Le Conseil
Pontifical Justice et Paix a publié le lundi 24 octobre un document
en forme de manifeste pour les indignés intitulé « Pour
une réforme du système financier international dans la
perspective d'une autorité publique à compétence
universelle ». Soulignons que ce texte n’est pas un document
officiel du Magistère. Il émane d’un simple Conseil, sans
autorité doctrinale particulière. Dans la perspective de la
réunion du G20 à Paris, il appelait à la mise en place
d'un gouvernement mondial, d’une « autorité
supranationale », appelée encore « autorité
politique mondiale ».
Dans ce texte,
on peut lire notamment la déclaration suivant : « En
matière économique et financière, les difficultés
les plus importantes proviennent de l'absence d'un ensemble efficace de
structures capables de garantir, en plus d'un système de gouvernance,
un système de gouvernement de l'économie et de la finance
internationale. »
Rien
n’est dit de l'endettement croissant et ruineux des gouvernements
occidentaux. Au contraire, la note suggère « des mesures
fiscales sur les transactions financières » et « des formes
de recapitalisation des banques avec des fonds publics » (un
euphémisme pour le renflouement des banques). En d'autres termes, plus
d'impôts et plus de dépenses.
Enfin le texte
dénonce, en écho au livre de Joseph Stiglitz (Le triomphe de la cupidité), ce
qui passe pour être l’une des causes de la crise : la
cupidité des hommes et l’idolâtrie du marché.
L’idolâtrie du
marché ?
Le
problème des catholiques, c’est surtout leur ignorance des
mécanismes de marché. Daniel Villey a
écrit un
article passionnant sur le sujet en 1954. L’article n’a pas
pris une ride et il est même d’une étonnante
actualité. Villey prend l’exemple
d’une lettre pastorale écrite par le cardinal Saliège, archevêque de Toulouse. Saliège écrit : « Je supplie les
chefs d'entreprise de ne pas augmenter le nombre des chômeurs. Il n'est
pas nécessaire qu'une entreprise fasse des bénéfices. Il
est nécessaire qu'elle vive et fasse vivre des hommes. » Bien
entendu, commente Villey, le cardinal ne se demande
jamais quelles seraient les conséquences économiques de ses
conseils. En ne réduisant pas leur personnel, les entreprises ne
vont-elles pas compromettre leur propre existence et provoquer ainsi une
extension plus grave du chômage ? Et n’est-ce pas justement l'essence
même du travail d'un entrepreneur que de faire des profits ?
Le propos du
cardinal est à peu près aussi sensé que celui qui
consisterait à dire : « il n'est pas nécessaire
qu'un professeur fasse des cours ; il suffit qu'il achète des livres
» ; ou encore : « il n'est pas nécessaire qu'un
médecin soigne des malades ; il suffit qu'il s'occupe de sa femme
». Et Villey d’ajouter :
« Dans la poursuite du bénéfice, on ne voit que
l'attrait (coupable) du gain. On ne voit pas dans le profit le
baromètre du service rendu, qu'il est en économie de
marché. »
Frédéric
Bastiat avait déjà expliqué très clairement le
problème : « Entre un mauvais et un bon Économiste,
voici toute la différence : l'un s'en tient à l'effet visible ;
l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et de ceux qu'il faut
prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive
presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est
favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice
versa. » Malheureusement, les médias, les hommes politiques et
les hommes d’Église à leur suite, valorisent toujours les
avantages temporaires d’un projet, sans jamais parler de son coût
économique et humain à long terme : frais
supplémentaires, générés indirectement par le
ralentissement des échanges économiques ou directement par
l’augmentation de l'inflation et des taxes, entraves à la
liberté et au droit de propriété.
À la
base du libéralisme économique, explique encore Daniel Villey, il y a cette idée, largement
ignorée, que les phénomènes économiques
s'engendrent les uns les autres ; qu'ils sont reliés les uns aux
autres par des lois ; que de multiples décisions en apparence incohérentes
sont en réalité coordonnées par des mécanismes
rigoureux et cachés, de telle façon qu'il y ait un ordre
déterminé des phénomènes économiques.
C’est l'idée qu'au-delà du plan des intentions il y a
celui des conséquences, et que le second est largement autonome par
rapport au premier. Derrière la concurrence et l'opposition des
intérêts, que l'on voit, il y a une harmonie qu'on ne voit pas,
mais que la science peut découvrir.
