Bien que tout le monde s’affaire au foot ou aux vacances qui approchent à grands pas, c’est maintenant officiel : la dette de l’État et des administrations français est maintenant de 2000 milliards d’euros, après une joyeuse augmentation au premier trimestre 2014 de plus de 45 milliards. Jolie performance.
Premier constat : l’augmentation de la dette est donc soutenue, et le rythme s’est accéléré ces derniers mois. Et lorsqu’on examine un peu la répartition du gâteau (ou, disons, de l’anti-gâteau, puisqu’il s’agit d’une dette), c’est l’État qui arrive en tête avec 43.3 milliards des 45.5 milliards d’augmentation (95%), les miettes étant laissées à la Sécurité Sociale. En somme, celui qui devrait faire le plus d’économies est celui qui contribue le plus à la dérive de la dette.
Deuxième constat : si on se focalise un peu sur le chiffre de 2000 milliards, c’est d’abord parce que, tombant bien rond (douze zéros, ça, c’est du score !), il attire l’attention et surtout parce que, grosso-modo, c’est le chiffre qu’on peut retenir pour le PIB français. Bon, certes, il est un peu supérieur ce qui permet encore d’affirmer que la dette française ne représente pas (encore) 100% du PIB, mais dans les grandes masses, cela permet de fixer les idées : le pays doit à ses créanciers ce qu’il produit en une année, peu ou prou.
Troisième constat : très clairement, le fait que la France ait, jusqu’à présent, bénéficié de taux bas sur le marché des emprunts d’État (par différents mécanismes dont un soutien plus ou moins caché de la BCE) a manifestement joué en défaveur de la dette elle-même. Tout se joue comme si on empruntait d’autant plus sur les marchés que de tels taux sentent la bonne affaire, et comme si nos gouvernants, en parfaits irresponsables, continuaient d’appuyer sur l’accélérateur au lieu de prudemment ralentir. De ce point de vue, on est en droit de se demander si ces taux bas ne sont pas plus une malédiction qu’autre chose, incitant à une dépense incontrôlée dont les fruits pourris devront bien être récoltés un jour ou l’autre…
Quatrième constat : tout le monde s’en fiche ou à peu près, et l’annonce du dépassement de ce chiffre fort joufflu n’a semblé déclencher aucune panique nulle part. Bercy s’en fiche calmement. Montebourg s’en tamponne en agitant sa toison frisée dans la douce brise de juillet. Sapin s’en accommode fort bien en reprenant du poulet à la cantine. Ça en touche une à Hollande sans faire bouger l’autre, pendant qu’il regarde la télé, mollement accoudé à un fauteuil Louis XV. Quelques économistes, notamment libéraux, trouvent bien la situation préoccupante, mais comme on ne les écoute pas, leur petite poussée de stress n’entraîne aucune espèce de prise de conscience. Si tout ne va pas bien, rien ne va suffisamment mal de toutes façons pour justifier de courir à droite et à gauche et tenter des trucs, des machins, de vraies réformes et tout ça.
C’est tout de même un peu gênant.
Parce qu’au contraire de ce qu’on lit parfois sous la plume de communistes vasouillards ou de keynésiens détendus du déficit, cette dette existe bel et bien. Elle n’est pas le résultat d’un petit dérapage comptable. Elle n’est pas apparue, pouf, au détour du bois ces dernières années, et n’est pas non plus, quoi qu’ils puissent en penser, la résultante de méchants capitalistes qui feraient rien qu’à embêter les gouvernements français et les forcer, un flingue rhétorique sur la tempe, à emprunter toujours plus sur les marchés pour arriver à se payer le fix de moraline et de vivrensemble en dosettes faciles à distribuer dont ils ne peuvent plus se passer. Et non, elle n’est pas non plus la conséquence catastrophique de la fourbe loi de 1973, qui n’a strictement rien changé. Pas plus d’ailleurs que cette dette serait plus grave parce que la monnaie est maintenant européenne au lieu d’être strictement française : s’il semble évident qu’on doive à présent se trimballer une monnaie forte alors que nos gouvernants rêveraient de l’affaiblir sauvagement, cette monnaie nous amène aussi ces fameux taux bas, revers agréable sans lequel la messe aurait déjà été dite depuis un moment.
