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Le
profit est l'une des notions les plus incomprises en économie.
Superficiellement, tout le monde sait qu'il s'agit des revenus additionnels
qu'un producteur réussit à obtenir après avoir
compensé pour ses coûts de production. Mais on ne comprend pas
trop à quoi cela sert, à part enrichir un capitaliste.
Pour les
socialistes, le profit est ni plus ni moins qu'un vol, le résultat de
l'exploitation des travailleurs et des consommateurs par les capitalistes,
une « plus-value », pour employer le langage
marxiste, soutirée de façon illégitime lors d'un
échange inégal.
Même des
gens qui appuient en théorie le système capitaliste trouvent
difficile de le défendre. C'est peut-être quelque chose de
nécessaire, mais il ne faut pas exagérer et trop en faire. Cela
signale qu'on n'a sans doute pas suivi les règles du jeu, qu'on
s'enrichit aux dépens des autres. Ce n'est sûrement pas un
hasard si le mot « profiteur » n'a rien de positif.
Le profit joue
pourtant un rôle essentiel dans l'allocation des ressources. Le
problème fondamental en économie est qu'on ne sait pas exactement
quoi produire ni comment le faire de la façon la plus
efficace possible. Si nous le savions, il serait possible de répondre
immédiatement à tous les besoins de l'humanité.
L'économie est en fait un vaste système de transmission
d'information et de signaux permettant à chaque acteur
économique de prendre les meilleures décisions quant à
l'allocation de son temps et de ses ressources et à la satisfaction de
ses besoins.
Des
indicateurs de rareté
Les prix sont
par exemple des indicateurs de la rareté relative des produits et des
facteurs de production. Lorsque le prix de quelque chose augmente, cela
indique que cette chose est désirée plus intensément en
comparaison avec tout le reste, ou encore que sa disponibilité a
diminué. Plus simplement, soit sa demande est en hausse, soit son
offre est en baisse. Chacun doit s'ajuster en conséquence.
Empêcher un prix d'augmenter (ce que les gouvernements font constamment
dans de nombreux secteurs réglementés comme la santé,
l'essence, le logement, etc.) ne résout aucunement le problème
de la rareté relative plus grande du produit en question. Cela ne fait
que bloquer la transmission d'une information cruciale et entraîner des
effets pervers, notamment des pénuries.
Le profit joue
un rôle similaire. Imaginons qu'à la suite d'un engouement
quelconque, la demande pour un produit X augmente de façon
considérable en l'espace de quelques semaines. La production existante
ne réussit pas à répondre à cette demande soudaine.
Le produit X se fait plus rare et son prix augmente donc rapidement. Les
coûts de production n'ayant pas augmenté, les compagnies
existantes engrangent des profits spectaculaires.
Ce profit
exceptionnel n'est pas le résultat d'une « exploitation »
de qui que ce soit, mais bien le révélateur d'une situation
bien précise: un déséquilibre soudain entre l'offre
et la demande. Il enclenche une série d'effets. D'abord, les
propriétaires et gestionnaires des compagnies existantes se disent
qu'ils pourront accroître considérablement leur chiffre
d'affaire s'ils augmentent leur production de X pour répondre à
cette demande. Cela ne se fait pas automatiquement. Il faut en effet acheter
de la machinerie, embaucher du personnel, le former, trouver de nouveaux fournisseurs,
déménager ou construire une nouvelle usine, modifier la
distribution, etc. Le profit exceptionnel sert justement de capital à
réinvestir dans ce projet d'expansion.
La hausse
exceptionnelle de la rentabilité dans cette industrie envoie un autre
signal aux entrepreneurs qui oeuvrent ailleurs: il
y a beaucoup plus de profits à faire dans le secteur X, allons-y! Ces
nouveaux joueurs deviennent concurrents des premiers. Les ressources
utilisées dans des secteurs où la demande est moins pressante
(où les prix et les profits n'augmentent pas autant ou diminuent) sont
transférés au secteur X. Tout ceci fait en sorte d'augmenter la
quantité de ressources qui vont à la production de X et donc de
combler graduellement la demande accrue. Cette production nouvelle fait aussi
baisser le prix de X. Après un certain temps, l'offre et la demande
retrouvent un certain équilibre (toujours temporaire, puisque rien
n'est statique ni éternel) et il n'y a plus de profits exceptionnels
à faire dans ce secteur.
