Il y a de quoi se plaindre dans
cette république dérangée qu’est la nôtre – si tant est qu’elle puisse encore
être qualifiée ainsi – mais les tracasseries de joueurs de football américain
ne devraient pas être en tête de liste. Je trouve pour ma part quelque peu
étrange de jouer l’hymne national avant un évènement sportif. Pour moi, le
fait que nous ayons sans cesse à démontrer notre amour pour notre pays de
manière si obsessive n’est rien de plus qu’un signe de profonde insécurité.
Il en va de même pour les membres du Congrès et leurs pin’s idiots au drapeau
américain, ou encore les drapeaux qui flottent au vent devant tous les
restaurants Denny’s du pays. Leurs clients sont peut-être si désorientés
quand ils en sortent qu’il leur faut un drapeau pour leur rappeler où ils se
trouvent.
Ce qui m’irrite plus en
revanche, c’est de voir des joueurs de baseball en uniforme camouflage, comme
s’ils étaient une extension de l’armée des Etats-Unis. Mais personne n’en dit
rien. San Diego est-elle soudainement devenue le théâtre d’une guerre ?
Et pourquoi nos militaires se baladent-ils en tenue de combat quand ils vont
acheter des lunettes de vue ? Nous faisions autrefois une distinction entre
la tenue de combat et ce qui était porté le reste du temps, même en temps de
guerre. Et pourquoi diable est-il nécessaire de faire voler des avions de
chasse au-dessus du stade avant le Super Bowl ? Qui autorise de telles
dépenses ? A qui tentons-nous de faire peur ?
Bien évidemment, la nouvelle
vague de ressentiment générée par notre immodéré président, le Grand Golem à
la toison d’or, a été gonflée par les courants océaniques d’animosité raciale
qui forcent le pays plus proche encore de la perdition que les récents
ouragans. La campagne de genou à terre était déjà présente avant que M. Trump
ne s’en mêle. Réjouissons-nous au moins du fait qu’il nous ait épargné la
tirade habituelle sur la « diversité » et l’entente entre tous les
citoyens. Avec sa franchise et sa maladresse habituelles, il pourrait forcer
la nation à clarifier le problème.
Il n’est certainement pas
question des déboires d’athlètes professionnels. Ils se sont chargés de
représenter le grief d’une autre sphère de l’Amérique noire, peut-être celui
des ghettos urbains ou du fin fond du Dixieland, ou peut-être encore des
banlieues ennuyeuses comme celle de Prince George County, dans le Maryland.
La question qui se pose, pour être tout aussi abrupt, est de savoir si c’est
vraiment l’Amérique non-noire qui limite l’Amérique noire.
Je dis non-noire, parce qu’il
existe bien d’autres groupes ethniques aux côtés de la majorité en déclin de
« Blancs ». Et il existe peut-être même plus d’animosité entre les
Asio-Américains et les Noirs Américains qu’entre Noirs et Blancs. Mais les
Asio-Américains n’ont jamais fait des Noirs leurs esclaves, alors ce n’est
pas à eux qu’on reproche ce péché originel.
Ce que les nouveaux arrivants
asiatiques ne cessent de prouver, c’est qu’il est tout à fait possible de
s’en sortir financièrement et scolairement même lorsque l’on débarque dans ce
pays avec une culture et une langue complètement étrangères à la vie
américaine. C’est quelque chose qui est particulièrement visible dans la
Silicon Valley. A vrai dire, si les Asiatiques se plaignent d’une chose,
c’est qu’ils s’en sortent si bien à l’université que ces dernières doivent
réduire leurs quotas d’admission pour laisser une chance aux autres groupes
ethniques.
Il semble y avoir un tel
décalage psychologique entre les sentiments de l’Amérique noire et de
l’Amérique blanche qu’il est désormais impossible de savoir comment régler le
problème. Les Blancs démocrates-progressistes (anciennement libéraux)
semblent tant rongés par leur consternation anxieuse face au devenir du
combat pour les droits civils qu’ils se tiennent prêts à commettre une sorte
de hara-kiri de leur blancheur impardonnable. Dans une certaine mesure, ils
ont tenté de compenser en se battant pour une liste grandissante de groupes
« marginalisés », dans l’espoir d’être un jour la source de
changements sociaux positifs – il est simplement plus simple de mettre un
nombre significatif d’homosexuels dans les comités de direction que d’y faire
entrer des Noirs – mais les démocrates-progressistes restent coincés face à
la réalité : une importante sous-classe noire dysfonctionnelle. Ils ne
peuvent cependant pas admettre que leurs propres remèdes artificiels tels que
le financement de naissances hors-mariage ont quoi que ce soit à voir avec le
problème, ou encore reconnaître les effets dévastateurs du multiculturalisme
sur une sorte de culture universelle commune basée sur des valeurs partagées
par tous.
De la même manière, l’Amérique
noire impose son désir d’opposition à ce qui reste aujourd’hui de la culture
nationale commune sous couvert de « racisme systémique et
d’injustice ». Cette opposition s’est infiltrée dans la culture noire
depuis les années 1960, probablement en réponse à l’anxiété causée par la
législation sur les droits civils de 1964-65. Tout est véritablement question
de comportement, notamment à l’école. Est-il nécessaire de parler dans un
Anglais correct ? Croyez-moi, la société s’en trouverait bien avancée.
Ella Fitzgerald ne chantait pas en noir ou en blanc à l’époque. Elle se contentait
de chanter.