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L’éthique
libérale se définit comme étant le respect de la
propriété. La propriété, cependant, ne renvoie
pas seulement aux objets qui appartiennent à l’homme, mais
à l’homme lui-même en tant qu’il est son propre
maître. Ces deux aspects de la propriété sont souvent
confondus et constituent une importante source de conflit. On peut illustrer
ceci à partir de deux exemples qui n’ont de commun qu’une
certaine idée que l’on se fait de l’étranger. Plus
précisément, j'utiliserai l’interdiction de porter le
voile pour discuter de la propriété de soi et l'accueil des
immigrants pour illustrer la notion de propriété en
général. Ces exemples serviront à démontrer que
la conception libérale de la propriété permet de
résoudre ou, à tout le moins, d’atténuer des
conflits qui n’ont, à première vue, rien à voir
avec la propriété.
Port du voile et
propriété de soi
L’État
français projette d’adopter une loi interdisant les
«signes religieux ostensibles» dans les écoles publiques,
visant ainsi particulièrement les musulmanes qui portent le voile.
Certains s’en réjouissent en invoquant le besoin d’une
conformité aux moeurs françaises, tandis que d’autres
s’en offusquent en invoquant les préceptes de leur
religion.
Le port du voile dérange certaines gens, car celui-ci évoque
chez eux la soumission de la femme à l’autorité
masculine. Cependant, la femme qui porte le voile n’agit pas
nécessairement dans l’idée d’obéir à
l’autorité masculine, mais aux préceptes
véhiculés par une stricte interprétation de sa religion.
Plus important, le port du voile n’agresse personne physiquement.
Cette image de femme soumise fruste certaines gens qui aimeraient voir en
l’autre la même autonomie et la même indépendance face
aux autorités ou aux doctrines religieuses qu’ils
s’attribuent à eux-mêmes. Une loi à cet
égard transforme ce qui n’était qu’un sentiment
agaçant en véritable agression. Il y a conflit de valeur
lorsqu’on oublie les principes permettant la coopération humaine
pour se concentrer sur des différences qui n’agressent personne.
L’interdiction de porter le voile constitue une violation de
l’usage qu’un être humain peut faire de son corps. Elle est
donc de même nature que les interdictions visant certaines drogues,
pratiques sexuelles, le suicide, la prostitution, etc. Ces interdictions sont
non seulement inutiles, mais nuisent à la coopération humaine.
Elles traduisent à la fois une peur de la différence et un désir
de conformité à ce qui n'a nul besoin d'être
uniforme.
Tant qu’un comportement n'implique aucune agression envers qui que ce
soit, il n’y a aucune crainte à avoir et par conséquent
aucune interdiction n’est nécessaire à cet égard.
Au lieu d’imposer aux musulmanes une tenue dépourvue de signes
religieux ostensibles, il serait plus sage de simplement leur rappeler
qu’elles sont libres de les porter.
Lorsque les morales religieuses et étatiques visent l’usage que
l’homme peut faire de son corps elles tendent à en tracer les
limites dans le but avoué de maintenir l’ordre public. Dans un
monde où les cultures se côtoient l’ordre se maintient ou
bien par la coercition ou bien en préservant un dénominateur
commun. Pour l’éthique libérale, le dénominateur
commun est le principe de non-agression. En ce qui a trait à la
propriété de soi, le principe de non-agression signifie ne pas
tuer ou plus généralement ne pas utiliser la coercition et la
violence envers autrui, sauf pour se défendre d'une agression. En ce
qui ce qui concerne plus particulièrement la propriété
de l’individu, la non-agression signifie ne pas voler autrui, ne pas
lui retirer la jouissance légitime de ses biens par la force.
Illustrons maintenant à l’aide d’un exemple plus
complexe.
Propriété
et immigration
Le projet de loi
relatif aux signes religieux ostensibles vise particulièrement la
conformité de certains immigrants aux moeurs locales. Certains
s’en réjouissent, car ils considèrent qu’il
s’agit de la moindre des choses à demander aux immigrants
étant donné la «générosité»
dont on fait preuve envers eux en les laissant entrer sur «notre»
territoire. Les deux aspects du concept de propriété sont ici
en jeu.
Lorsqu’un individu n’a pas d’autorisation d’entrer un
pays ou d’y séjourner plus d’un certain temps pour une
question de statut, cela entraîne son expulsion. Celle-ci constitue
nécessairement une violation de la propriété de soi dans
le sens qu’une menace est utilisée à l’égard
d’un individu qui n’a probablement rien fait de mal.
Dans l’optique libérale, tant qu’il n’y a pas
d’agression il ne devrait pas y avoir de quota d’immigration. En
effet, il n’y a pas d’autorisation à donner à
l’immigrant, car celui-ci n'est ni un invité, ni un intrus.
L’immigrant se présente dans une ville où il cherche
hébergement et nourriture. Dès lors, s’il satisfait ses
besoins grâce aux fruits de son travail, il n’y a pas de raison
de conflit car il n’y a pas d’agression.
