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La différence
entre la morale et l’éthique est historique. Les philosophes de
l’Antiquité parlaient d’éthique, alors que les
Latins l’ont traduit par la morale. On associe davantage la morale aux
prescriptions de la religion, mais comme la plupart des gens, j’utilise
ces termes indifféremment.
Kant est un des plus grands philosophes qui ait existé. Si j’avais
à enseigner l’éthique à l’aide de quelques
classiques, je choisirais Aristote et Spinoza pour leurs descriptions des
vertus, Kant pour son analyse de la liberté et Murray N. Rothbard pour
son analyse de l’agression. Évidemment, l’agression
n’est pas une vertu, mais son étude facilite
l’identification de tout ce qui se fait passer pour vertu. Bien
qu’ils aient procédé différemment, Kant et
Rothbard ont conclu à l’éthique de la liberté comme
représentante de la justice universelle. En démasquant la
prétention éthique du politique, Rothbard en indiquait toute
l’exigence pratique.
Une synthèse de
ces morales conduit à en retracer les limites. En effet, diviser
l’éthique en deux champs distincts permet de mieux circonscrire
le type de prescription qui s’y rattache. Ainsi, je regroupe les
vertus, à l’exception de la justice et de la prudence, sous
l’éthique du bonheur, soit une étude du caractère,
tandis que l’éthique de la liberté est confinée
aux questions de justice. Celle-ci a pour principe la non-agression.
Malgré sa simplicité elle n’est pas respectée, ou
si peu. Comment en viens-je à ces conclusions?
La raison comme
liberté
Si les auteurs
susmentionnés ont leur propre conception de l’éthique, je
considère néanmoins que celles-ci se complémentent davantage
qu’elles se contredisent. Kant cherchait les fondements de la morale.
Il a trouvé la liberté, qu’il caractérisait comme
étant une « idée » et une «
supposition nécessaire de la raison ». En
d’autres mots, la liberté est pour lui, comme pour tous les
auteurs qui l’ont suivi, un axiome, c’est-à-dire une
vérité indémontrable. Cependant, à le lire il est
difficile de ne pas établir une équivalence entre raison et
liberté.
En effet, en quoi diffère la raison de la liberté de penser?
Pourquoi dire que la raison est un attribut ou une caractéristique de
l’homme et la liberté un axiome? Pourquoi faire cette
différence? A-t-on mieux démontré la raison que la
liberté? Dire que la liberté est la raison n’est certes
pas conventionnel, mais cela n’enlève rien à ceux qui en
font un postulat et décrit tout aussi bien, voire mieux, la nature
humaine.
En réalité, ces concepts sont non seulement interchangeables,
on les éliminerait que cela n’y changerait rien. En autant que
vous sachiez distinguer le pouvoir exercé par la force de celui
exercé par la raison, vous serez en mesure de décrire la
réalité.
L’éthique
comme raison pratique
Dans cette optique, la
liberté (la raison) n’est pas seulement le fondement de
l’éthique, mais le fondement de toute science. À son
tour, le fondement ou plus précisément le principe de
l’éthique, de la raison pratique, est la non-agression. Avant
d’être un devoir, le principe de non-agression est un intérêt.
L’homme reconnaît qu’il a intérêt à
coopérer avec autrui ou, à tout le moins, à ne pas
l’agresser. L’éthique est d’abord un calcul,
c’est-à-dire qu’elle demeure toujours la raison.
La coopération permet de combler ses désirs plus rapidement.
Cet intérêt de coopérer implique également un
désir de maintenir la vie. Un homme ne peut prendre le temps
d’argumenter cette vérité sans en même temps la
prouver. Ici se fondent la description et la prescription, la raison et
l’éthique, l’être et le devoir être.
L’éthique de la liberté est rationnelle.
Le principe de
l’éthique
Vouloir maintenir la
vie d’autrui pour profiter de sa coopération constitue la base
du principe de non-agression. Au même titre que le fondement moral
kantien, le principe de non-agression est universel,
c’est-à-dire qu’il est à l’avantage de tous
sans être au détriment de personne.
Une agression est une attaque contre une personne. Toutefois, on la
définit généralement de manière extensive.
