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1.
Des choix politiques.
Dans la décennie 1970, il y a eu successivement :
1 - l'abandon du système monétaire international fondé
sur l’étalon de change or (1971-73) - lequel avait
été réformé en 1944-45 après avoir
été institué en 1922 -, mais il n'y a pas eu disparition
du Fonds monétaire international (F.M.I.), instauré
à l'occasion de la réforme, pourtant une de ses
pièces maîtresses qui avait démontré son
inanité – qu'avait prévue Jacques Rueff dès sa
création - et qui a malheureusement perduré
jusqu’à aujourd’hui
inclus ;
2 - l’entrée du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark
dans la Communauté économique européenne – C.E.E.-
(1973) qui a fait passer celle-ci de 6 à 9 pays (cf. textes sur histoire
du "Marché commun") ;
3 - la création du Fonds européen de coopération
monétaire (F.E.Co.M.) pour « faciliter » le nouvel accord
de change passé entre les gouvernements des pays de
la C.E.E. au moment même (1976-78) où Friedrich von Hayek
publiait Dénationalisation
de la monnaie (The Argument Refined. An Analysis of
the Theory and Practice of Concurrent Currencies).
La décennie s’est terminée par
l’entrée de la Grèce dans la C.E.E. (1980) et, par
conséquent, par l’augmentation du nombre de ses pays de 9
à 10.
2. Des faits.
Trente ans plus tard, les comptes de l’Etat
de la Grèce sont l’objet d’un grand souci des
observateurs, hommes politiques ou autres, et emportent la discussion.
(cf. graphique ci-dessous faisant apparaître les différentiels
de taux d'intérêt à long terme grec, espagnol, italien,
français par rapport au taux allemand dans la période janvier
2001-octobre 2009).
Graphique
Différentiels
de taux d'intérêt à long terme
(janvier 2001- octobre 2009)
Depuis
octobre 2009, les différentiels se sont encore accrus.
Le souci est tel que,
- d’un côté, les taux d’intérêt des
emprunts de l’Etat grec sur le marché financier augmentent et
incluent, chacun, une prime de risque de plus en plus élevée et
que,
- de l’autre, des épargnants investisseurs parient, avec leurs
placements financiers, que cette évolution ne pourra guère
durer encore longtemps.
Il faut savoir que la Grèce est, aujourd’hui, un des 16 pays du
"système monétaire de l’euro" - système
euroïque créé
entre temps -, ce groupe des pays étant lui-même un
sous-groupe des 27 pays de l’Union européenne (U.E.), avatar de
la C.E.E. constitutionnalisé
dans la décennie 1990, puis institutionnalisé
autrement.
Au sommet de la construction hiérarchique qu’est le système
monétaire de l’euro, il y a la banque centrale
européenne (B.C.E.),
avatar de l’Institut monétaire européen (I.M.E.),
lui-même avatar du F.E.Co.M. !
3. Un plaidoyer.
Mais ne voici-t-il pas que des défenseurs de la construction utopique
commencent à plaider pour la création d’un "pendant
européen" au F.M.I. qui tendrait à annihiler les
opérations signalées des épargnants
investisseurs…, bref d’un « fonds monétaire
européen » (cf. par exemple les propos rapportés par Les Echos
ou Challenge).
Pour sa part Bloomberg rapporte que :
"[...]Germany’s Finance Minister Wolfgang Schäuble
indicated in an interview with the Welt
am Sonntag newspaper published that day that his government is
already thinking about how another crisis can be avoided, saying the euro
region should consider creating an institution similar to the International
Monetary Fund.
European Central Bank President Jean-Claude Trichet said
later this week the bank doesn’t reject the proposal of a fund, though
it has not seen any details. [...]"
Tous
ces défenseurs semblent oublier la généalogie de la
B.C.E. et que le F.E.Co.M., son ancêtre, a donc été au
départ ce « pendant européen ».
Ils semblent méconnaître que ce fonds allait de pair avec les
fonds de stabilisation des changes de certaines banques centrales nationales,
(aujourd’hui fusionnées dans la B.C.E.) à l’image
du « fonds de stabilisation des changes » français (créé
en 1939 par Jacques
Rueff, alors sous gouverneur de la Banque de France, dans la perspective
de la guerre !).
Ils semblent faire fi que ces fonds qui avaient démontré leur
inefficacité et leurs dangers pour les économies nationales ont
été démantelés à l’occasion du
processus de fusion.
Le "fonds monétaire européen" qu'ils soutiennent
n'est jamais qu'un fonds de stabilisation des changes, non plus à
l'échelon national et pour cause, mais à l'échelon
régional de l'euro.
4. Un "foutage
de gueule".
Que penser alors de leur plaidoyer ?
Il révèle une fois encore leur mémoire sélective,
leur méconnaissance économique et – appelons un chat un
chat - leur « foutage de gueule » - pardonnez-moi
l’expression, mais elle me semble la plus appropriée dans le cas
présent car je n'en ai pas d'autre, je n'ai pas le talent de Victor
Hugo... pour en créer une-.