L’immigrant
n’a pas enfreint la propriété de quiconque. Et cela n'est
pas parce que les rues et autres voies de passage sont publiques. Même
si ces espaces étaient privés, leurs propriétaires
n'auraient pas les mêmes intérêts que les
propriétaires de maisons où l’on entre sur invitation
seulement. Ainsi, même dans un monde où tout a été
privatisé les propriétaires de rues commerciales, où se
retrouvent la plupart des immigrants à leur arrivée,
n’ont pas intérêt à limiter leur nombre, car les
besoins des uns constituent les intérêts des autres. Ce
n’est que la taxation concurrente à l’immigration qui
crée l’animosité envers l’étranger.
Toutefois, si le sentiment est justifié la cible l’est moins.
Dans le contexte actuel, certains diront, non sans raison, qu’une telle
politique serait ruineuse pour les contribuables, qui doivent financer divers
programmes pour accueillir les immigrants. Cependant, ce ne serait pas
dû à la fausseté du principe de non-agression. En effet,
si la venue d’immigrants entraîne une hausse des impôts, il
ne faut pas en blâmer l’immigrant, mais l'imposition en tant
qu'agression. Autrement dit, il y a glissement du concept de
propriété d’un de ses aspects à l’autre.
Dans le cas présent, on passe d’une restriction à
l’immigration au-delà d’un certain nombre et selon le
statut aux frais que cela engendre pour les contribuables, soit d’une
violation de la propriété de soi à la violation de la
propriété au sens strict. Ce glissement s’explique en
bonne partie par le processus démocratique qui tente en vain de
traduire des valeurs individuelles en valeurs collectives.
Démocratie et
immigration
Recevoir les
immigrants est considéré par plusieurs comme un acte de
générosité. Pourtant, la population qui les accueille
est rarement consultée. Comment peut-on qualifier de
généreux un acte sur lequel nous n’avons pratiquement
aucun contrôle? Une décision prise sur la base d’un vote
majoritaire ne lui confère aucune générosité, car
celle-ci ne peut être qu’individuelle. Une action vertueuse ne se
transmet pas par processus démocratique, car les décisions qui
conduisent les gens à voter peuvent être aussi nombreuses
qu’il y a d’individus.
On tente bien de s’en défendre, mais les arguments
avancés ne tiennent pas la route. Par exemple, certains disent que
l’unanimité est impossible en démocratie et qu’il
faut donc être pragmatique. C’est souvent l’unique raison
évoquée pour empiéter la propriété
d’autrui. Or, ou bien on respecte la décision de chaque individu
et alors on ne taxe que ceux qui le veulent, ou bien on agresse la
propriété de tous et alors on ne peut pas parler de
générosité et de solidarité. Dans ce contexte,
prétendre être pragmatique n’est qu’un
euphémisme pour ce qui s’avère n'être que
l'imposition de ses choix avec l’argent des autres. Cela n’est
pas de la générosité, mais de
l’égoïsme.
Un libéral voit l’immigrant comme tout autre individu. Si
celui-ci reçoit de l’aide sociale il ne lui en tiendra pas
rigueur, il s’en prendra plutôt aux sociaux-démocrates qui
le volent pour accueillir l’immigrant à ses frais. En
d’autres mots, le libéral ouvre grande les portes à
l’immigrant tout en l’excluant, lui comme tous les autres, de
toute forme d’aide sociale, car seule celle-ci constitue une agression
envers sa propriété.
Toutes les morales promettent la non-agression d’autrui, mais seule
l’éthique libérale s’en tient à ce principe.
En effet, le social-démocrate a tendance à mesurer sa morale en
degré avec l’argent des autres. Ainsi, plus il accepte
d’immigrants, hausse le salaire minimum et augmente le taux de
taxation, plus il se dit généreux et progressiste. Cette morale
est source de conflit, car elle pousse les gens à revendiquer
davantage et à s'accuser mutuellement de maux qui proviennent
essentiellement de la coercition de l’État. Toutefois, comme
l’État n’est pas vu comme la source du mal, mais
plutôt comme le pacificateur, il est appelé à
contrôler davantage nos libertés sous le prétexte de les
maintenir.
Pour le libéral, une action ne peut être qualifiée de
généreuse que si le moyen utilisé n’est pas
coercitif. En d’autres mots, aider des gens grâce à une
agression préalable sur une tierce partie constitue peut être
une aide, mais certes pas de la générosité.
L’illégitimité de la social-démocratie tient au
fait que sa pratique vise le collectif. Elle utilise la coercition au nom de
la majorité et du bien prétendument commun.
Au contraire, l’éthique libérale se fonde en raison
à partir d’un principe. Elle jette un oeil nouveau sur des
problèmes, tel l’immigration, qui paraissent parfois
insurmontables. Elle est conditionnelle à la morale qui
s’exprime par l’entremise des vertus. Cette
conditionnalité ne la rend pas amorale pour autant puisqu’elle
exige de l’autre la non-agression, sans quoi la coopération
humaine ne peut s’épanouir. Elle n’a nul besoin
d’autorité autre que la sienne. Elle remet donc en question la
démocratie comme processus décisionnel. Elle appelle
l’homme à se dépasser et ne se réalise donc pas
sans effort. L’éthique libérale est le propre de chaque
individu et ne demande qu’à être comprise et
appliquée pour le bien de tous.
André Dorais
André
Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à
Montréal.
Les vues présentées par l’auteur sont
les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire
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