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A fond vers un futur sans lendemain

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Published : December 20th, 2010
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Category : Editorials

 

 

 

 

 

 

  Hier soir, alors que j'avançais dans la pénombre au volant de ma voiture de location sur l'autoroute I-5 au nord de Seattle, une peur vivace me tirailla le ventre : je me trouvais coincé dans la métaphore d’une société toute entière plongeant dans un futur sans lendemain. Les spectres menaçants d’un crédit financier devenu incontrôlable tournoyaient autour de moi – les logos géants des magasins de franchises jetant leurs lumières éblouissantes entre les sommets escarpés des Cascades (nombre d’entre eux étant des volcans en activité qui, tout comme le Mont-Sainte-Hélène, peuvent entrer en éruption à tout instant). Silencieusement, les tentacules du monstre funeste portaient en toute direction les bombes à retardement que sont les hypothèques du rêve américain, réduisant de nombreuses familles et banques au néant, alors que vendredi dernier sombrait déjà, à la sortie de cette même I-5, la Shoreline Bank de Washington, suite à une saisie de la société de garantie des dépôts (FDIC).


  Dans ce courant perpétuel de voitures étaient également présents mes compagnons de voyage, zigzagant le long de ce tragique littoral de la côte ouest, consommant une essence en provenance du désert d’Abqaiq ou encore du delta du Niger, où de nombreux rebelles armés et dangereux sillonnent encore les végétations des mangroves en zodiaque. Sans parler des innombrables rangées de voitures garées autour des centres commerciaux, zones commerciales et garages automobiles flanqués de part et d’autre de la I-5 sur une distance de 80km au nord de Seattle. Des voitures, des voitures, des voitures et encore des voitures, aussi loin que l’œil permette de voir, aussi loin que les lampes à vapeur de sodium écrasent le crépuscule de leur clarté. Je ne distinguais pas le Sasquatch. Mais le Sasquatch ne conduit pas.


  Tout ceci se produisit alors que quelques jours auparavant, le fiasco de l’immobilier américain se trouvait encore amplifié suite à la suspension par la Banque d’Amérique des saisies sur hypothèques dans vingt-trois Etats, et que le procureur général du Connecticut (Richard Blumenthal, soutenant la campagne de Chris Dodd au Sénat) déclarait un moratorium de 60 jours sur les saisies (ne voyez-vous pas là une manipulation politique ?). Il est également d’un grand intérêt de noter que les saisies se sont également vu suspendues dans vingt-trois Etats par Ally Financial, rejeton mutant du rescapé General Motors Acceptance Corporation (GMAC) ayant également engendré l’infâme société d’hypothèques DiTech (rappelez-vous de ces annonces publicitaires redondantes d’il y a plusieurs années) spécialisée dans les énormes prêts NINJA (No Income No Jobs or Assets, signifiant Pas de Revenus Pas de Travail ni de Biens). Un théoricien de la conspiration atteindrait son nirvana à la vue de tout cela, mais il ne s’agissait en réalité que d’une fraude goût vanille à une époque où l’escroquerie prend le dessus sur maman et sa tarte aux pommes en se redéfinissant comme notre nouveau personnage national.


  L’effet direct de tout ceci s'est trouvé être, depuis vendredi dernier, un désespoir grandissant dans le secteur de l’immobilier. Mais pourquoi suspendre toutes ces saisies ? De manière générale, cette suspension s’est vue mise en place suite à des vices de procédure administratives (possiblement criminels), ou encore en raison d’une mauvaise gestion de paperasse pour un certain nombre d'habitations durant les dernières années de la bulle spéculative, comme l’absence de soin concernant le contrôle de solvabilité des emprunteurs. Cet aspect est connu depuis longtemps, mais si élégamment ignoré par les autorités légales, qu'il fait désormais partie du folklore populaire américain, au même titre que les contes de l'Oncle Remus, comme histoire trop ringarde pour donner lieu à des poursuites.


