|
Hier
soir, alors que j'avançais dans la pénombre au volant de ma voiture
de location sur l'autoroute I-5 au nord de Seattle, une peur vivace me
tirailla le ventre : je me trouvais coincé dans la
métaphore d’une société toute entière
plongeant dans un futur sans lendemain. Les spectres menaçants
d’un crédit financier devenu incontrôlable tournoyaient
autour de moi – les logos géants des magasins de franchises
jetant leurs lumières éblouissantes entre les sommets
escarpés des Cascades (nombre d’entre eux étant des volcans
en activité qui, tout comme le Mont-Sainte-Hélène, peuvent
entrer en éruption à tout instant). Silencieusement, les
tentacules du monstre funeste portaient en toute direction les bombes
à retardement que sont les hypothèques du rêve
américain, réduisant de nombreuses familles et banques au
néant, alors que vendredi dernier sombrait déjà,
à la sortie de cette même I-5, la Shoreline
Bank de Washington, suite à une saisie de la société de
garantie des dépôts (FDIC).
Dans ce courant perpétuel de
voitures étaient également présents mes compagnons de
voyage, zigzagant le long de ce tragique littoral de la côte ouest,
consommant une essence en provenance du désert d’Abqaiq ou encore du delta du Niger, où de nombreux
rebelles armés et dangereux sillonnent encore les
végétations des mangroves en zodiaque. Sans parler des
innombrables rangées de voitures garées autour des centres
commerciaux, zones commerciales et garages automobiles flanqués de
part et d’autre de la I-5 sur une distance de 80km au nord de Seattle.
Des voitures, des voitures, des voitures et encore des voitures, aussi loin
que l’œil permette de voir, aussi loin que les lampes à
vapeur de sodium écrasent le crépuscule de leur clarté.
Je ne distinguais pas le Sasquatch. Mais le Sasquatch ne conduit pas.
Tout ceci se produisit alors que
quelques jours auparavant, le fiasco de l’immobilier américain
se trouvait encore amplifié suite à la suspension par la Banque
d’Amérique des saisies sur hypothèques dans vingt-trois
Etats, et que le procureur général du Connecticut (Richard
Blumenthal, soutenant la campagne de Chris Dodd au
Sénat) déclarait un moratorium de 60 jours sur les saisies (ne
voyez-vous pas là une manipulation politique ?). Il est
également d’un grand intérêt de noter que les
saisies se sont également vu suspendues dans vingt-trois Etats par Ally Financial, rejeton mutant du rescapé General
Motors Acceptance Corporation (GMAC) ayant
également engendré l’infâme société
d’hypothèques DiTech (rappelez-vous de
ces annonces publicitaires redondantes d’il y a plusieurs
années) spécialisée dans les énormes prêts
NINJA (No Income No Jobs or Assets,
signifiant Pas de Revenus Pas de Travail ni de Biens). Un théoricien
de la conspiration atteindrait son nirvana à la vue de tout cela, mais
il ne s’agissait en réalité que d’une fraude
goût vanille à une époque où l’escroquerie
prend le dessus sur maman et sa tarte aux pommes en se redéfinissant
comme notre nouveau personnage national.
L’effet direct de tout ceci
s'est trouvé être, depuis vendredi dernier, un désespoir
grandissant dans le secteur de l’immobilier. Mais pourquoi suspendre
toutes ces saisies ? De manière générale, cette
suspension s’est vue mise en place suite
à des vices de procédure administratives (possiblement
criminels), ou encore en raison d’une mauvaise gestion de paperasse
pour un certain nombre d'habitations durant les dernières
années de la bulle spéculative, comme l’absence de soin
concernant le contrôle de solvabilité des emprunteurs. Cet
aspect est connu depuis longtemps, mais si élégamment
ignoré par les autorités légales, qu'il fait
désormais partie du folklore populaire américain, au même
titre que les contes de l'Oncle Remus, comme histoire trop ringarde pour
donner lieu à des poursuites.
