J’en avais parlé dans ces colonnes à la fin du mois de Juin et un article récent et assez fouillé de Contrepoints
revenait sur d’autres aspects inquiétants : l’oppression fiscale est bel et
bien en marche, et la tournure que prennent les choses est réellement
glaciale, à plus d’un tour.
Et histoire de fournir un peu de contexte, revenons sur ce que nos députés
sont en train de mettre en place, alors que nos journalistes s’empressent au
mieux de n’en rien rapporter, et au pire, comme on pourra le voir plus loin,
en poussant à la roue de la propagande.
Pour rappel, tout part comme d’habitude d’un fait divers, qu’on pourrait
qualifier de scandale républicain annuel tant ce qui est arrivé est à ce
point banal et répétitif : l’affaire Cahuzac ayant
éclaté avec ce qu’on sait d’absence totale de toute remise en question de la
part des politiciens, tant de droite que de gauche, il a été promptement
décidé, par ceux-là même qui étaient finalement les plus directement
concernés, que toute cette vilaine évasion fiscale du Paradis Taxatoire Français devait être combattu âprement. Parce
que bon, les finances du pays ne peuvent souffrir d’un tel drain (qui commence à se voir). Bien évidemment, il s’est
rapidement révélé (sans surprise) que cette affaire aura servi de prétexte à
réécrire une partie du code fiscal, judicieusement choisie pour offrir de
nouvelles voies d’enquêtes et d’inquisition de la part du fisc.
En substance, le projet de loi « relatif à la lutte contre la
fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière »
prévoit notamment, comme je l’expliquais, la possibilité de recours à des
techniques d’enquêtes spéciales ; rassurez-vous, les fers chauffés au rouge
et le plomb fondu dans la gorge n’en font pas encore partie, mais il est
probable que certains de nos élus y ont pensé, même si de façon seulement
fugace. Pour le moment, il s’agit surtout de laisser au fisc la liberté
d’utiliser des preuves éventuellement obtenues de façon illicites, ce qui est
tout à fait bisou-compatible avec une République qui respecte les droits de
l’Homme.
Cette introduction dans la loi d’un tel procédé était, on en conviendra
aisément, déjà gratiné.
Rebondissement récent : le Président de la Commission des Finances au
Sénat, Philippe Marini (un de nos très chers députés), qui est aussi UMP que
socialiste, a introduit dans la foulée une petite proposition au moins aussi choupinette que l’élément dont je fais mention ci-dessus
: le brave Philippe nous propose de modifier un peu la loi entourant
la notion d’abus de droit. Il veut ainsi, et je cite la proposition,
« renforcer la procédure de l’abus de droit en élargissant son champ
d’application aux cas où les actes mis en cause répondraient à un motif essentiellement
fiscal. »
Le mot important, ici, est « essentiellement ».
Éclairons un peu.
L’abus de droit est au départ une notion de droit civil. En quelques
années de fiscalité délirante débridée millimétrique comme seuls l’Assemblée
Nationale et Bercy sont capables de concevoir, cette notion est devenue la
pierre d’angle de biens des inspecteurs des impôts, trouvant en elle un bon
argument pour redresser du contribuable par paquets de douze.
L’abus de droit fiscal (article 64 du livre des procédures fiscales) vise
à sanctionner tout schéma juridique dont l’unique motivation est
fiscale. Par unique, on comprend (et ce fut bien précisé par le Conseil
d’État) qu’on veut ici éviter toute interprétation arbitraire des inspecteurs
fiscaux : l’abus de droit ne devra concerner que les schémas motivés par un
but exclusivement fiscal.
Tout montage devra donc avoir été fait pour une raison non fiscale, au
départ. Et si, en conséquence de ce montage, la facture de Bercy s’en trouve
réduite, tant mieux. En revanche, tout montage effectué pour réduire la
facture et pour lequel on ne peut trouver le moindre autre but se trouverait
sanctionné. La ligne est donc fine, mais elle existe, et sa finesse aura
occasionné, on s’en doute, des luttes des années durant de la part des contribuables
contre l’administration pour faire valoir ce point devenu fondamental.
