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Acte II, le rideau s’ouvre

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Published : July 04th, 2011
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Que n’a-t-on pas déjà dit du nouveau plan de sauvetage de la Grèce, alors qu’il est loin d’être bouclé ? Et que la soudure financière de la mi-juillet permettant d’éviter un défaut immédiat n’est même pas garantie, puisque si les Européens ont donné leur accord pour verser cette tranche de leur prêt, il est conditionné au versement par le FMI de sa quote-part. Or ce dernier ne s’est pas encore engagé, attendant l’adoption du plan de sauvetage qui garantira son remboursement sur fonds publics, dont il est à son tour dit que « des semaines » vont être nécessaires afin d’y parvenir. Sans plus attendre, septembre et l’automne sont évoqués comme calendrier ! Le serpent se mord le bout de la queue.


Des détails techniques d’une extrême complexité (sic) doivent encore être réglés pour que soit bouclé le dossier de la participation en façade des banques à ce deuxième plan, ce qui fait office d’explication au retard qu’il prend. L’Institute of International Finance (IIF), le lobby mondial des mégabanques, est même monté au créneau, assurant « être résolu à travailler avec ses membres et d’autres institutions financières, les autorités et la Grèce pour fournir un soutien substantiel en liquidités ». En d’autre termes, les autorités européennes, dont on doute ouvertement Outre-Atlantique de la capacité à résoudre le problème, sont priées de céder la place aux spécialistes qui vont le régler… Charles Daralla, le directeur général de l’IIF, avait précédemment déclaré au Wall Street Journal, « la voie est étroite, je ne le nie pas ». Va-t-il mettre ses talents de persuasion au service de ses mandants ou bien des États européens qu’il vient épauler ?


Les autorités européennes ont eu cet avantage de devoir faire face aux crises les unes après les autres. Celle de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, puis à nouveau celle de la Grèce, leur permettant à chaque fois de s’en tirer dans l’improvisation par des bouts de ficelle. Mais est-ce que cela va durer longtemps ainsi ?


De nouveaux rebondissements s’annoncent. L’Irlande veut renégocier son propre plan, tandis qu’à force de scruter la situation espagnole, on en est venu à mettre l’Italie dans le même bateau et inscrire ensemble les deux pays sur la liste des prétendants à un prochain sauvetage. Tout cela pourrait se presser en même temps au portillon, balayant les dispositifs péniblement mis au point par les gouvernements européens, qui ne sont pas dimensionnés pour y faire face.


Un discours prononcé le 15 juin à Francfort par Vitor Constâncio, vice-président de la BCE, est passé inaperçu et c’est bien dommage, car il donne la clé des tensions structurelles et durables sur le marché obligataire. Présentant le rapport semestriel de stabilité financière de la BCE, il a évoqué les améliorations enregistrées et les risques qui persistaient. Notamment « les vulnérabilités du financement des banques, l’évolution des prix de l’immobilier, la perspective d’une hausse inattendue et soudaine, déterminée par le marché, des taux d’intérêt à long terme », ainsi que les flots de capitaux qui se dirigent actuellement vers les pays émergents.


Pour en venir au financement des banques, « talon d’achille » de beaucoup d’entre elles, il a rappelé que 30 % des crédits des banques de la zone euro devaient être refinancés en 2011 et 2012. « Un défi pour les banques à l’accès détérioré aux marchés », a-t-il expliqué, le coût de ce refinancement risquant d’être très volatil (d’augmenter) en raison des besoins de financement des gouvernements avec lesquels elles vont entrer en compétition.


Pour diminuer ces tensions, il est donc nécessaire que les États fassent moins appel au marché en réduisant leur déficit ; voilà le fond du problème, et rien d’autre.


Autre aspect de la situation, que la Grèce a mis en évidence, bénéficier d’un plan de sauvetage est une chose, en sortir ensuite à son terme pour revenir sur le marché en est une autre, proprement inconcevable dans le contexte actuel. Quelle autre conclusion peut-il en être tiré, si ce n’est que le marché se met dans ce cas hors jeu mais que les États ne savent comment s’y substituer, bien que condamnés à persévérer ? Encore un paradoxe de plus sur la longue liste qui ne fait que s’allonger. On tente d’imposer la poursuite du « moins d’État » dans la conduite de l’économie, au prétexte de faire des économies, et celui-ci joue dans les faits un rôle grandissant et même majeur dans le maintien et la stabilité du système financier. Cherchez l’erreur.


Pendant ce temps, les plans d’austérité s’accumulent pays après pays, laissant fort peu d’espace à la croissance de l’économie et des recettes fiscales des États, rendant le pari tenté illusoire. Dernière en date, l’Italie vient d’adopter pour les années 2013 et 2014 un nouveau plan d’austérité de 43 milliards d’euros, après le précédent de 25 milliards d’euros en cours pour 2011 et 2012. Réduction des retraites, des dépenses de santé, prolongation du gel des salaires et des embauches dans la fonction publique sont au menu, accompagnées d’une baisse de l’impôt sur le revenu et d’une hausse des taxes sur les revenus financiers.


