Grâce au Droit Au Logement Opposable (DALO), la France peut s’enorgueillir d’avoir trouvé une solution élégante et efficace à un problème grave et lancinant. Depuis qu’elle est en place, il n’y a plus de vagabonds, les Sans Domiciles Fixes ont disparu et les problèmes de logement ont tous disparus… Ou pas du tout.
Le DALO, simple et pas cher ?
En fait, un article de La Croix nous apprend que « Depuis 2008, l’État a été condamné 25 000 fois pour ne pas avoir relogé des ménages dans les temps impartis ». Zut. Finalement, le Droit Au Logement, ce n’est pas si simple… Et c’est aussi coûteux : suite à ces condamnations, 25 millions d’euros d’astreinte ont été versées en 2013 et 19,2 millions en 2014. Si le montant des astreintes a diminué ce n’est pas parce qu’il y a eu moins de condamnation mais c’est parce que les modalités d’accès au DALO ont été durcies. Au lieu d’être versées aux plaignants, elles étaient versées, par un tour de passe-passe dont l’État a le secret sur le « Fonds national d’accompagnement vers et dans le logement » (le FNAVDL). En gros l’État se verse plus ou moins à lui-même les astreintes au paiement desquelles il a été condamné.
Ça ne pouvait pas durer. En avril 2015, la Cour européenne précise que le versement des astreintes à ce fonds est contraire aux dispositions du droit au logement opposable et ordonne le versement d’astreintes renforcées au plaignant. Le dernier rapport remis au ministre du logement début 2016 faisait état de 60.000 ménages en attente de relogement et donc autant de condamnations possibles de l’Etat avec obligation de verser ces astreintes dans les poches « mal logés »…
Les poches du contribuable, elles, peuvent trembler.
Comment en est-on arrivé à cette situation ?
En mai 1990, 48 familles sont expulsées et se retrouvent dans des tentes place de la Réunion. La France se mobilise pour les aider, et les politiciens derrière elle, ce qui aboutira, en octobre 1990, à la création de l’association du Droit au logement (DAL). Elle occupe le devant de la scène médiatique tant par les opérations qu’elle mène que par les soutiens qu’elle a (artistes, politiques, Abbé Pierre) et agit de concert avec d’autres associations comme les Enfants de Don Quichotte.
Du côté des politiciens, Jospin, alors premier Ministre de Mitterrand pendant son second mandat, fait adopter plusieurs lois en faveur des défavorisés du logement : le 29 juillet 1998, les expulsions locatives sans autorisation du préfet sont interdites et en décembre 2000, la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) fixe un quota de logements sociaux à 20% par ville.
En 2005, d’avril à août, des incendies éclatent dans des immeubles abritant des mal logés. Profitant de l’occasion, Christine Boutin propose une loi en faveur du logement des défavorisés qui sera retoquée tout comme le projet de loi DALO proposé par les parlementaires socialistes, un an plus tard le 11 avril 2006. Fin 2006, les Enfants de Don Quichotte s’emparent du sujet et lancent une action médiatique peu commune sur le territoire national. Les berges du canal Saint Martin à Paris sont ainsi recouvertes de tente.
La pression est si grande que Jacques Chirac, alors dans son second mandat, indique lors de ses vœux du 31 décembre qu’il va faire adopter une loi instituant le droit au logement opposable avant la fin de son mandat. Le 5 mars 2007, c’est chose faite.
La loi s’appliquera d’abord en 2008 aux personnes aux situations les plus difficiles puis en 2012 s’étendra à toutes les personnes éligibles aux logements sociaux. Et c’est donc dès 2008, le 20 mai, que le tribunal administratif de Paris reconnaîtra le droit opposable au logement (DALO) au bénéfice d’une famille mal logée qui contestait le rejet de son dossier par la préfecture.
Des effets … désastreux
En définitive, les politiciens ont cru résoudre les problèmes de logement avec ce DALO, mais les lois ne fabriquant pas de logements, il n’en a évidemment rien été. Pire, depuis, on a accumulé les condamnations pour non respect de ce nouveau droit … Ainsi que pour non respect du droit de propriété http://www.juritravail.com/Actualite/procedure-civile/Id/78191 .
Eh oui, on l’oublie un peu, mais le droit de propriété est un droit constitutionnel, et le DALO n’a rien retiré de la valeur de celui de propriété. Ce dernier est également un droit défendu par la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose que :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. » (art. 1)
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. » (art.6-1)
L’État doit alors résoudre un curieux paradoxe : s’il expulse, il est condamné parce qu’il ne peut pas reloger et s’il n’expulse pas, il est aussi condamné pour non-respect du droit de propriété.
La loi crée un problème ? Créons une nouvelle loi !
En 2011, on compte 13.000 expulsions de locataires par la force publique et 155.000 procédures engagées pour obtenir l’expulsion des locataires… Et donc autant de locataires potentiellement bénéficiaires du DALO puisque la majorité de ces expulsions sont demandées pour impayées.