L’agression physique en est la pire forme. Le vol commis sous la menace
d’agression n’est pas loin derrière. Ravir le bien de
quelqu’un, sans le menacer, ne constitue pas une agression physique,
mais en étirant la définition et en considérant que cet
acte subtilise une partie de l’homme lui-même, on dira que cela
en constitue la forme la plus ténue. Cependant, que l’on accepte
ou non de qualifier la fraude et le vol simple comme des agressions, cela
n’en demeure pas moins inacceptable.
On n’a pas besoin de sonder les gens pour s’assurer qu’une
vaste majorité est d’accord avec le principe de non-agression,
car cela est dans l’intérêt de tous. Il s’agit
d’un principe établi par l’évolution de la raison.
Il vise toute action humaine. Celui qui n’en tient pas compte est
potentiellement dangereux. Aucune morale ne peut prétendre être
légitime et universelle si elle ne respecte pas ce principe.
Propriété
et liberté: deux concepts permettant d’atteindre un même
but
Le concept de
non-agression est un principe, c’est-à-dire premier devoir de
l’homme. Ce devoir lui permet d’espérer rester en vie, car
sans ce principe sa vie est constamment menacée. La raison pratique
lui indique de respecter l’homme pour ce qu’il est, soit un
propriétaire. Un homme ayant comme seule richesse ce qu’il porte
sur le dos n’en demeure pas moins l’unique autorité de ses
actes. Il est propriétaire de lui-même, maître de ses
choix.
Le concept de propriété renvoie à l’homme et
à ses possessions, tandis que le concept de liberté renvoie
à la raison et la raison pratique, par conséquent à
toute action humaine. Puisque l’homme tente de mettre en pratique ses
idées, respecter celles-ci implique le respect de ses actions. En
termes abstraits, respecter la liberté signifie
également le respect des libertés. Respecter la
propriété signifie essentiellement la même chose. Ces
concepts ne sont pas synonymes, mais ils se recoupent beaucoup.
Les libertés ne se limitent pas seulement à celles se
retrouvant dans les chartes des droits, mais à toutes celles entendues
sous le concept de liberté ou de propriété. Ces
libertés, qui deviennent droits individuels sous le sceau de la
légalité, se ramènent toutes au principe de
non-agression. Respectez ce principe et vous accomplissez tous vos devoirs.
Faites-le en partie et vous commettez une injustice.
Dans son
intérêt, l’homme doit à autrui la non-agression.
Les problèmes commencent lorsqu’on traite ce devoir
d’essence individuelle en devoir collectif. On interprète
d'abord la lettre des droits plutôt que l’esprit, ensuite on les
confond avec des droits soi-disant collectifs (démocratiques, sociaux
et économiques). Ce faisant, on multiplie l’obligation. Or,
l’homme n’a pas à subir d’autres contraintes que
celles qu’ils s’imposent à lui-même tant et aussi
longtemps qu’il n’agresse personne. La multiplication des
contraintes n’est pas dans son intérêt. Le politique va en
sens inverse de l’éthique.
L’imposture de
la morale sociale-démocrate
La morale
démocratique (étatiste, égalitaire) n’a de morale
que la prétention. Il s’agit d’une morale qui
s’impose par la force coercitive de la loi. Par conséquent, elle
ne peut prétendre à l’universalité, car ce
critère implique un désir qui soit imposé par la seule
force de la raison. Les gens veulent la non-agression, mais beaucoup moins
veulent la taxation. Celle-ci est établie de manière coercitive
et cela suffit pour disqualifier ce régime de morale.
Cette morale est instable, car elle tente de s’établir en ayant
recours à un seuil ou à un degré quelconque impossible
à déterminer. Ses partisans se disputent entre eux à
savoir si la générosité commence avec un salaire minimum
à 10$, 20$ ou 50$ de l’heure; si le niveau d'imposition est
abusif à partir de 20%, 50% ou 75% des revenus; s’ils doivent
étendre le contrôle des prix à d’autres secteurs
d’activités; s’ils doivent ajouter d’autres
monopoles à ceux qu’ils détiennent déjà
dans les services des soins de santé, d’éducation, de
sécurité, etc.
