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Si on en
croît les comptables nationaux, la part des dépenses publiques
dans le P.I.B. de la France s'élevait en 1912, année d'une conjoncture ordinaire, à :
12,6 %
et elle s'élève aujourd'hui, en 2010, année d'une conjoncture un peu plus heurtée,
à :
56,9 %
Même si ces pourcentages sont à prendre avec réserve et des pincettes, ils
méritent attention.
Une multiplication
par cinq.
Ils font apparaître que, à prix et production constants,
l'ordonnateur des dépenses publiques annuelles que sont les hommes de
l'Etat a eu la capacité, en France, de multiplier celles-ci par un
chiffre proche de cinq en près de cent ans.
La capacité en question s'entend autant comme une capacité
juridique que comme des capacités technique ou économique.
N'est-ce pas un
mouvement remarquable digne d'attention ?
"Deux fois rien, c'est pas grand chose",
mais cinq fois "douze pour cent", c'est autrement grand, surtout
quand on n'oublie pas les destructions considérables
intermédiaires occasionnées, entre autres, par les guerres de
1914-18 et de 1939-45, et dont les chiffres ne tiennent pas compte.
N'est-ce pas un mouvement d'autant plus remarquable que, dans les cent
années précédentes (1812-1912), le mouvement avait
été loin d'être le même ?
Une illustration possible de celui-ci en est la stabilité du prix de l'or en francs.
Le marché
financier.
Certes, les dépenses publiques ne sont plus couvertes aujourd'hui en
totalité, loin de là, par l'impôt, mais par le
marché financier.
Et si ce marché n'avait pas lui-même connu l'évolution
remarquable qu'il a connue ces trente dernières années,
peut-être que le mouvement aurait été interrompu,
brutalement...
D'ailleurs, n'est-il pas pour certains le bouc émissaire , cause de la
conjoncture heurtée, depuis quelques années ?
Pour autant, et soit dit en passant, l'impôt n'est pas resté
inchangé, mais a lui aussi fortement augmenté, même si ce
n'est pas dans la même proportion.
Et les destructions conséquentes
méconnues ont elles-mêmes augmenté.
En conséquence, l'endettement de l'Etat a augmenté et la charge
budgétaire annuelle en relation avec la gestion de la dette a acquis
progressivement une place prépondérante dans le budget.
Ce qu'on voit, ce
qu'on ne voit pas.
Il reste qu'une partie des dépenses publiques va aussi de pair avec
des engagements de l'Etat ou de l'organisation de la sécurité
sociale obligatoire qui constituent ce qu'on a dénommé "l'ordonnateur des dépenses publiques".
Et ces engagements, eux, par exemple en matière de retraite, ne sont
pas provisionnés dans les comptes comme ils devraient l'être et
le seraient dans un monde de droit.
La pratique donne donc lieu à une sous estimation significative et
ignorée de l'endettement véritable (cf. par exemple,
études du F.M.I. et de l'O.C.D.E. citées dans cette émission de 1998).
Faites vos jeux.
Où ce mouvement presque séculaire peut-il mener ?
Je laisse la réponse à la question en suspens. J'aurai
l'occasion d'y revenir dans un prochain billet.
Une chose est certaine : ce mouvement, ces dernières années, n'a pas
empêché que la conjoncture se dégrade, ni n'y a remédié.
Comment ce mouvement peut-il être inversé ?
Certains avancent la croyance que le retour de la croissance s'en
chargera.
Mais la croissance en question n'est pas un être humain, seulement une
hypostase.
Elle ne reviendra pas de son propre fait ni d'un coup de baguette magique.
D'autres font référence à la croissance potentielle,
considération qui a pris la place de celle du "plein emploi" (décennie 1940)
- comme pour mieux l'anéantir... - depuis la décennie 1980 dans
le coeur des macroéconomistes.
Mais la croissance potentielle ne saurait attirer à elle la
croissance, ni quelque concept économique que ce soit autre,
fût-il hypostasié.
Je fais partie de la catégorie des troisièmes pour qui
l'économie politique ne tient pas de l'erzatz
de l'alchimie qu'est la macroéconomie, mais de la raison
et de la volonté.
Soit dit en passant, n'oublions jamais ce que Prigogine et Stengers relèvent dans leur livre intitulé La nouvelle alliance
(Gallimard, 1979), à savoir que Keynes, le grand maître de la
macroéconomie, a joué un rôle déterminant dans le
rassemblement des "papiers alchimiques" de Newton.
Ils précisent même en note de bas de page :
"Lord
Keynes [...] résume le bouleversement que suscita leur découverte
:
'Newton ne fut pas le premier de l'Age de la Raison. Il fut le dernier
des magiciens, le dernier des Babyloniens et des Sumériens, le dernier
grand esprit qui ait regardé le monde visible et le monde intellectuel
avec les mêmes yeux que ceux qui ont commencé à
construire notre héritage intellectuel il y a un peu moins de dix
mille ans'" (ibid.,
p.73n)
On
ne saurait exclure que Keynes s'est identifié à Newton...
En suivant une voie différente, Rueff en était arrivé
à qualifier Keynes de "magicien de Cambridge".
Bref, pour s'affranchir de l'alchimie, les hommes de l'Etat ont l'ardente
obligation de réduire significativement les dépenses publiques.
Cette décision rétablira la confiance et, loin
d'accroître l'incertitude de l'avenir comme l'affirment les opposants
à la décision, elle la réduira.
A 56,9 aujourd'hui contre 12,6 il y a un siècle, où doivent-ils
les situer sur l'échelle de leur pourcentage en termes de P.I.B.?
Voilà la vraie question politique à quoi chacun doit
répondre en raison et en connaissance des causes et des effets.
Faites vos jeux !
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane enseigne
l’économie à l’Université de Paris-Dauphine.
Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire
J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très
rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous
droits réservés par l’auteur
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