Daniel Villey cite un autre exemple de lettre pastorale, celle
de l'archevêque de Rouen qui déclarait : « Les salariés
qui acceptent de faire des heures supplémentaires doivent se demander
s'ils ne portent pas tort à leurs camarades de travail. (…)
Certains retraités qui ajoutent un salaire normal à une
retraite décente doivent se demander s'ils ne prennent pas indûment
la place de quelqu'un dont les besoins sont plus grands que les
leurs ». Au plan de « ce qu'on voit », la
recommandation peut paraître indiscutable. C’est d’ailleurs
avec un argument de ce type qu’on a adopté en France les 35
heures. Réponse de Daniel Villey à ce
sophisme : « si l'on élargit l'horizon et la
période du raisonnement, on s'aperçoit qu'il n'y a là le
plus souvent qu'une illusion d'optique, et que faire des heures
supplémentaires constitue fréquemment, en fin de compte, le
moyen le plus efficace qu'ait chacun de nous de contribuer à la
régression du chômage d'autrui ».
La cupidité des hommes ?
La
cupidité a toujours existé, dans chaque société
et à chaque période de l'histoire. Selon Thomas
Woods, chercheur associé au Mises
Institute et catholique, « le problème n'est pas que les
hommes soient cupides. Le problème est le système lui-même.
Nous avons besoin d'une économie véritablement libre, qui ne
soit pas corrompue par le copinage ni manipulée par les interventions
arbitraires des banques centrales ». Et il ajoute :
« Si nous avions vraiment été les promoteurs de “l’idolâtrie du marché”, nous aurions écouté le
marché. Au lieu de cela, les autorités centrales ont
masqué ce que le marché essayait de nous dire.
L’idolâtrie ne vient pas du marché, mais des banques
centrales, les sources institutionnalisées de l’aléa
moral et de l’instabilité financière dans le monde.
(L’aura d’infaillibilité et le culte de la
personnalité entourant les présidents de la Fed font du langage de
l’idolâtrie une pure et simple poésie) ».
Les auteurs du
texte « Pour une réforme du système financier
international » soulignent la nécessité de
« dépasser les idéologies » pour
« subordonner l'économie et la finance à la
politique, responsable du bien commun ». Mais peut-on être
sûr que les politiques seront les garants du bien commun et non des
hommes cupides comme les autres ? L’expérience
n’a-t-elle pas montré au contraire que les politiques
étaient des hommes comme les autres, âpres au gain et
motivés par leurs intérêts personnels ?
Bien avant les
économistes de l’école des Choix publics au XXe
siècle, Bastiat avait démystifié l’État et
avait montré que lorsqu’un gouvernement outrepasse sa mission de
défense des personnes et des biens, il incite les groupes
d’intérêt à rechercher des privilèges et
à influer sur le pouvoir pour obtenir des avantages au
détriment des contribuables et des consommateurs. « L'État, c'est la grande
fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux
dépens de tout le monde », écrivait
Frédéric Bastiat dans son pamphlet intitulé L'État.
Supposons un
instant que d’honnêtes hommes politiques soient capables de
résister à la corruption du pouvoir. Selon Ludwig Von Mises,
ils seraient incapables de faire ce qu’on attend d’eux à
cette position : la planification centralisée ne marche pas. Le
système des prix émerge du processus de marché. Sans un
marché libre, il ne peut y avoir aucun calcul par les investisseurs et
les entrepreneurs. En matière monétaire, il en va de
même. Hayek a expliqué, à la suite de Mises, comment les
taux d’intérêt devraient aussi pouvoir fluctuer librement
afin de pouvoir remplir leur fonction cruciale de coordination. Toute
manipulation des prix ou des taux d’intérêt par une banque
centrale, conduit à fausser l'offre de crédit et les
possibilités d'investissement pour les entrepreneurs, ce qui a pour
effet la mauvaise allocation des ressources.
Faut-il une banque centrale
mondiale ?
L’école
autrichienne d’économie est l’une des rares écoles
de pensée à avoir mis l’accent sur le rôle
perturbateur des banques centrales. Ce sont des institutions monopolistiques,
créées pour planifier le système monétaire. Selon
Mises et Hayek, les banques centrales sont responsables du cycle
d’expansion-récession par l’inflation de la masse
monétaire. En fournissant du crédit facile, à des taux
maintenus artificiellement bas, les banques centrales favorisent les bulles
spéculatives et les mauvais investissements. Durant la phase de
récession, les sociétés qui avaient
réalisé de mauvais investissements, à condition
qu’elles soient suffisamment puissantes, demandent au gouvernement
d’utiliser son monopole sur la monnaie pour leur venir en aide.
