En 2015, Paris a chèrement payé son statut de capitale par deux attentats sanglants. Toute la ville s’est donc mobilisée pour combattre les terroristes, tous les terroristes, des plus veules aux plus terribles. Pour ceux qui tuent des gens, la réponse n’aura pas tardé à se faire entendre, ferme et déterminée : ils seront âprement combattus avec des arbres, courageusement plantés par paquet de 28, à la Cité Internationale Universitaire dans le XIVème. Daech n’a qu’à bien se tenir.
Pour les autres terroristes, il ne sera pas plus question de rire. Point de clémence, aucune échappatoire, l’État va minutieusement s’occuper d’eux.
Par exemple, ces terroristes qui louent leur appartement en douce et sans avertir la Mairie ou les services fiscaux et créent donc un abominable manque-à-gagner pour l’État, ceux-là seront soumis à un autre régime : pour eux, pas de pitié ni d’arbres, pas de plante en pot ni même de petit cactus rigolo. La Mairie de Paris va utiliser la pression sociale et les bombes thermobariques de moraline concentrée pour déclencher « un choc de conscience de civisme ».
L’idée est bien sûr très simple et son timing diabolique (juste après les commémorations du 8 mai 1945) ne rappelle absolument pas les heures les plus guillerettes de notre Histoire puisqu’il s’agit d’inciter les propriétaires à déclarer à la Mairie les appartements qu’ils entendent louer à des touristes pendant l’année, la motivation provenant directement de la publication, sur le site Open Data Paris, de la liste des appartements déjà déclarés et donc conformes.
Oh, il ne s’agit pas ici de récompenser les propriétaires d’avoir fait toutes les démarches imposées et d’avoir religieusement payé les taxes et autres mises aux normes que la Mairie impose au passage. Non, ici, l’idée est avant tout de publier la liste de ceux qui sont en règles pour laisser toute latitude de délation aux voisins de ceux qui ne le sont pas. D’ailleurs, Mathias Vicherat, directeur de cabinet de la maire de Paris, ne s’en cache même pas, en déclarant
« D’une certaine manière, cela peut exercer une pression, notamment via le syndic, où les voisins vont demander des comptes en demandant pourquoi cette personne qui n’a pas procédé à l’opération de mise en conformité continue à louer son logement. »
Autrement dit, la Mairie pousse les voisins d’un propriétaire qui ne se serait pas déclaré à le faire rapidement, afin d’éviter la rétorsion qui pourrait s’abattre sur lui… Et qui peut se monter, lorsqu’on loue son logement plus de quatre mois par an à des touristes sans le déclarer aux autorités, à une amende de 25.000 euros. Mais, comme l’explique Vicherat, il ne s’agit pas de délation même si un e-mail a été créé pour signaler les loueurs sur Airbnb non présents sur la liste et ainsi mieux cibler les contrôles, mieux diriger l’équipe de 25 inspecteurs de la ville de Paris chargés de mener des descentesopérations de contrôle de locations entre particuliers dans la capitale.
Rassurez-vous cependant : nous sommes ici en présence d’une mairie qui appartient de façon tout à fait officielle au Camp du Bien et qui ne peut donc pas faire de faux-pas en la matière, et heureusement : imaginez que la même initiative soit venue d’un membre des Républicains ou, pire encore, soit mise en place dans une de ces municipalités tombées dans l’abomination d’une occupation frontiste, et toute la presse conscientisée se serait levée comme un seul organe gorgé de sang impur qui abreuve nos sillons pour dénoncer l’infamie tagada tsoin tsoin.
Dès lors, chaque petit soldat du Camp du Bien saura trouver les mots appropriés pour justifier la manœuvre. Emmanuelle Cosse, pas assez occupée par les frasques de son mari, trouve même le temps de twitter sur le sujet :
Eh oui, m’ame Cosse, z’avez bien raison de lutter contre la jungle métaphorique des propriétaires qui font ce qu’ils veulent avec leurs biens, même si on vous attend toujours sur la jungle pas métaphorique de Calais de pas-propriétaires qui font ce qu’ils veulent avec la République.
Malgré tout, on ne pourra s’empêcher de noter que cette nouveauté répond à une tendance générale de lutte, ouverte et acharnée, contre le développement de cette fameuse économie collaborative ou, disons, de cette économie de la désintermédiation dans laquelle les uns négocient directement des biens, des produits, des services ou des facilités à d’autres sans plus passer par des sociétés enregistrées, ayant pignon sur rue, compte bancaire déclaré, KBis proprement enregistré et petite ligne comptable ouverte dans les services fiscaux.
La Mairie de Paris n’en est pas à son coup d’essai en matière de répression des loueurs AirBnB. Si, bien sûr, en façade, la maire Hidalgo prétend vouloir favoriser le commerce, le tourisme, les nouvelles technologies et l’adaptation de Paris à une société moderne résolument ancrée dans le XXIème siècle, la réalité pragmatique et tangible est toute autre puisqu’elle n’a cessé de faire la guerre ouverte à ce service et ses autres avatars, pour mieux contenter les corporatismes (hôteliers dans ce cas).
Et en plus, ça tombe bien : lutter ainsi contre ces nouvelles formes de commerce permet de se livrer à une nouvelle passe d’arme idéologique de guéguerre puérile (mais efficace) contre le capitalisme et, de façon générale, contre la jouissance de sa propriété ; il ne manquerait plus que les citoyens en viennent à trouver, par eux-mêmes, de nouvelles formes de revenu en se dispensant des services de l’État !
De surcroît, l’apparition d’un « permis de louer » rentre tout à fait dans ce cadre où si l’Etat n’a pas expressément permis une action, elle doit être défendue, interdite et en tout cas, certainement pas laissée à l’initiative des citoyens qui ne sont pas des adultes responsables, tout le monde sait ça.
… Sauf pour payer les taxes, bien évidemment. Et c’est là qu’on comprend que tous ces mécanismes n’ont qu’un seul but : faire rentrer de l’argent dans des caisses municipales exsangues, les déficits abyssaux s’accumulant de façon inquiétante, et ce, d’autant plus que les méchantes firmes capitalistes ne sont pas toujours coopératives pour se faire tondre.
Quand l’argent gratuit des autres commence à manquer et quand, de surcroît, les système de surveillance ne fonctionnent pas assez bien au goût des institutions étatiques, il faut bien trouver sa manne ailleurs et cela peut consister à en revenir à des méthodes certes utilisées pendant des régimes maintenant conspués mais qui ont démontré leur efficacité.
Décidément, l’héritage vichyste fut riche : outre un président au bilan catastrophique et une Sécurité sociale que le monde nous envie, il nous aura fourni une belle la carte d’identité pour tous nous ficher et de beaux systèmes de délation pour éviter de sombrer dans l’ornière du profit capitaliste.