98% des détenteurs de bitcoins n’en possèdent pas assez (moins de 10 000 dollars en valeur) pour être réellement ruinés par la chute des cours, tandis que les 2% restant s’est très probablement considérablement enrichie.
Avec le récent effondrement des cours du bitcoin la semaine dernière (qui a perdu plus de 50% de sa valeur en quelques jours, descendant en-dessous des 10 000 dollars l’unité après avoir frôlé les 20 000 dollars une semaine avant) on imagine déjà des millions de petits épargnants ruinés. Et c’est vrai que le réveil risque d’être un peu violent pour un grand nombre d’entre eux. Mais la réalité des chiffres montre que seule une toute petite minorité a peut être perdu de très grosses sommes lors de ce mouvement à la baisse, mais que l’essentiel de la baisse n’a eu finalement que peu d’impact sur le patrimoine de la plupart des détenteurs de bitcoins.
Deux phénomènes expliquent cela : l’extrême inégalité de la répartition des bitcoins entre les mains des quelque 21 millions de détenteurs de la crypto-monnaie, d’une part, et le fait que la chute des cours a très majoritairement été causée par la prise de bénéfices de certains possesseurs de longue date qui ont choisi de réaliser leurs plus-values pour fêter dignement les fêtes de fin d’année.
Une répartition inégalitaire
Si on en croit les statistiques émises au jour le jour par un certain nombre de sources analysant le phénomène bitcoin depuis ses débuts, la quasi totalité des bitcoins en circulation serait entre les mains de seulement 2 à 2.5% des utilisateurs. Les 98% de personnes restantes devant se partager des miettes et constituant par-là même le socle indispensable de cette monumentale pyramide de 20 500 000 d’individus dont seuls les 500 000 qui constituent le sommet s’enrichissent réellement sur le dos de tous les autres.
Pour s’en convaincre, il suffit de prendre quelques minutes pour analyser les statistiques émises par exemple par le site CoinMarketCap ou encore, pour ceux qui aiment les chiffres et qui veulent avoir l’information en français, sur le site de Crypto-France.com.
Aujourd’hui, il y aurait un peu plus de 16 millions de bitcoins en circulation, sur un total prévu de 21 millions d’unités qui ne sera atteint qu’en 2140. Et déjà, rien que ce nombre de 16 millions de bitcoins pour plus de 20 millions d’utilisateurs devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui croient encore pouvoir en acheter sans se faire avoir. Car même à 1 bitcoin par personne, il en manque quelques millions pour faire le compte. Et, croyez-moi, les plus gros détenteurs possèdent non pas 1, ni 10 ni même 1000 mais plusieurs centaines de milliers de bitcoins. Rien que celui que l’on considère comme l’initiateur du projet (et sur qui il y aurait beaucoup de choses à dire, mais que je préfère encore garder pour moi afin de ne pas passer pour un vilain complotiste) possèderait pas moins d’un million de bitcoins !
Une pyramide de Ponzi qui ne dit pas son nom
Avec une base pléthorique qui se contente de miettes pour le plus grand bénéfice d’une élite extrêmement minoritaire installée au sommet de l’édifice Bitcoin, difficile de ne pas faire de rapprochement avec le fameux système de Ponzi, dont le principe était, pour rappel, de rémunérer les premiers investisseurs grâce aux fonds procurés par les nouveaux entrants. Nouveaux entrants qu’on appâtait d’ailleurs avec les performances phénoménales réalisées… par ceux qui constituaient le sommet de la pyramide !
Le schéma de ces derniers mois est exactement le même, et plus les cours du bitcoin augmentaient, plus les “early adopters” (comprenez par là les premiers “bitcoiners”) voyaient leur capital de départ croître de manière exponentielle. +100% en quelques semaines, +1000% en un an, +50 000% en trois ans ! Il y avait de quoi faire tourner la tête de petits épargnants qui, de leur côté, voient chaque année leur livret A leur recracher péniblement 0.75% de rentabilité, c’est-à-dire pour les plus fortunés (entendez par-là ceux qui auront réussi à remplir leur livret A au maximum des 22 950 euros autorisés) une plus-value royale de… 172 euros par an !
Une explosion des cours en 2017 savamment orchestrée… et médiatisée
Sauf que l’essentiel des bitcoins ayant été émis jusqu’à l’an dernier (lorsque la crypto-monnaie valait moins de 1000 dollars et que rares étaient les médias qui en parlaient) ont été acquis par une minorité d’individus, dont quelques uns qu’on surnomme les “baleines” (en référence à l’énormité de leur patrimoine en bitcoins). Et ces derniers, à l’occasion des fêtes de fin d’année 2016-2017, ont décidé de récupérer un peu de leur capital et ont pu faire brusquement varier les cours en revendant à prix fort une partie des bitcoins qu’ils détenaient peut-être depuis des années (et qu’ils avaient obtenus pour quelques cents parfois). Or, au lieu de faire baisser le prix du bitcoin, et grâce à une astucieuse communication sur les plus-values réalisées, ils ont su éveiller à la fois l’intérêt des médias soucieux de trouver des sujets un peu exotiques à se mettre sous la dent, mais aussi celui des “petits” épargnants qui se languissaient de voir apparaître un jour des placements intéressants face à la morosité des marchés financiers.