S’ils n’invoquent pas directement la morale, les partisans de la
social-démocratie la sous-entendent par l’utilisation constante
de concepts à connotation morale. Or, on ne peut pas invoquer la
morale ou la justice en termes de degré. Vous n’êtes pas
plus « progressiste » parce ce que vous taxez 70%
des revenus plutôt que 20%. Vous n’êtes pas plus «
solidaire » parce que vous augmentez les subventions. Vous
n’êtes pas plus « juste » parce que vous
faites des soins de santé un monopole d’État.
Inversement, vous n’avez pas moins de « morale »
à réduire le taux de taxation. Vous pourriez être la
personne la plus charitable au monde tout en abolissant la taxation et le
gouvernement.
La morale étatique est fausse, car elle vise un résultat sans
tenir compte des moyens pour y arriver. Pour ses partisans, la morale est
dans l’égalité. Ils visent une égalité
économique ou, à tout le moins, une plus grande redistribution
des richesses afin que tout le monde reçoive plus ou moins la
même chose. Il y a plusieurs problèmes avec cette approche, mais
le principal est que pour y arriver vous devez utiliser la force coercitive
de l’État. Or, utiliser des moyens coercitifs pour arriver
à ses fins est nécessairement immoral.
Les sociaux-démocrates essaient par des moyens tous plus
démagogiques les uns que les autres à convaincre les gens que
taxer est un mal nécessaire pour faire le bien. La
vérité est que vous ne pourrez jamais justifier rationnellement
qu’un bien peut résulter d’un mal sans tomber dans des
raisonnements spécieux.
Une morale, pour être légitime et universelle, doit viser les
moyens et non les résultats. Si vous visez des résultats, tels
que l’égalité économique, et que vous prenez des
moyens coercitifs pour y arriver, vous êtes injuste et immoral. Que
cette façon de procéder soit le lot des sociétés
d’aujourd’hui n’y change strictement rien. Le fait
d'être appuyé par une majorité permet certes avoir le
dernier mot, mais non parce que cette dernière a raison, plutôt
parce qu’elle s’impose par la force. Une majorité,
même démocratique, n’est pas un gage de moralité et
de justice, mais tout au plus le fondement d'un pouvoir exercé par la
force. La morale n’est pas une question de majorité, pas plus
qu’elle se mesure en termes de degré. La morale est une question
de principe.
Délimitation de
l’éthique
L’éthique a pour champ toute l’activité humaine.
Vous ne pouvez pas ne pas en tenir compte sans être
considéré dangereux pour les autres, car toute autre science et
toute autre activité lui sont subordonnées. Elle n’a
qu’une seule exigence: la non-agression entendue de manière
extensive. La plupart des gens n’ont aucune difficulté avec ce
principe tant qu’on ne considère pas la taxation comme
étant un vol. Pourtant, personne ne paie volontairement les taxes.
Celles-ci sont justifiées par des arguments fallacieux qui tentent de
subordonner l’éthique aux autres sciences.
En subordonnant l’éthique, notamment au politique, cela laisse
le champ libre aux gouvernements pour faire à peu près
n’importe quoi. Il n’existe pas une telle chose qu’une
justice applicable en droit et une autre applicable en éthique. La
justice est à la recherche de la vérité et non de
l’autorité. Il n’y a qu’une seule justice
universelle: l’éthique de la liberté ou le droit tel
qu’il doit être.
En plaçant la légalité d’un système
normatif au-dessus de l’éthique vous abaissez celle-ci à
celle-là. Vous obtenez un droit qui n’a pour seule
légitimité que la force légale. Or, donner son assentiment
à la légalité d’un système juridique sans
se soucier de savoir s’il est légitime ou non, c’est faire
preuve d’un relativisme moral. En tant que membre d’une
société, vous êtes partie intégrante d’une
morale ou d’une éthique. Vous n’en sortez pas. Il n’existe
pas de science de l’homme amorale.
Se contenter de la légalité d’un système
juridique, c’est déjà montrer ses couleurs. Le
relativisme moral est injuste et immoral s’il permet l’agression.
Dans la mesure du possible le scientifique tente de rester impartial dans
l’exercice de ses fonctions, mais il lui est impossible
d’être amoral tant qu’il vit en société.
