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Que
n’a-t-on pas déjà dit du nouveau plan de sauvetage
de la Grèce, alors qu’il est loin d’être
bouclé ? Et que la soudure financière de la mi-juillet
permettant d’éviter un défaut immédiat n’est
même pas garantie, puisque si les Européens ont donné
leur accord pour verser cette tranche de leur prêt, il est
conditionné au versement par le FMI de sa quote-part. Or ce dernier ne
s’est pas encore engagé, attendant l’adoption du plan
de sauvetage qui garantira son remboursement sur fonds publics, dont il
est à son tour dit que « des semaines » vont
être nécessaires afin d’y parvenir. Sans plus attendre,
septembre et l’automne sont évoqués comme calendrier !
Le serpent se mord le bout de la queue.
Des
détails techniques d’une extrême complexité
(sic) doivent encore être réglés pour que soit
bouclé le dossier de la participation en façade des banques
à ce deuxième plan, ce qui fait office d’explication au retard
qu’il prend. L’Institute of International Finance (IIF), le lobby
mondial des mégabanques, est même
monté au créneau, assurant « être
résolu à travailler avec ses membres et d’autres
institutions financières, les autorités et la Grèce pour
fournir un soutien substantiel en liquidités ». En d’autre termes, les autorités
européennes, dont on doute ouvertement Outre-Atlantique de la
capacité à résoudre le problème, sont
priées de céder la place aux spécialistes qui vont le
régler… Charles Daralla, le directeur
général de l’IIF, avait précédemment
déclaré au Wall Street Journal, « la voie est
étroite, je ne le nie pas ». Va-t-il mettre ses talents de
persuasion au service de ses mandants ou bien des États
européens qu’il vient épauler ?
Les
autorités européennes ont eu cet avantage de devoir faire face
aux crises les unes après les autres. Celle de la Grèce, de
l’Irlande et du Portugal, puis à nouveau celle de la
Grèce, leur permettant à chaque fois de s’en tirer dans
l’improvisation par des bouts de ficelle. Mais est-ce que cela va durer
longtemps ainsi ?
De
nouveaux rebondissements s’annoncent. L’Irlande veut
renégocier son propre plan, tandis qu’à force de scruter
la situation espagnole, on en est venu à mettre l’Italie dans le
même bateau et inscrire ensemble les deux pays sur la liste des
prétendants à un prochain sauvetage. Tout cela pourrait se
presser en même temps au portillon, balayant les dispositifs
péniblement mis au point par les gouvernements européens, qui
ne sont pas dimensionnés pour y faire face.
Un
discours prononcé le 15 juin à Francfort par Vitor Constâncio,
vice-président de la BCE, est passé inaperçu et
c’est bien dommage, car il donne la clé des tensions
structurelles et durables sur le marché obligataire. Présentant
le rapport semestriel de stabilité financière de la BCE, il a
évoqué les améliorations enregistrées et les
risques qui persistaient. Notamment « les
vulnérabilités du financement des banques,
l’évolution des prix de l’immobilier, la perspective
d’une hausse inattendue et soudaine, déterminée par le
marché, des taux d’intérêt à long
terme », ainsi que les flots de capitaux qui se dirigent
actuellement vers les pays émergents.
Pour
en venir au financement des banques, « talon d’achille »
de beaucoup d’entre elles, il a rappelé que 30 % des
crédits des banques de la zone euro devaient être refinancés
en 2011 et 2012. « Un défi pour les banques à
l’accès détérioré aux
marchés », a-t-il expliqué, le coût de ce
refinancement risquant d’être très volatil
(d’augmenter) en raison des besoins de financement des gouvernements
avec lesquels elles vont entrer en compétition.
Pour
diminuer ces tensions, il est donc nécessaire que les États
fassent moins appel au marché en réduisant leur déficit
; voilà le fond du problème, et rien d’autre.
Autre
aspect de la situation, que la Grèce a mis en évidence,
bénéficier d’un plan de sauvetage est une chose,
en sortir ensuite à son terme pour revenir sur le marché en est
une autre, proprement inconcevable dans le contexte actuel. Quelle autre
conclusion peut-il en être tiré, si ce n’est que le
marché se met dans ce cas hors jeu mais
que les États ne savent comment s’y substituer, bien que
condamnés à persévérer ? Encore un paradoxe de
plus sur la longue liste qui ne fait que s’allonger. On tente
d’imposer la poursuite du « moins
d’État » dans la conduite de l’économie,
au prétexte de faire des économies, et celui-ci joue dans les
faits un rôle grandissant et même majeur dans le maintien et la
stabilité du système financier. Cherchez l’erreur.
Pendant
ce temps, les plans d’austérité s’accumulent pays
après pays, laissant fort peu d’espace à la croissance de
l’économie et des recettes fiscales des États, rendant le
pari tenté illusoire. Dernière en date, l’Italie vient
d’adopter pour les années 2013 et 2014 un nouveau plan
d’austérité de 43 milliards d’euros, après
le précédent de 25 milliards d’euros en cours pour 2011
et 2012. Réduction des retraites, des dépenses de santé,
prolongation du gel des salaires et des embauches dans la fonction publique
sont au menu, accompagnées d’une baisse
de l’impôt sur le revenu et d’une hausse des taxes sur les
revenus financiers.