.
Le même
phénomène d'ajustement se produit dans la situation inverse. La
demande pour le produit Y diminue soudainement et le prix baisse. Certains
producteurs parmi les moins efficaces, obligés de vendre à un
prix inférieur au coût de production, connaissent des pertes. Si
la situation ne s'améliore pas, ils décideront alors de
liquider leurs avoirs dans le secteur Y et de les transférer dans un
autre où ils perçoivent un potentiel de rentabilité plus
élevé. De cette façon, les ressources sont
transférées des secteurs où elles répondent
à un besoin moins pressant à d'autres où elles sont plus
utiles.
« Lorsque les gouvernement
renflouent des compagnies non rentables au lieu de les laisser fermer, non
seulement gaspillent-ils des capitaux qui auraient pu être investis
dans des secteurs plus rentables, mais ils maintiennent en place des
ressources qui permettraient de répondre à des besoins plus
pressants si on les transférait ailleurs. »
Sans
flexibilité des prix et sans profits et pertes, il n'y a aucune
façon de savoir si les ressources – qui, comme tout dans ce bas
monde, sont limitées – sont utilisées au meilleur
escient. Les compagnies qui produisent à perte ne rendent pas service
au public, elles gaspillent des ressources rares qui seraient plus utiles
ailleurs. Lorsque les gouvernement renflouent des
compagnies non rentables au lieu de les laisser fermer, non seulement
gaspillent-ils des capitaux qui auraient pu être investis dans des
secteurs plus rentables, mais ils maintiennent en place des ressources
– main-d'oeuvre, machinerie, bureaux...
– qui permettraient de répondre à des besoins plus
pressants si on les transférait ailleurs.
Ces
mécanismes d'ajustement spontané ne peuvent exister que dans
une économie libre. Si on les supprime, il n'existe qu'une seule
alternative: la coercition bureaucratique. Ce sont alors des planificateurs
de l'État qui décident de l'allocation des ressources, qui
décident de ce qui sera produit, en quelle quantité et par qui.
Même en tenant pour acquis que ces planificateurs ont les meilleures
intentions du monde et ne visent que l'intérêt
général – ce qui n'est pas du tout évident,
puisqu'ils ont des intérêts à eux, comme tout être
humain – ils n'ont tout simplement pas accès à
l'information nécessaire pour faire cette planification. Le
résultat inévitable est le désastre économique
des pays communistes et celui, moins catastrophique mais tout aussi patent,
des secteurs économiques contrôlés ou
réglementés par l'État dans nos économies mixtes.
Deux
côtés au marché
Il y a toujours
deux côtés dans le marché, l'offre et la demande, et les
profits n'augmentent pas uniquement lorsque la demande fait un bond soudain
et entraîne le prix d'un produit à la hausse. Ils augmentent
aussi lorsqu'un producteur trouve le moyen de réduire ses coûts
de production tout en continuant à vendre son produit au même
prix.
Les
entrepreneurs sont constamment à la recherche de façons
d'augmenter la productivité de leur entreprise, que ce soit par
l'ajout de nouvelles machines, une meilleure organisation du travail,
l'utilisation de matériaux moins coûteux, une formation plus
appropriée des employés, etc. Être plus productif veut
dire produire plus avec moins. Cela signifie gaspiller moins de ressources,
et pouvoir ainsi transférer les ressources dégagées
ailleurs et les utiliser pour produire autre chose. C'est de cette
façon que l'économie peut croître et que nous devenons
toujours plus prospères.
Supposons que
la demande pour le produit X est stable et que le marché y
répond adéquatement. Plusieurs compagnies se font concurrence
pour offrir des produits X similaires, et leurs coûts de production
sont comparables. Les gestionnaires très créatifs de l'une de
ces compagnies découvrent une méthode de production qui
réduit considérablement les coûts. Que cette compagnie
réduise ou non le prix de son produit X, elle fera des profits
additionnels importants. Si elle continue à vendre au même prix
que les autres, elle garde la même part de marché, mais sa marge
de profit augmente beaucoup. Si elle réduit son prix, sa marge de
profit est plus modeste, mais elle attire alors de nouveaux clients et
augmente ses ventes, ce qui engendre des profits aussi élevés.