Celui qui endosse l’agression doit être combattu. Or, les
politiciens, juges, avocats, sociologues, économistes, historiens et autres
commentateurs de l’action humaine tentent-ils de réduire
l’agression ou d’en promouvoir une forme différente? Le
premier camp est libéral, le second social-démocrate.
Aujourd’hui, la tendance est à identifier (assimiler) la morale
à la démocratie. Le problème, c’est que vous
n’arriverez jamais à trouver un niveau d'imposition qui
corresponde à l’éthique, car celle-ci n’est pas une
question de degré. Plus longtemps vous chercherez
l’éthique à travers un régime politique, plus
grandes seront vos chances de tomber avec lui, car celle-ci est une
perversion de celle-là.
À force de taxer les gens, la démocratie réduit le choix
individuel. Lorsque le choix est réduit, la richesse l'est autant.
Richesse qui vous simplifie la vie et qui vous permet de
l’apprécier. La morale démocrate conduit à une
forme d'égalité, mais une égalité
dépourvue d’originalité et d’initiative, une
égalité dans la pauvreté et la misère.
Certains prétendront que la morale n’est pas le fruit de
l’homme, mais de son créateur. Tant que les gens respectent le
principe de non-agression les morales religieuses ne posent aucun
problème à l’éthique. Si un homme adhère
volontairement à une religion en connaissance de cause, un
libéral n’en a rien à redire.
Les vertus
L’éthique
de la liberté ne dit rien des vertus, si ce n’est par
l’entremise de la justice, mais elle leur laisse toute la place. La
pratique des vertus est souhaitable, alors que la justice est un devoir. Un
homme généreux et courageux est certes intéressant, mais
s’il ne respecte pas la propriété d’autrui comment
peut-il prétendre être juste? Un homme qui ne répond pas
d’abord de la justice ne peut prétendre agir moralement. Taxer
les uns pour donner aux autres n’est pas plus un acte de
générosité que de justice. Vous ne pourrez jamais
être généreux en distribuant l’argent des autres
contre leur gré, car la générosité est la vertu
du don et celui-ci ne peut être que volontaire.
L’éthique de la liberté est calculatrice et par là
elle est froide. Toutefois, elle est essentielle à une vie en
société, bien qu’insuffisante au bonheur. La pratique des
vertus vient combler en partie ce vide. Ne dit-on pas que le plaisir est de
donner? Les vertus sont toujours du ressort de la raison, mais elles font
également place aux sentiments.
Certes, justice et
générosité concernent l’une et l’autre nos
rapports avec autrui (du moins principalement: on peut en avoir besoin aussi
pour soi-même); mais la générosité est plus
subjective, plus singulière, plus affective, plus spontanée,
quand la justice, même appliquée, garde en elle quelque chose de
plus objectif, de plus universel, de plus intellectuel ou de plus
réfléchi. La générosité semble devoir
davantage au coeur ou au tempérament; la justice, à
l’esprit ou à la raison (André Comte-Sponville, Petit
traité des grandes vertus).
L’éthique
du bonheur est une étude du caractère. Les vertus en sont le
contenu, le bonheur le but. Le désir est le premier moteur de
l’homme, mais il doit céder sa place à la raison pour le
guider. Sans l’aide de celle-ci il risque de prendre des vessies pour
des lanternes. À trop contenir celui-là sa vie peut être
juste, mais triste. Le bonheur est possible sans la justice, mais il risque
alors d’être éphémère. La justice est donc
une condition du bonheur durable. L’homme ne saurait s’en passer,
mais il ne s’ensuit pas qu’il ait besoin de l’État.
Le libéral a pour sujet de prédilection la philosophie de
l’action, la praxéologie, c’est-à-dire
l’étude de l’action humaine, qui reconnaît
d’emblée l’éthique de la liberté. Cette
étude peut lui donner un air sérieux, froid, et peut-être
l’est-il en réalité, mais il n’est pas
obligé d’en rester là. L’éthique du bonheur
est ouverte à tout le monde, mais elle se pratique d’autant plus
facilement qu’il y a éthique de la liberté.
André Dorais
André
Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à
Montréal.
Les vues présentées par l’auteur sont
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