Article écrit en commun par Nathalie MP et h16
Fini de rire pour le diesel : en 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement classé les gaz d’échappement des moteurs diesel dans la catégorie des cancérigènes certains en raison du risque accru de cancer du poumon associé à l’exposition aux particules fines qu’ils émettent. Pour l’essence, n’en parlons surtout pas. Depuis, les projets d’interdiction du diesel se multiplient.
Revendication constante des écologistes qui souhaitent l’éradiquer d’ici 2025 en France, le diesel est devenu la bête noire d’un peu tout le monde, à commencer par Anne Hidalgo, maire de Paris, régulièrement enquiquinée par de méchants pics de pollution et l’organisation conséquente de la circulation alternée dans la capitale. Pour elle, à Paris, il faudrait s’en débarrasser d’ici 2020.
À ces crachotements politiques quasi-catarrheux s’ajoutent les quintes de toux grasses de certains constructeurs automobiles.
Flairant il y a quelques années le bon coup marketing, à condition d’arranger le côté polluant du diesel, Volkswagen avait ainsi parié sur le concept de « Clean Diesel » pour partir à l’assaut du marché américain.
Malheureusement, si Volkswagen continue de maîtriser parfaitement l’art de la publicité, l’autorité américaine de l’environnement a mis en évidence que le constructeur maîtrisait un peu trop ses moteurs en trichant sciemment sur les normes sur les oxydes d’azote, ce qui pourrait lui valoir une amende de 18 milliards de dollars.
Depuis la révélation du scandale Volkswagen, le monde de l’automobile murmure à voix assez haute que le constructeur allemand n’est pas le seul dans ce cas. Renault est de fait entré dans la tourmente ce mois-ci et est sommé de s’expliquer.
Dans ce contexte, le gouvernement s’est senti obligé de supprimer l’avantage fiscal du diesel sur l’essence d’ici cinq ans. On est heureusement encore loin de l’interdiction pure et simple demandée par les Verts, mais cela n’en constitue pas moins un retournement complet des politiques publiques menées jusque-là.
En effet, jusqu’à présent, le diesel a toujours été encouragé voire chouchouté par les autorités françaises dès son arrivée en France au lendemain de la guerre. D’abord utilisé par les agriculteurs et les transporteurs, il bénéficie d’avantages fiscaux dans le cadre de la reconstruction. Cette faveur est étendue au fioul de chauffage, et nos raffineries se mettent à produire du diesel en plus de l’essence. Mais lorsque la France se lance dans son grand projet de centrales nucléaires, les Français délaissent le fuel pour adopter le chauffage électrique. Les pouvoirs publics demandent alors aux constructeurs automobiles d’augmenter leur production de voitures diesel afin de permettre aux capacités de raffinage de gasoil de continuer à trouver des débouchés. Les consommateurs sont eux-mêmes poussés à acheter ce type de véhicules par un prix incitatif à la pompe.
Choc pétrolier de 1973 aidant, les constructeurs français se sont fait une spécialité du moteur diesel, perpétuellement amélioré et vanté. Il leur permettra notamment de rester compétitifs par rapport à Toyota, qui s’implante avec vigueur sur tous les marchés mondiaux, et de conserver de nombreuses usines en France ainsi que les emplois qui vont avec. D’ailleurs, Jacques Calvet, président du directoire du groupe PSA déclarera en 1997 à l’Assemblée nationale :
« Nous sommes les meilleurs dans le monde en matière de diesel, pas pour les très gros diesel comme ceux de Mercedes mais pour tous les autres. Renault est parmi les tout meilleurs également. »
À partir de 1990, le diesel prend nettement le pas sur l’essence dans le parc automobile français, jusqu’à atteindre aujourd’hui 68 % des 38,4 millions de véhicules, dont 62 % pour les voitures particulières et 94 % pour les utilitaires, ce qui représente environ 80 % du carburant consommé en France.
Las, depuis l’alerte sanitaire de l’OMS, les nouvelles immatriculations diesels perdent du terrain chaque année, et sont passés d’un pic de l’ordre de 70% dans la période 2010 à 2012, à moins de 64% en 2014. En Europe, d’autres pays sont très amateurs de diesel, l’Irlande par exemple, mais la France est indiscutablement dans le peloton de tête. À l’inverse, les États-Unis boudent ces motorisations.
Parallèlement, dans nos raffineries, la situation s’inverse : alors que le diesel était en surplus, ce qui a motivé les décisions publiques en sa faveur, les capacités de raffinage françaises deviennent insuffisantes à mesure que sa popularité s’accroît, et il faut maintenant en importer, alors qu’on exporte de l’essence. Cela ne risque pas de changer : entre les prix du carburant très favorables et une plus faible consommation au 100 km, le diesel est rapidement rentable pour le consommateur lambda.
