Les
agences de notation viennent d’ajouter brusquement un obstacle au
bouclage du plan de sauvetage de la Grèce, déjà
repoussé à on ne sait trop quand. Suivant les avis, à la
fin de l’été ou à l’automne, avec la
même imprécision que pour la date de publication des
résultats des stress tests des banques.
Les
agences ont classé le plan français de participation
volontaire des banques à ce présumé sauvetage comme
étant un défaut en puissance sur la dette, le condamnant sans
appel après qu’il ait été reconnu –
même par les banques qui renâclaient – comme une bonne base
de discussion, bien qu’à parfaire dans les détails.
De
son côté, la BCE a maintenu fermement son refus d’accepter
à titre de collatéral les obligations grecques si un
défaut est constaté par les agences, ce qui plongerait sans
délais les banques grecques dans le précipice, pour commencer.
Nous
voici revenus au point de départ, dans un grand vide. « Il
ne faut pas toucher à un seul cheveu du système
financier » est la seule leçon qui peut être
tirée des événements de ces dernières 24 heures.
Standard
& Poor’s a certes pris position de la
manière la plus explicite, mais Moody’s et Fitch
ont en réalité été encore plus loin, expliquant
dans leurs dernières notes méthodologiques que le seul fait
qu’une telle opération soit montée afin
d’éviter la faillite de la Grèce lui vaudrait
d’être qualifiée de défaut, quelles que soient ses
modalités.
Les
agences de notation – dont on connaît les faiblesses coupables et
qui sont désormais mises en cause au plus haut niveau, sans que rien
ne se passe toutefois – sont-elles pour autant totalement dans leur
tort ? Elles ne font en fait que constater l’insolvabilité de
l’État grec, une vérité qu’il faut cacher
car elle en entraîne d’autres.
Wolfgang
Schaüble, le ministre allemand des finances,
vient une fois de plus de mettre les pieds dans le plat, en reconnaissant
à l’occasion d’une interview au Spiegel qu’il avait
un autre fer au feu et se préparait à l’éventualité
d’un défaut grec. Désavouant au passage ses
collègues Olli Rehn
et Christian Noyer qui continuent d’affirmer contre vents et
marées qu’il n’y a pas de plan B…
La
Grèce est d’autant plus insolvable qu’elle est
condamnée à une double peine, démunie des moyens de
soutenir son économie – et donc d’accroître ainsi
ses recettes fiscales – et devant payer des intérêts
exorbitants à ses sauveurs, au nom du terrible danger que
représente l’aléa moral (si son sauvetage
n’est pas très douloureux, d’autres voudront en
bénéficier). S’inscrivant dans cette logique, le plan
de sauvetage en discussion évoque des intérêts
variant de 5 à 8 % l’an, suivant la croissance
économique, prohibitifs et qui ne pourront jamais être
payés.
Si
l’on comprend bien le fond de la pensée de ces percutants économistes
pour qui l’aléa moral est le principal des dangers, les
États sont comme les banques, il faut les retenir sinon ils font des
grands malheurs. Jamais il ne leur vient à l’idée
qu’il faudrait mieux supprimer les dangereux joujoux des
dernières.
L’attention
est focalisée sur ce nouveau gros obstacle dressé par les
agences de notation, moins contournable que ne le pensaient des commentateurs
toujours prêt à les minimiser pour la bonne cause, se
détournant à tort d’un autre problème, moins
spectaculaire mais tout aussi redoutable. La Finlande, soumise à la
pression du Parti des Vrais finnois (True
Finns Party), exige des garanties à tout nouveau prêt aux Grecs.
Rendant impossible de réaliser le plan de vente des actifs qui est
prévu, ceux-ci ne pouvant avoir deux utilisations simultanées.
Petit
contributeur du fonds de stabilité financier européen,
l’abandon du mécanisme par la Finlande n’est pourtant pas
envisageable et tétanise les chancelleries, risquant d’inciter
d’autres pays à faire de même. Restreignant par la
même la base des pays qui en constituent le socle et sont
appelés à financer les autres, au fur et à mesure
qu’ils rejoignent la zone des tempêtes. Un scénario de
film d’horreur de plus.
La
nature ayant horreur du vide, suivant l’expression passe-partout, on
voit apparaître au fil de l’actualité de nouvelles
suggestions pour le combler. Dans son éditorial, le Financial Times
rappelle pour en proposer l’application l’épisode des bons
« Brady » – du nom de leur inventeur – qui
avait permis de juguler la crise financière des États
latino-américains dans les années 80 et de l’assainir.
Sans entrer dans le détail d’un mécanisme à
plusieurs détentes, il s’agit de proposer aux créanciers
privés d’échanger leurs obligations contre des bons
garantis par l’État mais à maturité plus longue ou
après décote de la valeur des obligations initiales.
Allant
plus loin dans ses intentions, un appel signé par des
personnalités européennes est parallèlement paru dans le
Spiegel, appelant à l’émission d’euro-obligations.
