importe quoi savamment distillé. Goguenardise qui tiendra jusqu’au moment de payer cette taxe, chose qui pourrait bien se produire à en juger l’activisme de certains à vouloir, à tout prix, tabasser l’automobiliste sillonnant les routes de France (parce que le tourisme – au-delà de rassurer sur le régime démocratique – et le transport de marchandises n’ont aucun intérêt dans ce pays, mes braves amis). Si, malgré tout, la taxe est belle est bien enterrée, le petit frisson de LOL qui parcourait le lecteur s’éteindra malgré tout puisque la facture revient encore au galop.
Avec la résiliation du contrat entre Ecomouv’ et le gouvernement, cette facture se chiffrait déjà à 800 millions d’euros (ce qui commence à faire beaucoup d’argent, mine de rien). Rien n’interdit cependant de viser toujours plus haut : on apprend en effet que la facture transmise aux parlementaires est maintenant de 967,6 millions d’euros. Alors que Ségolène Royal, probablement encore mal remise des effluves de rhum, évoquait les bienfaits du castrisme cubain, son entourage évoque avec la même lucidité et la même précision que sa patronne un surcoût lié, par exemple, au remboursement de la TVA (et 167 millions d’euros de remboursement de TVA sur un service qui n’a pas été mis en place, mazette, c’est du lourd).
La Cour des comptes, loin des vapeurs alcooliques, pointe quant à elle l’indemnisation des banques, qui étaient intervenues dans le PPP (partenariat public/privé, ce montage juridico-financier qui termine régulièrement en feu d’artifice pour le contribuable).
On n’en a donc pas fini avec l’Écotaxe, monstruosité pas encore froide. Pire : blessée par tous ces rebondissements, elle saigne abondamment et attire donc toutes les charognes qui sentent l’odeur du buffet froid que leur offre un gouvernement largement dépassé par tout ce qui lui arrive, tout le temps, sans arrêt : en effet, après les banques, les sociétés de télépéages qui fournissaient les boîtiers aux routiers se sont mises sur les rangs et demandent à leur tour à être remboursées ce qui, selon un rapport du député PS Olivier Faure, ferait gonfler encore la facture à plus de 1,2 milliard d’euros.
La comparaison avec le scandale du Crédit Lyonnais, déjà valide en août 2015, continue de gagner en solidité.
Pas de doute, le monstre Écotaxe est loin d’être totalement mort.