Et dans cette situation, l’État est bien coupable puisque c’est lui, avec ses taxes, qui joue le plus grand rôle dans ce différentiel. Ainsi, la part de la TICPE se montait en mars 2015 à 62% du prix du litre de SP95, contre 56% pour le gazole à la pompe. Pour se faire pardonner, l’État va donc brigander le consommateur en augmentant le diesel d’un centime par litre en 2016 et en 2017, tandis que celui de l’essence baissera d’autant au même moment, jusqu’à obtenir des prix similaires.
Manuel Valls, apparemment premier ministre et subitement soucieux de nos petits poumons, a expliqué vouloir réduire l’écart qui, selon lui :
« induit une diésélisation massive du parc automobile et qui suscite une préoccupation légitime de nombreux Français quant à son impact sur la qualité de l’air. »
Comme c’est chou de sa part. Et justement, depuis qu’il est question de sauver la planète, les poumons, les chatons mignons et la popularité de Valls, qu’en est-il de cette rivalité entre essence et diesel qui voudrait que la première soit mauvaise pour les émissions de CO2 mais excellente sur le plan des polluants atmosphériques, à l’exact opposé de la seconde ?
La réalité est un chouia plus complexe, puisque les constructeurs automobiles, malins, ont développé des filtres à particules et d’autres techniques relatives au carburant afin de rendre les moteurs diesel performants sur les deux critères, évalués au travers de la norme Euro 6 en vigueur depuis le 1er septembre 2015, qui mesure quatre polluants en sortie d’échappement (les oxydes d’azote NOx, le monoxyde de carbone CO, les hydrocarbures HC, et les particules fines mesurées en fonction de leur masse – PM – et de leur nombre – PN). Le CO2 n’est pas inclus car il n’a d’impact négatif que sur les organes institutionnels de l’ONU.
On obtient le genre de tableaux ci-dessous, dans lesquels on constate une réduction constante des seuils autorisés pour les deux types de moteurs et leur rapprochement. Ironiquement, la chasse au CO2 qui tue des chatons, réchauffe la planète et aigrit le premier ministre s’est faite dans l’automobile à essence en augmentant significativement les émissions d’oxyde d’azote et de particules. Zut alors.
Ironie supplémentaire, les zabominables particules, les PM10(*) bien polluantes, ne proviennent pas uniquement des moteurs diesels. Les mesures effectuées l’année dernière montrent que 41% de ces particules proviennent de l’abrasion des pneus, du revêtement routier et des freins. Mais peu importe. Pour l’ADEME, (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) « les gaz d’échappement demeurent la question prioritaire », fermez le ban et puis c’est tout.
À cet épineux problème d’une lutte contre des particules aux origines mal commodes s’ajoute celui, très peu médiatisé parce que, là encore, très peu médiatisable, d’une constante augmentation de la qualité de l’air. Il faut chercher un peu, mais les petits papiers d’AirParif, l’association francilienne agréée par le gouvernement pour surveiller la qualité de l’air, ne laissent pas de doute (p25 et 26) :
Alors bien sûr, comme les normes se font de plus en plus drastiques, les polluants atmosphériques dépassent ces normes de qualité de façon récurrente (on a tout fait pour), et ce même si l’amélioration de la qualité de l’air est indubitable.
Mais n’oubliez pas : quoi qu’il arrive, l’homme, petite vérole immonde du monde moderne, pollue toujours plus et le principal marqueur de sa saleté répugnante reste le CO2 dont d’immenses bouffées généreuses furent produites à la tonne pour la COP21 tenue le mois dernier.
Conclusion
Le cas du diesel est le parfait exemple de l’impossibilité de mener une politique planifiée de bout en bout et de ses conséquences inattendues, faute d’avoir une compréhension globale de tous les tenants et aboutissants. Depuis le début de son introduction volontariste en France, la politique en la matière aura consisté à brinquebaler sans ménagement le consommateur d’un côté à l’autre du spectre de la culpabilité pour pollution, avec des effets secondaires négatifs évidents (sur les capacités de raffinage, sur la qualité de l’air).
En 40 ans, les leçons n’ont pas été apprises et la situation est devenue absurde où le diesel, représentant 68% du parc de véhicules, est grossièrement vilipendé alors qu’on s’aperçoit qu’il ne serait pas aussi responsable de la pollution atmosphérique qu’on le pensait. Dans le même temps, les constructeurs automobiles, en concurrence permanente sur des normes antipollution édictées arbitrairement par des pouvoirs publics au taquet électoral, se battent pour produire des moteurs toujours plus respectueux de celles-ci au point de tricher.
Intervenant partout, l’État a ajouté ses décisions déficientes à ses idéologies boiteuses, faussant systématiquement le réel en ne laissant pas le marché s’adapter régulièrement aux évolutions économiques, technologiques et écologiques. En France, le cas du diesel est l’illustration flagrante de l’aveuglement des politiciens, des administrations et des groupes de pression qui croient tout savoir, et qui aboutit au capitalisme de connivence le plus caricatural.
Décidément, pour le diesel comme pour le reste, l’erreur est humaine, mais pour un résultat catastrophique, il faut faire intervenir l’État.
(*) PM10 : particules fines dont le diamètre est inférieur ou égal à 10 μm (micromètre).
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