Une telle situation est porteuse de l’implosion du dispositif mis en place, qui vise à refinancer sur fonds publics la dette privée, afin d’assurer que son remboursement soit garanti. Progressivement, le fonds de stabilité financière aujourd’hui, et le MES à partir de 2013 – si le Bundestag allemand donne son feu vert à l’automne – sont de plus en plus mis à contribution. Des voix s’élèvent déjà pour réclamer que leurs enveloppes financières soient à nouveau augmentées. Mais c’est une fausse solution.


Elle revient en effet à faire financer – ou garantir – la dette privée des pays entrant dans la zone des tempêtes par ceux qui bénéficient de bonnes conditions de marché. Les investisseurs se tournant vers leurs émissions au détriment de celles des autres, ceci explique cela. Un nombre de plus en plus restreint de pays va donc soutenir financièrement un nombre de plus en plus grand d’autres pays qui ne peuvent plus accéder au marché. Jusqu’où et jusqu’à quand ce mécanisme va-t-il pouvoir fonctionner ? Les marchés savent faire les comptes… Un nouvel échafaudage de dettes est en train d’être construit pour consolider le précédent qui vacille, cette brillante construction tiendra-t-elle le choc ?


Refuser de prendre le problème à bras le corps, le saucissonner et l’étaler, toute cette cuisine mitonnée dans les cabinets ministériels faute de mieux risque fort d’aboutir à ce que soit présentée demain une addition encore plus lourde à payer qu’elle ne l’est aujourd’hui. L’émission d’euro-obligations, la restructuration ordonnée de la dette publique et le refinancement des institutions financières privées qui en découlerait ont été écartés comme autant d’horreurs, mais il va falloir tôt ou tard en assumer les conséquences imprévisibles.


Ce ne sont pas seulement les États-Unis qui sont entrés dans ce qui est là-bas appelé la zone dangereuse, celle qui précède les échéances fatidiques. Car le déplafonnement de la dette par le Congrès est toujours bloqué par les républicains. La simultanéité des deux crises, assortie de la poursuite de celle que connaît le Japon et qui a été accentuée par la catastrophe qu’il vient de subir, fait entrer toute l’économie occidentale dans la deuxième phase de la crise financière. Ce n’est plus la bulle de la dette privée qui éclate, c’est celle de la dette publique – sur qui les efforts ont été reportés – dont le financement est en panne.


Moody’s vient de prévenir qu’une diminution de la note de la dette souveraine américaine aurait un effet domino important. Ce seraient les notes des États eux-mêmes, de Fannie Mae et Freddie Mac qui seraient également affectées, ainsi que Federal Home Loan Banks et Federal Farm Credit Banks. L’Europe n’a pas l’exclusivité de cet effet, qui serait tout aussi redoutable aux États-Unis.


L’interrogation ne porte pas sur la possibilité de trouver ou non, à la dernière minute, des pis-aller permettant à nouveau de gagner du temps. Encore que cela ne soit pas garanti, comme affectent de le croire ceux qui se réfèrent aux épisodes précédents pour en tirer la conclusion que tout s’arrangera. Elle porte sur la nature des expédients qui doivent être improvisés, ainsi que sur leur fragilité. A force d’être tendues, les cordes se cassent.


Nous sommes en train d’assister au début de l’acte II de la crise. Après la chute libre du système financier rattrapé du bout des doigts, voici venu le moment du blocage de la finance publique, chroniquement malade pour avoir assisté et payé les faux frais du premier. Prêteur en dernier ressort, l’État n’a personne auprès de qui il peut se retourner, à l’exception des contribuables. Est-ce bien raisonnable ?


Les banques centrales passent quant à elles la main, dépassées par les événements et dépourvues de leviers efficaces. La Fed laisse l’État américain orphelin de ses achats obligataires, qu’elle ne renouvelle pas dans l’immédiat. La Banque d’Angleterre fait du surplace, prise entre les impératifs contradictoires de la lutte contre l’inflation et le soutien d’une économie frisant la stagflation, la Banque du Japon continue de soutenir via l’État l’économie du pays, atteinte dans ses œuvres, enfin, la BCE joue les matamores tout en mettant également les pouces, effrayée par ses propres audaces.


Il faut s’arrêter un instant sur la situation de cette dernière, placée devant le choix de continuer ou non à soutenir les banques grecques, et par ricochet les banques européennes, en acceptant comme collatéral pour ses prêts la dette souveraine du pays après restructuration. L’IIF s’y est mise pour inciter la BCE à poursuivre ce qu’elle a engagé et de s’impliquer encore plus dans la politique fiscale des États, qui n’est pas de son ressort, mettant en cause son indépendance et détruisant par là même sa crédibilité auprès des marchés… Décidément, tout fout le camp !


La crise s’étend au marché obligataire souverain, l’un des deux piliers – avec le dollar – sur lequel repose le système financier. Ce dernier résiste encore, les investisseurs se tournant vers lui comme un dernier refuge, on devrait dire comme si c’était un expédient de plus. Pour combien de temps ? Quand il craquera, rien ne résistera.



Billet rédigé par François Leclerc


Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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