Le belge Guy Verhofstadt, le français Michel Rocard, le portugais
Jorge Sampaio, l’italien Guiliano
Amato, tous anciens chefs d’État ou de
gouvernement, ainsi que le grec Yanis Varoufakis et
le britannique Stuart Holland se sont déclarés en faveur d’un
New Deal européen financé par ce moyen, sur le
modèle du plan lancé par Franklin D. Roosevelt pour sortir dans
les années 30 les États-Unis de la Grande dépression.
Dans
leur déclaration commune, les parti socialistes allemand et
français se sont aussi déclarés en faveur de
l’émission d’euro-obligations, leur fixant notamment comme
objectif de financer « un programme de croissance européen qui
soutienne en particulier l’activité économique et la
compétitivité des États membres affaiblis ».
Enfin,
moins explicite mais provenant du gouvernement polonais de centre-droit, qui
vient de prendre la responsabilité de la présidence tournante
de l’Union européenne, une première critique des plans
de sauvetage conçus au sein d’une Eurozone
qu’il est appelé à rejoindre est à signaler. Jacek
Rostowski, le ministre des finances, les juge trop focalisés sur la réduction de
la dette et pas assez sur le soutien à la croissance. Un de ses
collaborateurs en tirant comme conclusion, sous couvert d’anonymat, que
la Pologne ne pourra rejoindre la zone euro que « quand elle sera
sortie de l’hôpital ».
Les
dirigeants européens sont confrontés à deux
problèmes distincts qui appellent une réponse commune.
D’un côté, liquider le passé et les effets de la
crise financière, abusivement caractérisée comme crise
de la dette publique. De l’autre, envisager le redémarrage de
l’activité économique sur de nouvelles bases, tenant
compte des réalités mondiales et de l’avénement
désormais acquis de pays émergents qui ne devraient plus
être désignés ainsi.
Il
est significatif que le débat se déplace insensiblement vers le
second volet, dans le cadre duquel il est seul envisageable de régler
le premier. Sans se contenter et se perdre dans les problématiques
institutionnelles de la nouvelle gouvernance économique, qui la
réduisent au rôle de père fouettard au service exclusif
des intérêts du système financier, tout en la profilant
sous des jours bien peu démocratiques.
Cela
rend indispensable de cerner ce que vont être les moteurs de cette
activité économique, pour laquelle le terme de croissance
n’est pas recommandé, étant donné ce qu’il a
signifié et qu’il est exclu de reproduire. S’il devait
s’agir, comme cela a par exemple été en pure perte le cas
au Japon, et aux États-Unis à moindre échelle, d’un
programme de grands travaux, cette tarte à la crème de
la relance qui engraisse les entrepreneurs du BTP et les politiciens
corrompus qu’ils arrosent, cela n’aurait aucun sens.
L’Espagne et le Portugal, pour ne citer qu’eux, ont largement
utilisé leurs fonds structurels européens pour construire des
kilomètres de ponts, de tunnels et d’autoroutes, sans plus
générer d’activité productrice à
l’arrivée et se retrouver aujourd’hui avec des
infrastructures quasi désertes dans de nombreux cas.
S’il
fallait s’engouffrer dans le dernier secteur à la mode
qu’est celui de l’énergie renouvelable et du
« green business », des déconvenues seraient
à en attendre car celui-ci, mis à toutes les sauces et
déjà très concurrentiel, ne peut prétendre se
substituer aux activités déclinantes. Pas plus que la
galéjade de l’aide aux personnes âgées et des
services d’assistance ne peut prétendre résoudre la
question de l’emploi.
De
la même manière que le système financier est
nécessairement à la veille de son profond aggiornamento,
n’en déplaise à ceux qui veulent continuer comme avant et
pratiquent la fuite en avant, l’activité économique de
nos sociétés ne peut continuer à se développer
sur sa lancée et sur le même mode. Non seulement en raison de
considérations environnementales, qui ne pardonneront pas si elles ne
sont pas écoutées, mais également d’exigences
sociales, toutes aussi essentielles si l’on
veut s’inscrire dans le XXIéme
siècle. Il serait temps.
Mais
pour revenir dans l’actualité, l’État américain
du Minnesota, en faillite avec un trou de 5 milliards de dollars, vient de
fermer au 30 juin les portes de nombreux services publics, ne pouvant plus
financer les salaires de 22.000 fonctionnaires. Ne pouvant
constitutionnellement financer par l’emprunt ses dépenses
courantes de fonctionnement, le gouverneur démocrate a du se résoudre à cette
extrémité, les élus républicains s’opposant
au relèvement des impôts des contribuables les plus aisés
et réclamant des coupes dans les dépenses publiques.
C’est très exactement ce même débat qui oppose les
démocrates et les républicains au niveau fédéral.
Même cause, même effet ?
Un
défaut américain début août prochain serait
d’une toute autre portée qu’un défaut de la
Grèce… Les deux sont incertains mais possibles.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
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