Jacques Chirac, maire emblématique de Paris, avait coutume de dire que les emmerdes volent généralement en escadrille. Peut-être est-ce une caractéristique de la politique française, ou peut-être est-ce plus spécifique à la fonction qu’il a occupée ? En tout cas, Anne Hidalgo, maintenant à la même place, pourra pour une fois se targuer de savoir exactement de quoi elle parle si elle vient à évoquer cet aphorisme de l’ancien président de la République : pour elle, comme pour lui jadis, les emmerdes volent actuellement en escadrille.
Ainsi, pour illustrer, je pourrais comme en janvier dernier assez facilement revenir en détail sur les déboires de la mairie de Paris lors du passage de témoin entre la régie Decaux, par avant responsable de la gestion des maintenant célèbres Vélib, et la nouvelle société Smovengo dont les performances se sont surtout traduites par une bonne grosse déception que pas mal de Parisiens se sont empressés de relayer.
Si la plupart des problèmes de la nouvelle régie sont bel et bien dus à une inadéquation maintenant flagrante entre la taille de la start-up et le défi qu’il fallait relever, la désignation d’icelle suite à l’appel d’offre au moment du renouvellement de la concession est malgré tout du ressort de la Maire et de son équipe. On peut tortiller les choses comme on veut, mais c’est bel et bien un foirage complet de ce côté-là.
De ce point de vue, il est difficile de ne pas rapprocher les déboires des Vélibs de ceux des Autolibs, elles aussi propulsées avec l’exact même talent, et avec (coïncidence ? Je ne pense pas) les mêmes résultats catastrophiques, depuis un service effectif médiocre, des voitures peu accueillantes et pas assez nombreuses, difficiles à garer, pénibles à recharger et entretenir, jusqu’au bilan désastreux de l’opération qui laisse plus de 170 millions d’euros de déficit sur la table, comme je le relatais il y a un peu plus d’un an.
Entre ces montants (joufflus, on en conviendra) et les vigoureux hoquets de mise en marche des super-services bobo-compatibles qui provoquent surtout de l’urticaire, on pourrait croire que cela suffit amplement pour la besace de la pauvre Anne. Malheureusement, le mois qui vient de s’écouler aura permis de découvrir d’autres problèmes qui, ajoutés à ceux déjà rencontrés pour les Vélibs, finissent par former un tout très cohérent et remplissent à ras-bord ladite besace.
C’est ainsi qu’à côté du marché des Vélibs dont l’attribution à Smovengo montre un manque assez consternant de sérieux, on trouve celui de Streeteo dont la tenue générale laisse de plus en plus à désirer.
Pour situer un peu Streeteo, filiale d’Indigo (ex-Vinci Park), rappelons juste qu’il s’agit de la société qui a été récemment mandatée pour quadriller Paris et relever les infractions de stationnement automobile. En clair, il s’agit de ces voitures qui patrouillent pour enregistrer les plaques d’immatriculation des véhicules garés sur les côtés et qui s’assurent qu’ils sont correctement à jour de leur paiement horodaté. Il va sans dire qu’entre la mécanisation du relevé des infractions et la hausse stratosphérique de la sanction lorsque le parcmètre n’a pas été payé, les automobilistes ont déjà nettement senti l’impact de ce nouveau marché passé entre la ville de Paris et Streeteo.
Cependant, Streeteo accumule les grosses boulettes.
On se souvient en effet qu’au début du mois de janvier, on découvrait que cette société avait été quelque peu laxiste (pour le dire gentiment) dans l’attribution de ses contrats de travail puisqu’à deux reprises, la société s’est fait pincer pour avoir embauché des agents verbalisateurs conduisant sous l’emprise de la drogue, et dont au moins l’un des deux n’avait plus le permis depuis plusieurs semaines. Comme quoi, on peut rester actif même après un bon joint.
Cela partait fort mal pour Streeteo… Qui n’a pas su se tenir à carreau puisqu’on apprend, selon le Canard Enchaîné, qu’en plus d’embaucher des personnes à la probité contrariée, elle a sciemment encouragé ses salariés à gonfler ses performances : elle aurait procédé depuis des semaines à des inspections fictives dans certaines rues où elle est censée contrôler le stationnement, à hauteur de la moitié des 50.000 contrôles que la société s’est engagé contractuellement à réaliser quotidiennement.