On l’aura compris : la proposition de Marini, qui montre ici que le
socialisme de droite n’a absolument rien à envier à celui de gauche dès qu’il
s’agit d’aller piocher dans la poche des autres, revient à modifier en
profondeur cette notion. À présent, elle s’applique aux montages ayant un but
essentiellement, et non plus exclusivement, fiscaux. Autant dire que
dorénavant, l’administration fiscale aura une belle et grande latitude pour
cogner sur l’assujetti.
En effet, qu’est-ce qu’un motif « essentiellement » fiscal ?
Toute utilisation d’une niche fiscale, parfaitement légale, est, par
définition, un montage essentiellement fiscal. Et le fait d’utiliser
« trop bien » ces différentes niches sera donc punissable avec une
telle proposition (au passage, la sanction est sévère : l’impôt total éludé
doit être payé, additionné d’une majoration de 80%). La mère Duflot appréciera certainement que ses piteuses
tentatives soient à ce point sabotées, mais en attendant, la schizophrénie
fiscale qui accompagne tous ces projets laisse perplexe.
Bien évidemment, comme je le mentionnais en introduction, ce genre de
textes, s’il était réellement connu du grand public, déclencherait assez
probablement un vent de panique et de colère de la part d’un peuple qui sent
de plus en plus le vent du boulet fiscal lui passer près de la couenne, tant
le pelage a déjà été tondus ras.
Pour éviter telle fronde, on observe de façon assez prévisible la parfaite
docilité des journalistes dans leur mutisme : à part dans la production bloguesque éventuellement hébergée sur des sites un peu visibles, et à part bien sûr
Contrepoints, c’est le néant total.
En revanche, la propagande pro-fiscalité contondante, elle, passe de mieux
en mieux.
Je pourrais m’étendre à loisir sur l’article éhonté du Monde, paru en février dernier, et qui avait déclenché autant de
sourires consternés que de commentaires surpris devant son titre disant qu’« être
taxé nous rend heureux », même si la conclusion, délicate, qu’une
réforme de l’impôt semblait nécessaire, était camouflée dans le torrent de
câlins républicains dans lequel l’impôt, c’est fantastique et la taxation
super-chouette, à condition d’être simples.
Et bien sûr, on en retrouve une autre belle louchée, plus récente
celle-là, dans un article de Slate de début août, dans lequel l’auteur
concède vaguement qu’effectivement, l’avalanche d’impôts en France aurait
intérêt à se calmer, essentiellement parce que le FMI le demande … et surtout
pas parce que l’austérité de nos fanfarons du gouvernement ne s’est traduit
par absolument aucune baisse des dépenses publiques (au contraire même). En
outre, l’auteur de l’article, tout fripé de ses convictions keynésiennes, ne
peut s’empêcher de tenter quelques tacles ridicules (par le truchement du
gauchiste Sterdyniak, cet outil commode à ressortir
quand on ne maîtrise pas l’économie) afin de faire bien vite oublier le
fameux jour de « libération fiscale » – décidément, cette mesure
d’oppression taxatoire est un excellent marqueur à
imbécile, comme je le notais dans un précédent billet.
Bref, la presse a fait vœu de silence sur les manœuvres qui se mettent en
place destinées à traquer le contribuables jusque
dans ses chiottes, et quand elle évoque le sujet, c’est plutôt dans le
registre propagande et petits fours : on en revient bien vite aux éternels
poncifs sur le nécessaire impérieux d’une bonne ponction des familles ; c’est
entendu, l’oppression fiscale n’est qu’une chimère, une vue de l’esprit.
L’austérité, cela suffit, passons plutôt à autre chose.
Et quand les députés se placent en embuscade pour dépecer le moutontribuable, on n’en fera pas plus qu’un entrefilet,
à l’occasion.