Il n’en fallut pas davantage pour susciter un engouement tout neuf pour le bitcoin mais aussi pour tout un tas de nouvelles cryto-monnaies dont le nombre est allé en se multipliant tout au long de l’année 2017 (diluant au passage l’influence de la plus emblématique d’entre elles, le bitcoin, mais c’est une autre histoire). L’année 2017 a donc été marquée par une progression constante et phénoménale des cours du bitcoin, de l’ordre de 1 à 20 entre moins de douze mois.
Des miettes à prix d’or
En réalité, les gens qui ont acheté du bitcoin à partir du printemps 2017 jusqu’à la fin de la semaine dernière n’ont rien fait d’autre que se partager les quelques miettes qu’on leur jetait à des prix équivalant à plusieurs centaines de fois la mise de départ des premiers détenteurs. Et plus les acheteurs étaient nombreux, plus les cours montaient, prouvant aux nouveaux arrivants que ceux qui les avaient précédés avaient eu raison d’investir puisqu’ils gagnaient déjà de l’argent au bout de quelques semaines, voire de quelques jours.
Sauf que, plus la valeur du bitcoin augmentait et plus les seuls millionnaires en bitcoins s’enrichissaient réellement, tandis que les nouveaux entrants qui achetaient des dixièmes ou des centièmes de bitcoin chaque jour avaient juste l’illusion de s’enrichir. Un bénéfice de 50% réalisé sur un bitcoin acheté à 1000 dollars, c’est impressionnant, certes, mais bien moins que 50% sur quelques milliers de bitcoins à 1000 dollars pièce… acquis des années auparavant alors qu’ils ne valaient souvent que quelques dollars.
Une correction attendue
Évidemment, la correction de la semaine dernière était attendue. Après avoir patienté parfois plusieurs mois, voire plusieurs années, certains early adopters ont décidé de revendre leurs bitcoins pour les convertir en richesses bien plus liquides dans nos sociétés encore largement monétisées “à l’ancienne”. Et une grande partie des milliards de dollars virtuellement envolés dans le mini krach d’avant Noël ont tout simplement changé de forme, se transformant pour la plupart de bitcoins en dollars, en euros ou encore en yens. Les détenteurs en question n’ont donc généralement rien perdu et ont au contraire sans doute gagné beaucoup, beaucoup d’argent au passage (les premiers à vendre ayant néanmoins pu bénéficier de cours plus avantageux que les derniers).
Les seuls qui ont vraiment perdu de l’argent (virtuellement au moins) sont ceux qui ont acheté des bitcoins alors qu’ils se trouvaient à des niveaux supérieurs à celui d’aujourd’hui, en gros à partir de 10 000 dollars l’unité. Et finalement, on peut se dire que si la masse financière des bitcoins a fondu de moitié, perdant quasiment 150 milliards de dollars, c’est en grande partie au détriment des millions d’individus qui se sont précipités sur ce nouvel eldorado financier entre novembre et décembre 2017.
Or pour la plupart, compte tenu du faible volume de bitcoins en circulation, ils n’ont pu acquérir qu’un petit nombre d’unités de la crypto-monnaie (à quelques exceptions près qui ont voulu faire le pari d’en amasser un maximum et qui n’ont peut-être pas fait le meilleur calcul de leur carrière d’investisseurs).
Un hold-up historique
Au final, chacun de ces petits “bitcoiners” de la dernière heure a peut-être perdu quelques dizaines, voire quelques centaines de dollars dans la bataille (sauf les quelques gourmands évoqués plus haut qui imaginaient déjà le bitcoin continuer à prendre 20% par semaine), mais rien qui puisse justifier la peur d’une ruine totale de millions de personnes. En revanche, on a sans doute assisté à l’un des plus astucieux hold-up de l’histoire, avec en prime la complicité plus ou moins consciente des médias.
Car une fois encore, on a su vendre du rêve aux plus pauvres, ceux qui constituent l’écrasante majorité, cette multitude mue par l’espoir, le fonds de commerce de toutes les loteries du monde. Et quand on arrive à convaincre un million de ces individus modestes de donner un euro en leur faisant miroiter des lendemains dorés, la perte de cet euro ne les rendra pas forcément plus pauvres, mais ça enrichira toujours quelqu’un d’un bon gros million d’euros supplémentaire.