Une
telle situation est porteuse de l’implosion du dispositif mis en place,
qui vise à refinancer sur fonds publics la dette privée, afin
d’assurer que son remboursement soit garanti. Progressivement, le fonds
de stabilité financière aujourd’hui, et le MES à
partir de 2013 – si le Bundestag allemand donne son feu vert à
l’automne – sont de plus en plus mis à contribution. Des
voix s’élèvent déjà pour réclamer
que leurs enveloppes financières soient à nouveau augmentées.
Mais c’est une fausse solution.
Elle
revient en effet à faire financer – ou garantir – la dette
privée des pays entrant dans la zone des tempêtes par ceux qui
bénéficient de bonnes conditions de marché. Les
investisseurs se tournant vers leurs émissions au détriment de
celles des autres, ceci explique cela. Un nombre de plus en plus restreint de
pays va donc soutenir financièrement un nombre de plus en plus grand
d’autres pays qui ne peuvent plus accéder au marché.
Jusqu’où et jusqu’à quand ce mécanisme
va-t-il pouvoir fonctionner ? Les marchés savent faire les
comptes… Un nouvel échafaudage de dettes est en train
d’être construit pour consolider le précédent qui
vacille, cette brillante construction tiendra-t-elle le choc ?
Refuser
de prendre le problème à bras le corps, le saucissonner et
l’étaler, toute cette cuisine mitonnée dans les cabinets
ministériels faute de mieux risque fort d’aboutir à ce
que soit présentée demain une addition encore plus lourde
à payer qu’elle ne l’est aujourd’hui.
L’émission d’euro-obligations, la restructuration
ordonnée de la dette publique et le refinancement des institutions
financières privées qui en découlerait ont
été écartés comme autant d’horreurs, mais
il va falloir tôt ou tard en assumer les conséquences
imprévisibles.
Ce
ne sont pas seulement les États-Unis qui sont entrés dans ce
qui est là-bas appelé la zone dangereuse, celle qui
précède les échéances fatidiques. Car le
déplafonnement de la dette par le Congrès est toujours
bloqué par les républicains. La simultanéité des
deux crises, assortie de la poursuite de celle que connaît le Japon et
qui a été accentuée par la catastrophe qu’il vient
de subir, fait entrer toute l’économie occidentale dans la deuxième
phase de la crise financière. Ce n’est plus la bulle de la dette
privée qui éclate, c’est celle de la dette publique
– sur qui les efforts ont été reportés –
dont le financement est en panne.
Moody’s
vient de prévenir qu’une diminution de la note de la dette
souveraine américaine aurait un effet domino important. Ce seraient
les notes des États eux-mêmes, de Fannie Mae et Freddie Mac qui
seraient également affectées, ainsi que Federal
Home Loan Banks et Federal
Farm Credit Banks.
L’Europe n’a pas l’exclusivité de cet effet, qui
serait tout aussi redoutable aux États-Unis.
L’interrogation
ne porte pas sur la possibilité de trouver ou non, à la
dernière minute, des pis-aller permettant à nouveau de gagner
du temps. Encore que cela ne soit pas garanti, comme affectent de le croire
ceux qui se réfèrent aux épisodes
précédents pour en tirer la conclusion que tout
s’arrangera. Elle porte sur la nature des expédients qui doivent
être improvisés, ainsi que sur leur fragilité. A force
d’être tendues, les cordes se cassent.
Nous
sommes en train d’assister au début de l’acte II de la
crise. Après la chute libre du système financier
rattrapé du bout des doigts, voici venu le moment du blocage de la
finance publique, chroniquement malade pour avoir assisté et
payé les faux frais du premier. Prêteur en dernier ressort,
l’État n’a personne auprès de qui il peut se
retourner, à l’exception des contribuables. Est-ce bien
raisonnable ?
Les
banques centrales passent quant à elles la main,
dépassées par les événements et dépourvues
de leviers efficaces. La Fed laisse l’État américain
orphelin de ses achats obligataires, qu’elle ne renouvelle pas dans
l’immédiat. La Banque d’Angleterre fait du surplace, prise
entre les impératifs contradictoires de la lutte contre
l’inflation et le soutien d’une économie frisant la
stagflation, la Banque du Japon continue de soutenir via l’État
l’économie du pays, atteinte dans ses œuvres, enfin, la BCE
joue les matamores tout en mettant également les pouces,
effrayée par ses propres audaces.
Il
faut s’arrêter un instant sur la situation de cette dernière,
placée devant le choix de continuer ou non à soutenir les
banques grecques, et par ricochet les banques européennes, en
acceptant comme collatéral pour ses prêts la dette souveraine du
pays après restructuration. L’IIF s’y est mise pour
inciter la BCE à poursuivre ce qu’elle a engagé et de
s’impliquer encore plus dans la politique fiscale des États, qui
n’est pas de son ressort, mettant en cause son indépendance
et détruisant par là même sa crédibilité
auprès des marchés… Décidément, tout fout
le camp !
La
crise s’étend au marché obligataire souverain, l’un
des deux piliers – avec le dollar – sur lequel repose le
système financier. Ce dernier résiste encore, les investisseurs
se tournant vers lui comme un dernier refuge, on devrait dire comme si
c’était un expédient de plus. Pour combien de temps ?
Quand il craquera, rien ne résistera.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
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