C’est un secret de polichinelle, nos sociétés modernes sont
surendettées, quelle que soit la strate. De l’État aux entreprises en passant
par les individus, nous avons accumulé trop de dettes. L’inflation pourrait
résoudre ce problème, mais une autre option est sur la table : l’annulation
pure et simple des dettes. Est-ce envisageable ?
Un papier très intéressant de Michael Hudson et de Charles Goodhart, de
l’université de Missouri, a étudié la question (source), notamment du point de vue historique de la
faisabilité aujourd’hui.
Histoire de l’annulation de la dette, une pratique qui remonte à
l’Antiquité
Premier fait intéressant, l’étude nous apprend que l’annulation de la
dette est une pratique courante que l’on peut retracer historiquement dès
l’apparition de l’écriture dans les civilisations mésopotamiennes. Si,
aujourd’hui, cette idée fait bondir de nombreux économistes, cette pratique
est bien connue des assyriologues. Il existe des mentions de telles
annulations dès la moitié du 3e millénaire avant J.-C.
C’était même une pratique très courante après une guerre ou la
construction d’un édifice très coûteux. L’opération consistait principalement
en l’annulation des dettes agraires. Les paysans, donc le peuple,
récupéraient les droits sur leurs récoltes, qui avaient été mises en garantie
pour obtenir un crédit.
Ces annulations régulières de la dette empêchaient notamment les
accumulations abusives de fortune par les riches prêteurs. L’objectif, pour
les rois qui les proclamaient, était de maintenir la paix sociale, mais
surtout la prospérité économique.
L’annulation de la dette dans l’histoire contemporaine
La dernière annulation de la dette à grande échelle de l’histoire
contemporaine remonte à 1948, en Allemagne. Seules les dettes des entreprises
furent maintenues (voir notre article sur l’heure zéro). S’en est suivi, après, le miracle
économique allemand.
Pourquoi les annulations de dettes se raréfient avec le temps
Au cours de l’histoire, les créditeurs, donc les riches, ont toujours
tenté de renverser les pouvoirs de type monarchique. Ce faisant, il devenait
possible de saisir les biens des débiteurs qui ne payaient pas, et la
création d’une oligarchie. Plutarque et d’autres historiens romains
attribuent la chute de Rome à cette volonté de vampiriser la population via
le crédit.
Pourquoi ce serait compliqué aujourd’hui
Annuler la dette aujourd’hui serait pourtant beaucoup plus compliqué en
raison des changements qui ont modifié la nature même des créditeurs.
Auparavant, c’est surtout celui qui accordait l’annulation de la dette qui
encaissait le plus gros des pertes, à savoir le roi, car la dette concernait
surtout des impôts impayés. Aujourd’hui, l’immense majorité de la dette est émise
par des institutions financières, alors que le pouvoir est un débiteur au
lieu d’être créditeur. De plus, les annulations de la dette qui remontent à
l’Antiquité avaient pour objectif de permettre à des gens qui sont productifs
de continuer à subsister. Aujourd’hui, alors que de plus en plus de salariés
sont rendus redondants par les progrès technologiques, la donne est
différente. Les auteurs donnent néanmoins des pistes, comme l’annulation
sélective de certains crédits, tels que les prêts étudiants.