Article par Nathalie MP et h16
Anne Hidalgo, la Duchesse de Cambridge et José Bové ont un point commun et contrairement aux apparences, ce n’est ni leur couturier ni leur coiffeur, mais bien leur amour du bio.
Ainsi, la maire de Paris s’est donné comme objectif de servir 50% de produits bio dans les cantines scolaires parisiennes d’ici 2020. La seconde, jeune maman royale et attentionnée, a décidé de développer une marque de produits bio pour bébés. Quant à José Bové, fort en gueule écolo, il fait furieusement frémir sa moustache pour éradiquer tout ce qui pourrait ressembler à un produit chimique de synthèse.
Le chantier est vaste. Pour José, comme pour tant d’autres communistes activistes, tout est politique à commencer par votre repas. Pour lui, la nourriture n’est pas neutre. Le citoyen éco-conscient ne doit donc pas se laisser aller, même en période des fêtes de fin d’année, à fricoter avec l’hypermarché hyperlibéral qui débite de la pizza industrielle au fromage en plastique. Il doit se diriger vers la gentille AMAP de village, qui cultive sur place des produits bio, solidaires et aux tarifs ciselés.
Et comme on le découvre sur la vidéo suivante, pour notre député européen, l’alimentation biologique est nettement supérieure à l’agriculture conventionnelle, c’est évident :
Pour lui, aucun doute : cette dernière est mauvaise. Mauvaise pour la santé des consommateurs. Mauvaise pour la planète car pleine de pesticides. Mauvaise pour l’harmonie politique planétaire Nord-Sud. S’il le pouvait, il expliquerait aussi qu’elle rend impuissant et fait caler les motos russes. Alors que les produits bio, c’est amour, santé et pouvoir d’achat. Et en plus ça rime avec beau ce qui n’est pas une coïncidence.
Le bio fait-il démarrer les motos russes ? On ne sait pas, mais cependant, notre homme étant connu pour un activisme légèrement destructeur, et pénalement condamné, qui place le principe de précaution au-dessus de tout projet de recherche innovante, peut-être est-il utile d’examiner ses déclarations de plus près.
Qu’est-ce que l’agriculture biologique (ou AB) ?
Le premier trait commun à toutes les législations l’encadrant est d’exclure tout produit chimique de synthèse (engrais, pesticide ou herbicide). Le second, plus variable sur le plan réglementaire mais largement adopté par ses opérateurs, c’est de refuser les OGM. Enfin, cette agriculture s’impose de respecter l’écosystème, la biodiversité, l’économie solidaire, le repeuplement des zones rurales et les motos russes. Elle pratique donc plutôt la polyculture et favorise, au moins dans ses principes, les circuits courts de distribution.
L’AB est née dès les années 1930 en réaction à l’apparition des engrais chimiques, mais n’a décollé qu’après le milieu du XXème siècle par opposition aux grandes monocultures intensives favorisées par les progrès de l’agrochimie : les consommateurs ont commencé à exprimer des craintes à propos de la sécurité alimentaire et de la protection de l’environnement que l’agriculture conventionnelle (ou AC) semblait mettre de côté.
Reconnaissable en France grâce à son sigle, cette filière s’est progressivement mise en place avec des contraintes maintenant alignées sur les normes européennes : un produit certifié AB doit contenir au moins 95% d’ingrédients issus de la production biologique, et la présence accidentelle d’OGM est tolérée à hauteur de 0,9 % (cette dernière contrainte valant aussi pour les produits non bio). Au départ alimentaire, elle se développe aussi dans la cosmétique, le textile et les produits d’entretien.
D’abord organisée par des fermes reconverties au bio ou des regroupements type AMAP qui assurent à leurs clients des livraisons hebdomadaires de légumes, la distribution des produits bio se fait maintenant aussi dans des magasins spécialisés de centre-ville et, de plus en plus, dans les supermarchés dont les rayons bio représentent pas loin de 50% du marché français. Paradoxe : José n’aime pas les zypermarchés, mais ils restent zyperpratiques pour écouler ce qu’il préconise.
Le bio français est un marché plein de tonus qui en 2014 représente 5 milliards d’euros et affiche une croissance annuelle de 10%. Mais ça reste un petit marché (2,5% du marché alimentaire total) qui occupe 4,1% du territoire agricole, 5,6% des fermes et 7% des emplois agricoles, au troisième rang en Europe pour les surfaces cultivées, après l’Espagne et l’Italie, et juste avant l’Allemagne (4ème).