  Cependant, toute cette récente affaire de paperasse s'est rapidement vue devenir beaucoup plus complexe que prévu. Les personnes à l'origine de ces hypothèques étaient si avides de faire signer ces prêts auprès de Monsieur x ou y qu'elles n'étaient que peu regardantes et ont fini par rendre un travail bâclé. Plutôt que d'avoir recours à des notaires, ces prêteurs avides ont ouvert ce que l'on appelle des salles de signature, dans lesquelles des factotums signaient ces hypothèques avant de les envoyer en d'autres lieux sans que personne ne daigne y prêter quelque attention... Oups...


  Faites ensuite entrer les avocats des personnes saisies. Leur mission: éviter la saisie à leur client, ou du moins reporter le procès à une date ultérieure, afin de leur permettre d'occuper leur maison en tant que squatteur et ce pour une durée indéterminée. Il est en effet moins onéreux de payer un avocat afin qu'il roule sa bosse devant les tribunaux que d'avoir à rembourser quelques 4500 dollars d'hypothèques mensuelles pour une jolie maison contemporaine – avec à la clé la possibilité de perte du titre de propriété, que deux générations d'experts pourraient passer l'ensemble de leur vie active à chercher sans succès, jusqu'à ce que l'affaire soit oubliée, archivée aux côtés du dossier de celle concernant ce pauvre ingénieur myope du Michigan qui, après s'être fait détrousser, s'est résigné à faire pousser des marguerites dans un endroit perdu des Etats-Unis.


  Vous pouvez être sûrs que le commerce des titres d'assurance n'aura qu'une vision étroite de ce sale tour, mais il finira lui aussi par faire faillite. Imaginez que toute tentative de vente d'une propriété ne devienne aussi fructueuse que de porter un coup dans le vide... cette affaire ne commencera-t-elle pas alors à vous faire sourire? A moins que les propriétés ne deviennent légalement invendables... Il semblerait que nous soyons en passe de développer une relation toute nouvelle avec la loi dans ce pays. La loi devient de plus en plus optionnelle. Tout ce que nous obtiendrons en optant pour une société sans lois ne sera qu'une société de bandits dans lesquels ceux qui possèderont un fusil deviendront nos nouveaux hommes de loi. Lorsqu'il ne sera plus possible de vivre une vie paisible aux Etats-Unis, notre nostalgie du grand ouest s'en verra souffrir.


  Le développement d'une anarchie dans les domaines douteux que sont ceux de l'immobilier et des hypothèques est pour le moins intéressant, surtout après que les citoyens se soient affairés à élire une nouvelle assemblée de personnages aux idées très étranges de ce qu'est un état de loi. Nombre d'entre eux incluent en effet à cet état de loi le rôle théologique de Jésus. Il se pourrait bien que des pasteurs baptistes et des fakirs commencent à peupler les tribunaux de notre pays. L'Amérique commence à ressembler de plus en plus à un saloon d'un ancien épisode de Star Wars, dans lequel les créatures les plus improbables apparaissent pour détruire les lieux sans raison apparente.


  Mais redescendons maintenant sur Terre. Il est assez aisé d'imaginer l'importance du problème auquel feront face les banques, ainsi que l'ensemble de notre société, dans tout ce bazar hypothécaire. Tôt ou tard, une personne armée d'un badge ordonnera le contrôle du contenu des coffres, et lorsque cela se produira, le rideau sera levé sur la plus grosse escroquerie de l'histoire. Plus aucune autre nation du monde ne désirera faire quelque commerce avec notre pays, pas même pour du pétrole. Et ce jour là sera une vraie avancée...




 

James Howard Kunstler

www.kunstler.com/

 

 

 

 

 

 

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James Howard Kunstler est un journaliste qui a travaillé pour de nombreux journaux, dont Rolling Stones Magazine. Dans son dernier livre, The Long Emergency, il décrit les changements auxquels la société américaine devra faire face au cours du 21° siècle. Il envisage un futur prochain fait de crises sociales à répétition, la fin de la Surburbia et du modèle économique associé, une guerre mondiale pour les ressources en énergie. Il prédit la déconstruction des empires européens et américains et pense que, lorsque les convulsions seront terminées, le monde fonctionnera de manière décentralisée et local.
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