Il y a 35 ans de cela, Mitterrand et, avec lui, la gauche française parvenaient au pouvoir en France. Trente-cinq années plus tard, alors que c’est encore un socialiste qui est aux manettes de la France et que beaucoup ne connurent pas ces années-là, il est intéressant de dresser un petit bilan de l’héritage mitterrandien.
On peut déjà dresser un premier constat simple : des principaux points du programme commun de la gauche de 1981, beaucoup ont été appliqués. En fait, pour la plupart de ces points, on est même allé depuis bien plus loin que ce qui était réclamé alors, montrant en cela que la société française a trouvé les ressources nécessaires aux idéaux de l’époque, ou s’est endettée pour y croire, dans des proportions maintenant inquiétantes. Alternativement, pour les autres points, les échecs d’alors furent si cuisants et si rapides qu’il n’en a plus jamais été question par la suite ; on pourra se souvenir par exemple des nationalisations, qui furent une catastrophe complète dont on sent les effets plus de 30 ans plus tard, le crony capitalisme ayant atteint des sommets à la suite de ces opérations.
En revanche, pour la réduction du temps de travail (à l’époque était souhaité un retour à une durée du travail effective de 40 heures), la mission est largement accomplie avec les 35H entrées dans la loi. L’augmentation des salaires est largement réalisée, même si les plus chagrins refusent de s’en rendre compte : entre l’inflation et les gains de pouvoir d’achat, c’est là aussi effectif. La généralisation de la sécurité sociale a été largement accomplie, CMU oblige. Les aides au logement se sont multipliées, et on a même un « droit opposable » à présent.
Du côté des entreprises, la « régulation des marchés » aura donné lieu à une véritable explosion des codes correspondants (banques, immobilier, assurances, marchés), en taille et en complexité. De façon tragique mais parfaitement logique (magie du socialisme) l’effet sur les crises fut rigoureusement inverse à celui attendu… La « démocratie » dans l’entreprise s’est traduite par un code du travail devenu un tel maquis que même la résistance syndicale qui pouvait s’y réfugier s’y perd elle-même. Plus personne n’y comprend rien, les lois passent et repassent avec les résultats qu’on observe à savoir une crispation extrême de la société à ce sujet, la dernière Loi El Khomri n’arrangeant rien.
La lutte contre le chômage, fardeau de tous les présidents Mitterrand y compris, n’aura jamais montré de réussite frappante ; le chômage de masse n’a jamais disparu en France depuis 35 ans, et le retour du socialisme après le départ de Mitterrand et 17 ans de présidents à droite se solde par les funestes records actuels. Bref, c’est un échec quasi-complet.
Les réformes de l’Éducation Nationale, elles aussi au Programme Commun de 1981, ont été amplement réalisées au fil des années et des gouvernements, de multiples façons, ininterrompues, et n’ont jamais entraîné qu’un nivellement par le bas. Quant à l’objectif affiché des 80% d’une classe d’âge diplômée, il fut catastrophiquement atteint en dévalorisant si complètement le bac qu’il vaut maintenant moins que le permis de conduire (auquel l’État s’attaque à présent avec gourmandise, bravo). La décentralisation amorcée par Mitterrand aura abouti à l’accroissement du mille-feuille administratif français, et les réformes successives n’ont absolument rien arrangé. La dernière en date pose au moins autant de problèmes qu’elle n’est censée en résoudre.
Bref, comme on le voit, un électeur de Mitterrand en 1981, transporté en 2016, observerait que la plupart des points du programme de la gauche ont été très largement réalisés (et je le mentionnais d’ailleurs dans un court billet de 2014, consultable encore ici), sans que cela ne conduise la France à des sommets ; elle a en effet dégringolé dans à peu près tous les classements, ne devant son rang actuel qu’à l’immense patrimoine accumulé précédemment et dont tout indique qu’il a été dilapidé sans discernement pendant ces trois décennies de clientélisme débridé.
D’autre part, les « années Mitterrand » n’ont pas été qu’une série de points programmatiques mis plus ou moins habilement en musique.
Elles furent aussi l’occasion pour le premier président socialiste de la Vème République d’imposer une marque de fabrique qui est resté, pour le meilleur et pour le pire, dans la vie politique française.
Le meilleur pourrait être les différentes manœuvres politiques qui conduisirent à la disparition à peu près complète du Parti Communiste, fossile collectiviste hérité d’une Seconde Guerre mondiale bien lointaine et qui ne survit plus qu’au travers de syndicats paléo-marxistes ou d’un Front National, outil mitterrandien par excellence devenu voiture balai de la politique française. On pourra arguer que la corruption des élites n’étaient probablement pas aussi aboutie que celle à laquelle on assiste actuellement, mais j’aurais tendance à penser qu’elle est probablement aussi galopante actuellement qu’elle le fut alors, mais simplement plus visibles, les réseaux sociaux aidant sans doute un peu.
Pour le pire, la liste est, malheureusement, assez copieuse.
L’avènement d’une opinion populaire plus audible (notamment avec l’apparition des radios libres) et de médias informatifs plus réactifs (chaînes d’information en continu par exemple) aura imposé une présidence plus sensible à la pression de la rue et bien plus sensible à ce que les médias disent, font ou laissent penser. Si Mitterrand pouvait encore faire vaguement croire au concept du « président au dessus des partis », il n’en est plus rien actuellement.
D’autre part, Mitterrand n’a jamais hésité à utiliser sans le moindre état d’âme la tactique politicienne et les petites combines de partis, de cabinets et électorales pour parvenir au pouvoir et le conserver le plus longtemps possible. Il a été consciencieusement suivi par ses successeurs qui ont appliqué les mêmes recettes avec plus ou moins d’entregent, le dernier avatar semblant même avoir mis le turbo, sans toutefois démontrer une bonne capacité de maîtrise.
Enfin, si l’actuelle pratique présidentielle doit beaucoup à Tonton, elle s’en est pas mal détaché en terme d’efficacité : elle est indubitablement plus immédiate, plus réactive sur les événements, l’Exécutif étant devenu un gesticulateur a posteriori, alors que Mitterrand et, dans une certaine mesure, Chirac, avaient réussi à se placer en tant qu’initiateurs. C’est tout particulièrement vrai avec Hollande qui paraît bien plus balloté par les événements que réel maître de son destin.
On prête à Mitterrand le fait d’avoir déclaré « Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables. ». Trente-cinq ans plus tard, on doit constater qu’il a pêché par optimisme : il n’y a ni financiers, ni comptables. Ceux qui ont pris le pouvoir ne sont plus que des intendants et de vagues commis, perdus dans des locaux trop vastes et des costumes bien trop grands pour eux.