Selon une opinion très courante, y compris en dehors des
frontières américaines, les élections
présidentielles sont, dans ce pays, une « histoire de gros
sous. » D’ailleurs, nombre de données permettent de
le confirmer. Il y aurait un lien évident entre contribution
financière des entreprises aux élections et capitalisation
boursière. Sauf que les choses ne sont pas aussi simples, et qu’en
y réfléchissant de plus près, on peut voir les choses
sous une autre lumière.
Certes, les grandes entreprises ont le cash nécessaire pour
influencer les électeurs, « acheter » les
candidats, et s’offrir les politiques capables de servir leurs
intérêts.
Contrairement à la France, l’ « investissement
politique, » est dans ce pays relativement libre. Ceci est d’autant
plus vrai depuis une décision de 2010 de la Cour Suprême et le
développement des super-PACs, des instruments par lesquels les big businesses peuvent dépenser
des sommes illimitées en faveur du politicien de leur choix.
Mais l’investissement politique existait depuis longtemps, et
était déjà très important. Rien
d’étonnant à cela. C’est un investissement
très rentable.
Les entreprises qui apportent les plus grosses contributions aux
campagnes électorales en retirent effectivement des super-profits.
Dans une étude de 2009, deux économistes font un constat intéressant.
Cinq cents jours après la réélection de G.W. Bush, les actions
des 30 compagnies lui ayant apporté
le plus de fonds avaient fait 30% de mieux que les autres (Figure 1.)
Figure 1
D’autres
éléments confirment cette idée que les grandes entreprises
influencent le pouvoir grâce à leurs ressources
financières. Strategas a, par exemple, développé un
index représentant le cours des actions des 50 compagnies faisant les
plus grosses dépenses de lobbying (une autre forme
d’investissement politique.)
Figure 2
Comme le montre la Figure 3, celles-ci en retirent également des
bénéfices importants en termes de capitalisation
boursière.
Figure 3
En fait, la proximité semble si grande entre Wall Street, K
Street (siège de nombreux lobbies à Washington D.C.), et
Pennsylvania Avenue (reliant la Maison Blanche et le Capitol), que l’on
se demande parfois s’il est bien utile de sonder les électeurs
– voire de tenir des élections, tant le parallèle est
étroit entre le cours de la Bourse et les chances du principal
candidat (Figure 4.)
Figure 4
Voilà donc un raisonnement rondement mené. Les
données confirment l’opinion courante, affaire classée. Les
élections ne seraient qu’une affaire de gros sous qui profitent
aux puissants de ce monde.
Pourtant, osons penser de manière critique et remettre en
question la bonne vieille lamentation à propos du « pouvoir
de l’argent » ? Et si nous affirmions de façon
plus inattendue qu’il est heureux que les grandes entreprises puissent
influencer le pouvoir grâce à leur puissance
financière ?
Car une affirmation vérifiée par les faits n’est pas
nécessairement une vérité. Ce pourrait très bien
n’être qu’une simple partie d’un ensemble bien plus
complexe, dont elle donne une représentation mensongère
Ainsi, il est « vrai » que les grandes compagnies
se servent de leur richesse pour influencer le pouvoir. Mais n’est-ce
pas tout aussi vrai des syndicats ? Certains d’entre eux
n’ont-ils pas un capital politique tout à fait comparable
à celui des grandes compagnies ? Et n’en retirent-ils pas
des bénéfices tout aussi importants ?
On pensera aisément aux syndicats d’employés du
secteur public, lesquels défendent au moins autant leurs avantages que
le « un pourcent » défend ses
« privilèges. »
Mais cela serait tout aussi vrai dans le secteur privé.
Après tout, le gouvernement américain a volé au secours
de General Motors (dont les ouvriers recevaient alors en moyenne $75 de
l’heure), et pas de Lehman Brothers…
D’une manière plus générale, n’est-il
pas vrai que tout groupe d’intérêt cherche, autant
qu’il le peut, à influencer le pouvoir pour qu’il
s’exerce en sa faveur ? N’est-ce pas, au fond, le principe
même d’une élection démocratique ?
Certes, les grandes entreprises ont des poches particulièrement
profondes. Mais l’on suppose généralemenr que,
derrière elles, ce sont « les riches » qui
achètent les élections et les lois qui leur conviennent. Or, les grandes entreprises ne
sont-elles pas plus riches que d’autres groupes simplement parce
qu’elles représentent un plus grand nombre de personnes ?
De fait, les compagnies côtées en bourse ont toutes des millions
d’actionnaires, dont les plus gros ne possèdent jamais plus
d’un petit pourcent de leur capital.
De même, les plus grandes entreprises sont aussi celles qui
produisent le plus, c’est-à-dire celles qui fournissent le plus
d’emplois, et satisfont le plus de besoins.
Se pourrait-il, dès lors, que l’influence des grandes
compagnies soit, en fait, un des rares moyens, pour le peuple d’exercer
quelque contrôle que ce soit sur le gouvernement ?
Après tout, cela n’aurait aucun sens pour une grande
entreprise, dont ce n’est pas le business, de faire de tels
investissements politiques si l’État ne disposait pas lui-même
d’un gigantesque pouvoir d’influence sur son activité et ses
résultats.
Quelle est, donc, la véritable source du
problème : que les grosses compagnies dépensent de gros
sous pour influencer l’exercice du pouvoir, ou bien que les politiciens
puissent, une fois élus, intervenir à leur grè dans
l’économie ?
Il est devenu normal pour les conseillers financiers de mettre en place
des stratégies d’investissement en fonction des programmes des
candidats et de leurs chances
respectives. En voici un exemple
parmi d’autres.
De fait, on n’a pas besoin d’être expert en économie
pour comprendre que les assureurs et les prestataires de santé ont
énormément à gagner à la réélection
d’Obama alors que les fabricants d’armes ont tout à y
perdre.
Et, dans ce contexte, n’est-il pas normal, et au fond hautement
désirable, que les entreprises qui satisfont le mieux les besoins des
consommateurs, embauchent le plus, et offrent les meilleures
opportunités d’investissement, s’évertuent à
défendre cette masse d’intérêts en cherchant
à influencer l’exercice du pouvoir ?
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