Du point de vue de l’État, il est alors politiquement plus simple d’éviter les condamnations au titre du droit de propriété qu’au titre du DALO. Par exemple, les politiciens ont la possibilité de multiplier les logements sociaux et peu importe s’ils sont bâtis n’importe comment. Une autre « solution » géniale consiste à appliquer un encadrement des loyers.
Enfin, on peut utiliser le levier des APL (aides personnelles au logement), qui permet d’inciter au maintien dans les lieux, en alourdissant les procédures d’expulsions, quitte à aider un peu les locataires à payer leur loyer.
Enfin, « un peu », c’est une façon de parler : cet APL, qui vise à aider les plus défavorisés à financer un logement, coûte environ 15 milliards d’euros par an aux contribuables et est versé à plus de 6,5 millions de personne. Pour ce prix, on s’attendrait à des effets positifs. Malheureusement, il n’en est rien.
Jusqu’à présent, l’APL, versée au bailleur dans le cadre d’un tiers payant et versée par la caisse d’allocation familiale (CAF), impose en contrepartie au propriétaire de signaler tous les impayés.
Un décret qui change tout
Mais ça, c’était avant.
En effet, depuis le décret du 6 juin 2016 qui rentre en vigueur le premier septembre prochain, quelques dispositions des APL changent « un peu » la donne.
Tout d’abord, dans un tour de passe-passe qui semble curieusement ne choquer personne, ce décret transfère des compétences départementales publiques à des organismes payeurs. C’est donc la CAF qui va maintenant gérer les impayés… avec toute son efficacité légendaire.
Ensuite, la notion d’impayé est maintenant clairement définie par ce décret à deux échéances non payées.
En outre, le décret introduit une distinction entre les bénéficiaires « de bonne foi », qui peuvent éventuellement faire l’objet d’un plan d’apurement, et les autres. Charge aux autorités compétentes (lesquelles ? quand ? où) de savoir faire la distinction entre un locataire de bonne foi et les autres.
Enfin, comme expliqué plus haut, ce décret s’inscrit dans la prévention des expulsions… Tout en ajoutant une nouvelle brochette d’obligations et de sanctions au détriment du bailleur.
Ce dernier a par exemple une obligation d’information renforcée : il devra ainsi signaler tout impayé à l’organisme payeur, et ce dans un délai fixé à trois mois ou une dette équivalente à deux échéances, pour favoriser la mise en place rapide d’un plan d’apurement de la dette locative. Dans ce contexte, les bailleurs doivent être les premiers à signaler les situations d’impayés, en défaut de quoi, le bailleur peut être exposé à une pénalité d’un montant pouvant atteindre deux fois le plafond mensuel de la Sécurité Sociale (loi ALUR). Le décret n’a fait que préciser le délai.
Pour aider au maintien dans les lieux, les aides au logement (allocations de logement familiale ou sociale et APL) seront maintenues pour les allocataires de bonne foi qui ne sont pas en mesure de régler la part de la dépense restant à leur charge. Cependant, si l’allocataire ne parvient pas à se mettre à jour malgré tout et/ou que le propriétaire obtient un jugement d’expulsion, une protection accrue a été instaurée à tous les stades pour éviter cette expulsion.
Ainsi, c’est le préfet qui déterminera le seuil de déclenchement des commandements de payer.
Ainsi, si vous ne notifiez pas l’assignation aux fins d’expulser au Préfet, elle devient irrecevable.
Ainsi, l’huissier doit maintenant informer l’État et également le locataire à expulser qu’il lui est possible de saisir la commission de médiation en vue d’une demande de relogement au titre du DALO, et ce, même alors que cet huissier est payé et missionné par le propriétaire victime d’un mauvais payeur : la victime se retrouve à payer pour aider celui qui lui cause préjudice.
Ainsi, le délai de grâce passe de deux à trois ans pour tenir compte du délai de relogement dans le cadre du DALO. Dans ce cadre, le juge peut suspendre toutes les procédures d’exécution engagées par le créancier.
Ainsi, on a allongé la trêve hivernale y compris pour les occupants sans titre (squatteurs).
Ainsi, on a créé un nouveau délit pénal : si vous êtes propriétaire et que vous décidez d’expulser votre locataire sans respecter toutes les procédures, vous pourriez être condamné à 3 ans de prison et 30.000 € d’amende.
Encore un décret scélérat
On le voit : ce décret, passé en douce en ce début juin, alourdit encore un peu les contraintes qui pèsent sur le propriétaire. Dans les médias, on aura surtout retenu le maintien de l’APL comme garantie pour les bailleurs, oubliant que ceci est un moyen sûr d’empêcher les expulsions des mauvais payeurs, avec ou sans titre, et ce afin d’éviter les condamnations de l’État.
Les effets pervers de ces dispositions sont nombreux et ne manqueront pas de se dévoiler dans les mois à venir. Le plus évident sera qu’afin d’assurer sa tranquillité, un propriétaire lucide choisira maintenant des locataires aux revenus suffisants pour les exclure des APL. Ceci va inévitablement limiter encore plus l’accès au logement des plus défavorisés.