Cependant, toute cette récente affaire
de paperasse s'est rapidement vue devenir beaucoup plus complexe que
prévu. Les personnes à l'origine de ces hypothèques
étaient si avides de faire signer ces prêts auprès de
Monsieur x ou y qu'elles n'étaient que peu regardantes et ont fini par
rendre un travail bâclé. Plutôt que d'avoir recours
à des notaires, ces prêteurs avides ont ouvert ce que l'on
appelle des salles de signature, dans lesquelles des factotums signaient ces
hypothèques avant de les envoyer en d'autres lieux sans que personne ne
daigne y prêter quelque attention... Oups...
Faites ensuite entrer les avocats des
personnes saisies. Leur mission: éviter la saisie à leur
client, ou du moins reporter le procès à une date
ultérieure, afin de leur permettre d'occuper leur maison en tant que
squatteur et ce pour une durée indéterminée. Il est en
effet moins onéreux de payer un avocat afin qu'il roule sa bosse
devant les tribunaux que d'avoir à rembourser quelques 4500 dollars
d'hypothèques mensuelles pour une jolie maison contemporaine –
avec à la clé la possibilité de perte du titre de
propriété, que deux générations d'experts
pourraient passer l'ensemble de leur vie active à chercher sans
succès, jusqu'à ce que l'affaire soit oubliée,
archivée aux côtés du dossier de celle concernant ce
pauvre ingénieur myope du Michigan qui, après s'être fait
détrousser, s'est résigné à faire pousser des
marguerites dans un endroit perdu des Etats-Unis.
Vous pouvez être sûrs que
le commerce des titres d'assurance n'aura qu'une vision étroite de ce sale
tour, mais il finira lui aussi par faire faillite. Imaginez que toute
tentative de vente d'une propriété ne devienne aussi fructueuse
que de porter un coup dans le vide... cette affaire ne commencera-t-elle pas
alors à vous faire sourire? A moins que les propriétés
ne deviennent légalement invendables... Il semblerait que nous soyons
en passe de développer une relation toute nouvelle avec la loi dans ce
pays. La loi devient de plus en plus optionnelle. Tout ce que nous obtiendrons
en optant pour une société sans lois ne sera qu'une
société de bandits dans lesquels ceux qui possèderont un
fusil deviendront nos nouveaux hommes de loi. Lorsqu'il ne sera plus possible
de vivre une vie paisible aux Etats-Unis, notre nostalgie du grand ouest s'en
verra souffrir.
Le développement d'une anarchie
dans les domaines douteux que sont ceux de l'immobilier et des
hypothèques est pour le moins intéressant, surtout après
que les citoyens se soient affairés à élire une nouvelle
assemblée de personnages aux idées très étranges
de ce qu'est un état de loi. Nombre d'entre eux incluent en effet
à cet état de loi le rôle théologique de
Jésus. Il se pourrait bien que des pasteurs baptistes et des fakirs
commencent à peupler les tribunaux de notre pays. L'Amérique
commence à ressembler de plus en plus à un saloon d'un ancien
épisode de Star Wars, dans lequel les
créatures les plus improbables apparaissent pour détruire les
lieux sans raison apparente.
Mais redescendons maintenant sur
Terre. Il est assez aisé d'imaginer l'importance du problème
auquel feront face les banques, ainsi que l'ensemble de notre
société, dans tout ce bazar hypothécaire. Tôt ou
tard, une personne armée d'un badge ordonnera le contrôle du
contenu des coffres, et lorsque cela se produira, le rideau sera levé
sur la plus grosse escroquerie de l'histoire. Plus aucune autre nation du
monde ne désirera faire quelque commerce avec notre pays, pas
même pour du pétrole. Et ce jour là sera une vraie
avancée...
James Howard Kunstler
www.kunstler.com/
|
|