Youpi, donc. Cependant, selon une étude de 2013, les produits bio sont aussi considérés trop chers par la moitié des Français, y compris ceux qui en consomment régulièrement (soit 7% de la population).
De fait, une rapide enquête montre qu’un paquet de huit tranches de saumon fumé Labeyrie non estampillé bio est vendu 36,48€ tandis que son homologue bio est à 46,90€, soit un écart de 28%. Bah, après tout, c’est du saumon, plat traditionnellement coûteux. Malheureusement, pour le riz basmati, c’est le même constat : le banal plein de mauvais pesticides horribles est vendu à 2,20€/kg en paquet de 500g, là où le bio Gaïa compatible est à 3,08 €/kg sous le logo AB. Sapristi, la compatibilité coûte 40% plus cher.
En fait, le prix passe fréquemment du simple au double sur certaines gammes de produits des magasins spécialisés, et l’écart moyen constaté en grande surface, ressort en 2011 à 58 % selon une enquête du magazine Linéaires.
Décidément, respecter l’écosystème, la biodiversité, l’économie solidaire, le repeuplement des zones rurales et les motos russes, ça revient cher : le bio est un produit de luxe.
Logiquement, on l’investit donc de beaucoup de qualités. D’ailleurs, l’étude mentionnée ci-dessus montre que 84% des sondés estiment qu’il est meilleur pour la santé et 70% le jugent plus apte à préserver l’environnement. José Bové, les Français t’entendent cinq sur cinq.
En 2014, pour vérifier ces performances, l’INRA a lancé une grande enquête. Patatras, les conclusions (détaillées à partir de la page 330) sont très décevantes.
• Des performances économiques banales
En terme de performance économique, le rapport de l’INRA conclut à l’impossibilité de déterminer la supériorité d’une agriculture sur l’autre.
Par construction, l’AB est moins productive que l’AC en raison des contraintes qu’elle se donne quant au recours aux produits de synthèse. De plus, elle tend à mettre volontairement en œuvre des méthodes de production ajustées à des productions moindres. En ce domaine, le premier biais vient de ce que les deux sont lourdement subventionnées dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) européenne. L’agriculture biologique est la grande gagnante car elle bénéficie en outre de toutes les aides mises en place pour inciter les agriculteurs à la reconversion en AB.
Par contre, l’AB jouit d’une performance sociale supérieure dans la mesure où elle emploie plus de personnel à l’hectare, ce qui permet de redynamiser des zones rurales dépeuplées. Les agriculteurs ont le sentiment de maîtriser l’ensemble du cycle de production, avec néanmoins des conditions de travail plus difficiles qu’en AC du fait d’une certaine non spécialisation. À noter toutefois que les producteurs en AB ont maintenant tendance à aller vers plus de spécialisation et de standardisation pour améliorer leur productivité.
• Des qualités de produits très proches de l’agriculture conventionnelle
Sur le plan nutritionnel, il n’est pas possible de mettre en évidence une différence significative entre les produits AB et AC tant pour le taux de matière sèche que pour les glucides, lipides et protéines, ou pour les vitamines et les oligoéléments. L’argument nutritionnel s’effondre : le bio n’est en rien significativement meilleur que le pas-bio-cracra.
D’un point de vue sanitaire, même conclusion indifférenciée : par construction les produits de l’AB comportent peu ou pas de résidus de synthèse ; en revanche, les produits d’origine naturelle tels que cuivre, soufre ou pyréthrines sont rarement testés. Les produits AB présentent des facteurs de risque supérieurs à ceux de l’AC pour les contaminations microbiologiques et parasitaires, mais pour les mycotoxines, pas de différence statistique relevée. Des intoxications alimentaires graves ont été observées dans les deux types d’agriculture, l’agriculture bio, parce qu’elle serait naturelle, ne mettant pas du tout les consommateurs à l’abri de ces risques. Enfin, la provenance bio n’est pas un facteur déterminant des qualités organoleptiques des produits.
• Une sauvegarde environnementale… en demi-teinte
L’agriculture bio peut enfin prétendre aux félicitations du jury sur le plan environnemental, mais uniquement pour des mesures par unité de surface, tant pour la consommation des ressources naturelles (énergie, eau, phosphore), que pour la protection de l’environnement en terme de qualité des sols, qualité de l’eau, émissions de gaz à effet de serre et préservation de la biodiversité. Avec les mêmes critères calculés par volume de production, c’est l’agriculture conventionnelle qui prend l’avantage, avec une grande variabilité selon les cultures ou les produits.