Dans le jeu de construction que les hommes de l'Etat se sont fabriqués
et dont ils ne rappellent jamais le fonctionnement
« au bon peuple » - et pour cause : c’est un jeu qui
repose sur l'arbitraire le plus total qui soit, et qui constitue en fait une
expérience historique au coup par coup sans précédent,
à savoir l’expérience de
l’euro -, tout se passe comme s'ils admettaient désormais
qu’ils manquent un « cube » : et ils le dénomment
« fonds monétaire européen ».
Soit dit en passant, il faut reconnaître qu’ils aiment bien
donner des noms à leurs jouets : par exemple, hier, ils parlaient
d’unité monétaire européenne, d’écu
(pour, entres autres, l'expression anglaise « European Currency Unit
» - "jeu de mots"... -) et, aujourd’hui, c’est
l’euro !
Dans le traité
de Maastricht sur quoi ils ont fait voter les peuples nationaux et qui a
mis le feu aux poudres, il n’était pas question d’ «
euro », mais d’ « écu ».
Ainsi, à la fois, ils jouent avec les mots et disent que les mots
qu'ils emploient n’ont pas d’importance…, c’est le
seul moment où, sans le vouloir, ils respectent les règles de la
logique, i.e. de la réalité.
5. Un nouveau
panneau.
Il reste que les hommes de l'Etat prennent leurs désirs pour la
réalité et considèrent que leurs désirs ne sont
jamais que l’expression des besoins du « bon peuple
». Ils pensent vraisemblablement que satisfaire les uns reviendra
à assouvir les autres.
Via ce "cube" du "fonds monétaire
européen", l'"eurogroupe", autre "cube"
qu'ils ont instauré en cours de route, entamerait, un peu plus encore,
l'indépendance constitutionnelle de l'action de la B.C.E.
vis-à-vis des politiques.
Soit dit en passant, c’est le Conseil des Chefs d'Etat et de
gouvernement (Amsterdam, juin 1997) qui a créé ce qui allait
être dénommé "Eurogroupe". Six mois plus tard,
les conclusions d'un Conseil analogue (Luxembourg, 12-13 décembre
1997) décrivent le nouveau "cube":
« […] Les ministres des États participant
à la zone euro peuvent se réunir entre eux de façon
informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités
spécifiques qu'ils partagent en matière de monnaie unique.
La Commission ainsi que, le cas échéant, la Banque centrale
européenne sont invitées à participer aux
réunions. Chaque fois que des questions d'intérêt commun
sont concernées, elles sont discutées par les ministres de tous
les États membres. […] ».
Le
cube, en fait organisation informelle sans nom à sa création,
en reçoit un trois ans plus tard, à l’occasion des
conclusions de la présidence d'un Conseil analogue (Nice, 7-9
décembre 2000).
Il ne faut donc pas tomber dans ce nouveau panneau d’un « fonds
monétaire européen », pendant au « fonds
monétaire international », sauf à vouloir toucher …
le fond de l’irrationnel et des malheurs qu'il comporte.
La réalité dépasse toujours la fiction dès lors
qu’elle n’a pas été prise comme point de
départ.
Et, ici, encore une fois, c’est le cas.
6. "Dé
réglementer" le processus de l’étalon-or.
Quitte à revenir au passé, pourquoi s’arrêter en si
bon chemin ?
Plutôt que revenir à celui d’un des points de
départ du processus monétaire dans quoi la France et d’autres
pays se débattent actuellement et qui ne saurait fonctionner sauf dans
les têtes de ses sorciers, autant revenir au passé plus ancien
où fonctionnait un processus qui avait émergé
spontanément, sans volonté centralisatrice de quelque politique
que ce soit, et avait fait ses preuves.
Je veux parler du processus de
l’étalon-or.
Pourquoi n’existe-t-il plus ?
Il est arrivé une période où il a
présenté, de façon croissante, la caractéristique
malheureuse de déplaire aux hommes de l’Etat.
Il était un frein à leur ardeur à mener des actions
dites « politiques », mais absurdes.
Il les empêchait ainsi de faire n’importe quoi pour autant que,
si tel était le cas, l’économie nationale sur quoi ils
avaient autorité était sanctionnée dans les mois qui
suivaient (l'issue étant la dévaluation de la monnaie
nationale, i.e. l'augmentation du prix de l’or en monnaie nationale :
par exemple, "mai 1968" et, l'année suivante, le FF sera
dévalué de près de 12% en octobre 1969).
Bref, le processus de l'étalon-or n'existe plus aujourd'hui, au grand
jour, car les hommes de l'Etat sont convenus au XXème siècle de
ne plus s'y référer, en deux temps : en 1922 (conférence
de Gênes) puis en 1971-73 (plusieurs conférences internationales).
Et ils ont imposé leur choix aux peuples par des arguments fallacieux
et la spoliation.
En d'autres termes, les hommes de l'Etat ont enfoui le processus sous un
fatras de réglementations, plus pernicieuses les unes que les autres,
qui a immunisé leurs actions "politiques" contre ses effets
contraignants jusqu'à présent. Mais cela perdurera-t-il
encore longtemps ? Difficile de répondre.
Une chose est certaine, il ne demande qu'à être "dé
réglementé".
Il
faut revenir au processus de l’étalon-or.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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