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L'affaire
Madoff et l'incapacité de la SEC à mettre fin à cette
escroquerie record illustre le perpétuel retard d'une guerre du
régulateur public face aux mauvais agissements des escrocs en col
blanc. Et remet en question l'affirmation selon laquelle plus de
régulation par l'état est la solution aux maux de la finance
actuelle.
Markopolos, l'homme qui avait deviné Madoff
L'analyste financier Harry Markopolos avait senti, sur la foi de nombreux
chiffres non concordants et autres signes probants, que le fond
spéculatif géré par Bernard Madoff était
basé sur un schéma de Ponzi. Le pire est que l'arnaque
n'était que modérément sophistiquée.
Markopolos a tenté d'alerter la SEC dès 2001. Il raconte toute
l'histoire dans un ouvrage dont quelques extraits sont lisibles gratuitement.
Et surtout, il met en ligne son passionnant témoignage devant le
congrès, dont tout fan de trading devrait tirer profit, car il expose
quelques modèles d'exposition aux risques utilisés par les
professionnels de façon très accessible.
La
SEC, aveugle et sourde
La SEC a d'abord ignoré Markopolos, car les modèles que celui
ci utilisait pour décrypter la fraude ne correspondaient pas aux
leurs. Au cours de ses 7 années d'investigations sur la Fraude Madoff,
Markopolos a découvert que la SEC opérait à partir de
modèles financiers et de listes de points de contrôles
totalement dépassés.
La plupart des juristes de la SEC n'ont pas une expérience probante de
l'industrie financière et de la façon dont les produits
financiers modernes fonctionnent. Pire même, la SEC n'a pas
écouté Ed Mannion, un de ses seuls membres avec une
expérience du trading qui avait, lui, compris les raisonnements de
Markopolos, et avait tenté de les relayer à ses
supérieurs. Quand la SEC a enquêté sur Markopolos suite
à sa plainte, ils ont juste découvert un problème
d'immatriculation incorrecte au titre du conseil financier, ce que Maddoff
s'est empressé de corriger, ce qui a satisfait la SEC.
Les listes réglementaires de la SEC ont été
établies à partir des fraudes découvertes par le
passé. Mais les meilleurs escrocs, donc les plus dangereux, sauront
toujours trouver de nouvelles tactiques de dissimulation de leurs fraudes.
On ne chasse pas les renards avec des poules
La dernière partie pointe tous les disfonctionnements
découverts dans le fonctionnement de la SEC : recrutements de
"fonds de tiroir" (le privé paie mieux), absence de bonne
politique de formation, management des RH dépassé, aucune
rémunération variable en fonction des résultats,
méthodes de travail correspondant aux pratiques financières des
années 70. "On ne chasse pas les renards avec des poules de
batterie".
Mais surtout, la SEC ne peut pas se contenter de chasser les Madoff en se
fondant seulement sur la réglementation des produits financiers. Le
législateur est toujours en retard d'un train, et dès qu'une loi
sort, les renards étudient la façon de la contourner. Selon
Markopolos, la SEC doit se concentrer sur l'éthique des agissements
des fonds -en clair, un comportement est il honnête ou malhonnête
vis à vis des investisseurs- et non sur la lettre de la loi. Je suis
content de voir qu'un professionnel comme Markopolos adopte une position
somme toute peu éloignée de celle que j'ai défendue : la
loi doit juste rappeler ce qu'est l'éthique, favoriser la
transparence, mais pas rechercher la description exhaustive de ce qui est
permis ou pas.
Privatiser la chasse aux fraudeurs ?
La SEC a failli empêcher une fraude que des spécialistes
privés opérant bénévolement sur leur temps libre
avaient repéré et lui avait amenée sur un plateau.
Madoff est tombé fin 2008 parce que trop de gestionnaires de fonds ont
cru pouvoir retirer leur placement "miraculeux" chez Madoff pour
combler des pertes abyssales apparues par ailleurs, ce qui a entrainé
l'écroulement de la pyramide de Ponzi qu'il avait montée. La
SEC n'est absolument pour rien dans sa chute. Pas plus qu'elle n'avait
détecté des scandales tels qu'Enron.
Markopolos estime que la mission de chasse aux fraudeurs de la SEC est trop
importante pour se payer le luxe de continuer à la laisser
échouer lamentablement, et il propose des pistes de réforme
intéressantes pour cette institution au rôle essentiel. La seule
"faiblesse" de Markopolos est de ne pas aller jusqu'au bout de sa
logique, et de ne pas proposer une privatisation pure et simple de la SEC,
dont le travail d'enquête pourrait être confié à
des firmes privées spécialisées payées aux
résultats, le public conservant seulement la maîtrise d'ouvrage
des enquêtes et la charge de porter les affaires devant les tribunaux.
L'efficacité du travail de détection des fraudes et de
recouvrement des sommes volées s'en trouverait décuplée.
Vincent
Bénard
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