…
Bref, le label AB apparaît ici chèrement distribué, chèrement subventionné et chèrement vendu. José nous entourloupe : ce n’est pas de meilleur qualité, ce n’est pas mieux pour notre santé, et pour l’environnement, il est douteux que ce soit franchement génial.
À tel point que certains n’hésitent pas à parler de bobard quand ils évoquent l’agriculture biologique.
La plupart des consommateurs viennent au bio par peur des pesticides en associant indument naturel avec sécurité, et synthétique avec danger. Malheureusement, la réalité est toujours plus complexe que cette vue simpliste.
D’une part de nombreux pesticides parfaitement naturels et autorisés sont toxiques pour nous et pour l’environnement (pyréthrines). D’autre part, nous en consommons énormément, précisément parce que les plantes et les animaux en produisent régulièrement en grandes quantités de façon naturelle. La solanine des pommes de terre provoque régulièrement des cas d’empoisonnement. Pourtant, rien de plus « naturel ». Nicotine, caféine, même chose. Nous mangeons environ 1,5g de pesticides naturels par jour, et – ironie – encore plus dans le cadre d’un régime végétarien. Et 1,5g par jour, c’est 10.000 fois plus que les résidus de pesticides de synthèses qu’on consomme en général.
Et au fait, parmi ces nombreux pesticides ingérés quotidiennement, très peu ont été testés, mais ceux qui l’ont été sont cancérigènes dans la moitié des cas. Slurp.
Pour les herbicides, les glyphosates sont fort décriés par les tenants de l’agriculture biologique. Pour eux, leur disparition bénéficierait à la santé des consommateurs et à l’environnement. Ils oublient que les produits désherbants de remplacement (par exemple l’alachlore et le cyanazine) sont tous bien pires que les glyphosates et avaient vu leur utilisation chuter et disparaitre avec l’émergence des céréales résistantes aux glyphosates.
Et puis, avec le succès du bio, de nouveaux enjeux environnementaux apparaissent : certains producteurs intensifient leur production, et les enseignes de distribution s’approvisionnent maintenant bien au-delà des petits producteurs locaux, important des containers en provenance de grands producteurs étrangers. Le label AB devient plus une incitation marketing qu’un sceau de qualité et de sécurité sanitaire.
Ainsi que le disait un ancien ministre de l’agriculture américain :
“The organic label is a marketing tool. It is not a statement about food safety. Nor is ‘organic’ a value judgment about nutrition or quality.”
« Le label bio est un outil marketing. Il ne dit rien sur la sécurité alimentaire, pas plus que « naturel » ne signifie nutrition ou qualité. »
Conclusion
Les consommateurs voulaient plus de sécurité sanitaire, alimentaire et environnementale. L’agriculture biologique est apparue pour répondre à cette demande, pendant que ces mêmes préoccupations s’introduisaient aussi dans l’agriculture conventionnelle, de façon différente : rendements ajustés, utilisation d’OGM, engrais et pesticides synthétiques mais efficaces, en plus petite quantité, et de faibles dangers pour l’homme et son environnement.
De cette tendance, on peut heureusement tirer deux bonnes nouvelles.
La première, c’est que ces deux agricultures sont aussi « saines » l’une que l’autre, mais d’envergure et d’objectif différents : l’AB est spécialisée dans des produits sur-mesure selon des techniques peu productives à prix élevés. C’est le Hermès de l’agriculture pour des consommateurs aisés, qui répond à leur demande, mais sera incapable de nourrir le reste de la planète. L’AC, de son côté, fournit de hauts rendements incorporant intelligemment les avancées environnementales et génétiques pour des produits de qualité à grande échelle et de façon durable. Et là, l’humanité sera nourrie.
La seconde bonne nouvelle, c’est que les produits bio sont des produits comme les autres. Et s’il est donc parfaitement légitime d’en consommer, il n’y a aucune raison de se sentir coupable de consommer ceux de l’agriculture conventionnelle, n’en déplaise à José et ses amis qui tentent de diriger nos vies selon leur idée de la morale jusque dans nos assiettes.
Bon appétit !
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