La réalité, c’est que cette dette existe bel et bien. Elle est la résultante logique de l’achat d’un niveau de vie donné, celui qu’on a observé en moyenne jusque dans les années 2000, et d’un modèle social particulièrement complexe, beaucoup trop protecteur et furieusement tourné vers lui-même. Or, ce modèle, ce niveau de vie, ces facilités ont en très grande partie été financés à crédit. À crédit, les retraites de la génération d’après-guerre, puis de mai 68. À crédit, la myriade d’administrations et son personnel pléthorique. À crédit, la paix sociale à coup de 35 heures, de RTT, de protection chômage, de congés payés, d’avantages plus ou moins élevés dans des douzaines de domaines. À crédit, la paix dans les quartiers. À crédit, toutes les opérations militaires à droite et à gauche. Bref, à crédit ce qui a maintenu les Français dans l’illusion que leur pays était encore une puissance majeure, pouvant décider du sort du monde, pendant que la Chine, le Brésil, l’Inde ou la Russie grandissaient…
Et tout ce crédit, tout cet achat de niveau de vie passé, il va falloir le payer, dans un futur de plus en plus proche.
Or, où est donc la rigueur budgétaire qui présiderait à un remboursement, à une diminution de la dette et des contraintes qu’elle fait peser sur l’économie et la politique française ? Si la dette augmente autant, où est donc l’austérité qu’on honnit très fort ? Serait-on en train de pressurer toujours un peu plus nos concitoyens à défaut de faire, justement, les nécessaires économies ? NoOon, ce serait franchement étonnant ! Puisqu’on vous dit que l’austérité est là, c’est que cela doit bien se traduire concrètement par des baisses de dépenses quelque part, non ? Ben non. Les faits sont là, têtus : 45,5 milliards d’euros de dette supplémentaire. La dette refuse de s’envoler.
Et le pire est que cette dette a augmenté quel que soit le bord de l’exécutif, avec des poussées d’accélérations tant à droite (merci Sarkozy) qu’à gauche (merci Hollande). Grâce (ou à cause, selon le point de vue) d’une joyeuse décentralisation du pouvoir (dans les administrations locales), on a dilué les dépenses à toutes les strates de l’État (national, local), ce qui a dilué d’autant les responsabilités. La dette, fléau national, n’est maintenant plus la faute de personne, ne dépend plus de personne, et personne ne voudra bien sûr la rembourser.
Ce qui va se traduire de façon simple : elle va continuer à grimper (et dépasser les 100% du PIB). On ne change pas une formule qui perd. Comme ce n’est la faute de personne, personne ne s’en inquiétera. Petit à petit, parce que le reste du monde ne pourra pas continuellement s’adapter aux caprices français, les taux augmenteront et le poids de la dette s’aggravera, probablement au point où le budget opérationnel de l’État sera nul. Il n’y aura plus un kopeck pour payer les salaires, les retraites, les indemnités, les aides, les allocations.
Et à ce moment là, il n’y aura pas 36 solutions. Dans un savant panachage des éléments suivants, l’État sauvera sa peau en vendant celle du peuple.
Les promesses de l’État n’engageant personne, pas même lui, il mettra les retraites à la poubelles (ou disons, les retardera, les réduira, les posera sous conditions et fera tout pour sortir le maximum de personnes du système). Futurs retraités, ne comptez pas sur l’État français.
Parallèlement, il y aura, inévitablement, un défaut sur une partie de la dette. Les créanciers pleureront. Ceux qui n’avaient pas fait leurs « due diligences » un peu plus fort, parce que ce seront, majoritairement, des Français eux-mêmes.
Une autre partie de la dette sera remboursée, mais par un chyprage dodu : un matin, les banques couperont un joli pourcentage de vos avoirs en banque, assurance-vie, épargne diverse, et vogue la galère. Comment ça, c’est du vol ? Allons. On appellera ça « impôt exceptionnel » et ça ira très bien.
Enfin, une bonne dose d’inflation là-dessus achèvera la dette restante lorsque la monnaie sera exactement aussi faible que ce que souhaitent nos politiciens, en donnant l’occasion aux uns et aux autres de sortir des brouettes pour aller acheter le pain, ou, plus pragmatiquement, d’utiliser la notation scientifique pour les avoirs restant dans les comptes en banque.
De même qu’il est évident que la dette dépassera les 2000 milliards puis les 100% de PIB, la question n’est donc pas de savoir si ces scénarios prendront corps, mais seulement de savoir quand et quelle forme prendra le panachage.
À vos pronostics.
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