Ainsi, plutôt que circuler effectivement dans les rues pour enregistrer des plaques d’immatriculation de voitures réellement garées, la société a réutilisé des milliers de numéros déjà en base de données. Ne pouvant les verbaliser et risquer de dévoiler la supercherie, Streeteo leur attribuait alors arbitrairement un motif de non verbalisation parmi ceux possibles, dont, notamment « Personne à mobilité réduite ».
Il semble que les préposés au bourrage compulsif de base de données aient eu la main un peu trop leste sur ce dernier motif : la Mairie s’est retrouvée avec un nombre anormalement élevé (4000 par jour) de personnes à mobilité réduite stationnant dans ses rues…
Oh, zut, voilà qu’Anne et son équipe ont encore une fois tiré le mauvais cheval. Ce n’est vraiment pas de chance !
Pour rire un bon coup, on pourrait aussi parler de l’aventure rocambolesque des voies sur berge.
Fermées par la même fine équipe pour diminuer la pollution parisienne, il semble pourtant que la décision refuse de se traduire dans la réalité avec une baisse des méchantes particules fines. Pire : tout indique que les embouteillages, directement provoqués par ces fermetures et la gestion toujours aussi consternante du trafic par les autorités de la capitale, entraînent des pics de pollution que la Maire prétendaient vouloir éviter.
Caramba, encore raté !
Bien évidemment, nous avons avec Anne Hidalgo une véritable athlète de l’Epic Fail puisqu’à la suite de la fermeture de ces voies et de l’augmentation afférente de la pollution, la justice s’est à son tour prononcé … contre cette fermeture : essentiellement, l’arrêté pris par la Mairie de Paris ne l’a pas été dans les formes et l’étude d’impact a été minimisée.
Encore une belle performance de l’équipe en place, n’est-ce pas ?
Oui, décidément, il y a bien comme un motif qui se dessine de ces gribouillis parisiens de la Mairie dirigée par Anne Hidalgo, celui d’une incompétence assez phénoménale à mener la ville dans une direction solide et saine, à le faire dans les règles de l’art et à manœuvrer autrement que droit dans le mur.
D’ailleurs, le résultat de ces errements lamentables ne se fait pas attendre et se traduit de deux façons.
D’une part, les dettes de la Ville continuent de s’empiler de façon tout à fait symptomatique. Alors qu’il devient relativement urgent de redresser les finances de la ville pour éviter d’écraser les Parisiens sous les taxes et les impôts, la Maire semble bien plus se préoccuper de festivités avec un bonheur assez inégal (selon qu’on parle des Jeux Olympiques ou de l’Exposition Universelle). Dès lors, on comprend qu’il faudra présenter ces dettes avec cette décontraction si caractéristique des gens qui les créent et ne sont jamais là pour les rembourser.
D’autre part, ces épisodes affligeants de médiocrité remettent en cause de façon croissante et rapide la future candidature d’Anne Hidalgo à sa propre succession, sans même parler de toute velléité pour elle de détenir un futur mandat électif, quel qu’il soit. Sur le plan politique, il va devenir de plus en plus difficile de faire croire qu’elle peut encore apporter quelque chose de positif aux Parisiens alors qu’elle sème les taxes, ponctions et autres vexations automobiles depuis son arrivée au pouvoir.
Cette accumulation de nuages noirs explique sans doute son changement d’attitude vis-à-vis du président Macron.
Elle était jusqu’à présent fermement décidée à lui rentrer dans le lard, mais elle a cruellement manqué de finesse intellectuelle et de munitions politiques pour le faire notamment lors de sa campagne de communication ratée en marge d’un Parti Socialiste agonisant, d’autant que parallèlement ses projets municipaux se transforment assez systématiquement en jus de boudin.
Bref, la voilà acculée à devoir changer drastiquement son fusil d’épaule et à tenter de se rapprocher de Macron et d’En Marche pour s’éviter un départ en retraite un peu anticipée. Si elle mène ce nouveau projet comme elle a mené le reste jusqu’à présent, on peut prévoir une gamelle retentissante et, à tout dire, assez méritée.
En tout cas, comme je le disais en introduction, pour Anne Hidalgo, les emmerdes volent en espadrilles, parce qu’elle s’est encore trompé.