C’est le cas notamment des banques.
Dans cette
perspective, ce n’est pas la déréglementation, mais bien
la réglementation financière et la manipulation de la masse
monétaire par la Réserve fédérale
américaine qui est à l’origine du krach de 2008. Au cours
de la dernière décennie, la Fed a multiplié les baisses
des taux d'intérêt pour conjurer le ralentissement de 2000-2002,
après l’éclatement de la bulle technologique et les
attentats du 11 septembre.
Thomas Woods le déplore : « on nous a
assuré que les économistes les meilleurs et les plus brillants
dirigeaient la Fed. Ce sont des gens qui nous ont dit que la hausse des prix
des logements était adossée à des fondamentaux solides.
Alan Greenspan a dit aux gens d’acheter à taux variables. Ben Bernanke a déclaré en 2006 que les normes
en matière de prêts étaient saines. Et ainsi de
suite… Chaque fois que la hausse des taux pouvait décourager la
folle spéculation immobilière, la Fed a maintenu des taux
faibles. En d’autres termes, lorsque le marché essayait
d’allumer les feux rouges, la Fed les mettait tous au
vert ».
Dès
lors, vouloir créer une banque centrale mondiale est à peu
près aussi naïf que les objectifs de ceux qui ont favorisé
la création de la Fed parce qu’ils s’imaginaient
qu’elle pourrait contrôler l’expansion du crédit
dans le système bancaire. « En fait, c’est pire que
cela, selon Jeffrey Tucker du Mises Institute, car nous avons eu un siècle
d’expérience pour savoir que la banque centrale ne conduit pas
à la responsabilité, aux flux de crédit
réglementés et à une monnaie saine, mais
précisément au contraire. C’est comme un médecin
qui recommanderait un poison pour soigner l’empoisonnement, qui
administrerait de l’héroïne pour arrêter une
addiction à la cocaïne ».
Si la
centralisation de l’argent, du crédit et de
l’autorité politique est la cause de ce problème, comment
une centralisation supérieure pourra-t-elle le régler ?
N’est-ce pas plutôt de subsidiarité dont nous aurions
besoin ? Au lieu de donner toujours plus de pouvoir à de nouvelles
élites mondialisées, ne devrions-nous pas rendre ce pouvoir
à la société, à l’échelon local ?
Quelle alternative ?
Si le
système bancaire et monétaire actuel produit de mauvaises
incitations, s’il encourage artificiellement l’endettement et une
gestion imprudente de l’argent, il faut le changer. Si les banques
centrales sont des créatures du gouvernement et non du marché
libre, si elles déclenchent des cycles
d’expansion-récession, il faut les supprimer. Le marché
libre n’a rien à voir avec cet échec. Le seul moyen de
revenir à la prospérité, c’est de laisser le
marché coordonner la production et la consommation.
Concrètement,
une monnaie saine doit être restaurée. Les banques doivent
être soumises à la loi des pertes et profits. Les sauvetages
doivent cesser. Les liquidations doivent être permises. Et surtout, les
gouvernements doivent être disciplinés et contrôlés.
En d'autres termes, nous avons besoin de véritables marchés
libres et de subsidiarité. C'est la seule voie vers un monde
responsable et réglementé. Sinon, nous allons créer des
problèmes encore plus graves que ceux que nous connaissons
déjà.
Enfin, le
Vatican pourrait peut-être tirer quelques leçons de l'analyse
économique.
Par
exemple :
1° que les
États ne créent rien et n'ont donc pas de fonds hormis ceux
provenant des gens ordinaires : les contribuables ;
2° que le
système financier mondial est actuellement en danger en raison de
l’envolée de la dette publique ;
3° que les
organismes de réglementation n’ont jamais été
capables de protéger le public contre les fluctuations du
marché, les bulles spéculatives et même contre la fraude
et qu’il est raisonnable de s'attendre à ce qu'une
autorité mondiale reproduise ces échecs à
l'échelle mondiale ;
4° que les
interventions gouvernementales dans les marchés produisent
invariablement des conséquences involontaires, la plupart
délétères ;
5°
que la réglementation étatique (ou supranationale) fournit
invariablement des opportunités pour les multinationales de manipuler
le marché à leurs propres fins, au détriment de
l'intérêt général
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