Encore une
fois, on assiste à un déséquilibre, non pas entre l'offre
et la demande cette fois, mais entre une nouvelle façon plus efficace
de produire et une ancienne façon qui gaspille des ressources. Le
profit récompense le producteur le plus efficace, celui qui
répond à la demande en produisant au coût le plus
réduit en termes d'utilisation de ressources rares.
Là
encore, le profit entraîne un réajustement. La compagnie plus
efficace pourra se servir des profits exceptionnels qu'elle obtient pour
investir dans sa capacité de production, et pourra ainsi augmenter sa
part de marché. Ses concurrents les moins efficaces devront fermer
leurs portes. Des ressources auront donc été
transférées des producteurs les moins efficaces au producteur le
plus efficace. Ou encore, ses concurrents tenteront de s'adapter rapidement,
de copier cette méthode de production plus efficace et de
réduire eux aussi leurs coûts de production. S'ils y
réussissent, le résultats sera le
même, c'est-à-dire que moins de ressources seront
utilisées globalement pour répondre à la demande de
produits X, mais la part de marché de chaque producteur aura peu
changé.
Une
anomalie temporaire
Les acteurs
économiques s'ajustent évidemment non pas en cherchant à
corriger un problème global, mais parce qu'il est dans leur
intérêt immédiat de le faire. Les propriétaires
d'une compagnie qui fait des pertes risquent de voir leurs investissements
partir en fumée et d'y engloutir leurs avoirs. Les gestionnaires et
les employés risquent quant à eux de perdre leur emploi. Mais
en s'ajustant aux signaux du marché, ils contribuent à
répondre le mieux possible, le plus efficacement possible, aux besoins
des consommateurs. Le profit est une sorte d'interface qui joint la poursuite
de l'intérêt individuel avec la contribution au bien-être
de tous. Lorsqu'on comprend comment cela fonctionne, on se rend compte qu'il
n'existe aucune contradiction entre ces deux buts, ils ne peuvent au
contraire se réaliser que de façon concordante.
Le profit est
toujours le signal qu'il existe un déséquilibre dans un
marché, entre une situation nouvelle et des façons de faire qui
ne se sont pas encore adaptées. D'une certaine façon, le profit
est une anomalie temporaire. Dans une économie de marché libre
et flexible, les acteurs réagiront à la présence de
profits et de pertes de façon à corriger cette anomalie. Il est
donc erroné de croire que le profit est une caractéristique
permanente et toujours en croissance dans une économie capitaliste,
comme le prétendent les marxistes. Au contraire, plus la concurrence
est forte, plus un secteur est libre de réglementations et
d'intrusions gouvernementales et se rapproche du modèle capitaliste
idéal, plus on doit s'attendre à ce que les
période de profits exceptionnels soient courtes. La
flexibilité d'un tel secteur économique et la rapidité
d'adaptation des acteurs feront en sorte que les déséquilibres
disparaîtront rapidement. C'est plutôt dans les secteurs
où l'État vient brouiller les cartes que des profits excessifs
auront tendance à se maintenir, ceux qui sont par exemple
dominés par des monopoles publics, où certaines compagnies sont
favorisées, ou encore où des prix plus élevés que
ceux du marché sont imposés par décret. Dans ces
secteurs, la possibilité de concurrencer étant réduite,
la flexibilité et la liberté d'initiative étant
limitées, les déséquilibres auront tendance à
durer plus longtemps ou à persister indéfiniment.
Le profit est
en fin de compte une façon de s'ajuster à des changements
économiques complexes. La conclusion à tirer de tout cela est
donc limpide: ceux qui n'aiment pas les profits dits « excessifs »
devraient militer pour l'imposition d'un ordre social et économique
statique, sans changement, ou tout est contrôlé et où on
ne permet à aucun déséquilibre soudain d'émerger,
ce qui ressemble en gros à l'idéal communiste; ou encore, ils
devraient appuyer le capitalisme le plus débridé qui soit,
puisque dans un tel contexte de flexibilité maximale les profits
excessifs ne peuvent jamais être maintenus bien longtemps..
Martin
Masse
Le Quebecois Libre
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