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de l’article précédent
Les
accusations faites à l’encontre de la démocratie valent
pour n’importe quel autre régime politique. Le manque de
représentativité, de participation, les guerres, l’endettement
public, l’abus du pouvoir sont tous des défauts inhérents
aux gouvernements et pas nécessairement à la façon dont
les membres du gouvernement sont choisis. Le problème politique
essentiel se trouve dans le rapport entre les libertés individuelles
et l’étendue des pouvoirs de l’État.
La
démocratie ne favorise pas nécessairement une plus grande
liberté individuelle. Elle a, en effet, servi de porte
d’entrée à la suppression de cette liberté. La
démocratie républicaine de la Rome antique et l’Allemagne
de Weimar en sont de bons exemples. Plus récemment, les essais
démocratiques dans les pays arabes ont permis à des politiciens
de tendance liberticide de prendre le pouvoir par voie démocratique.
À
l’inverse, un référendum en Suisse a arrêté
net les velléités de certains politiciens voulant imposer une
assurance maladie publique ou allonger de façon obligatoire la
durée des congés payés. Dans tous ces exemples, le
principe démocratique est le même. Les résultats sont
cependant différents.
Le
régime démocratique a permis l’instauration d’une
série de libertés en France lors de la révolution de
1789. Ce même régime démocratique a pourtant donné
naissance à la Terreur et à l’avènement de
l’impérialisme napoléonien. De façon similaire, la
démocratie a été la base de la consolidation des
libertés aux États-Unis, mais cette même
démocratie a permis depuis 1929 l’érosion des
libertés économiques et celle des libertés civiques, en
particulier depuis le 11 septembre 2001.
Ce paradoxe
provient de que qu’en promettant trop de droits aux citoyens,
l’État devient ouroboros,
le serpent qui se mord la queue. Pour garantir ces droits,
l’État doit prélever de plus en plus des ressources
auprès des citoyens. Ceci produit cette contradiction qu’en
voulant garantir des droits et certaines libertés, l’État
finit par les réduire.
Ce
phénomène vaut pour n’importe quel régime
politique. Il est cependant intrigant de le voir se produire dans une
démocratie supposée protéger les libertés
individuelles. Cela ne peut que signifier que les citoyens – dans leur
majorité - approuvent cette érosion des libertés. Ils ne
veulent sans doute pas perdre leurs
libertés mais ils approuvent d’une façon ou d’une
autre que d’autres en perdent. Reste qu’à partir du moment
où ils participent au jeu démocratique, ils prennent le risque
de se retrouver dans la
minorité (relative) perdante.
Le maintien
des libertés individuelles ne dépend pas de la
démocratie, mais des pratiques au sein de celle-ci. Les
libertés si souvent associées aux régimes démocratiques
sont la manifestation des pratiques institutionnalisées chez les
citoyens. C’est la pratique du respect de la propriété
privée et des échanges volontaires pour l’acquisition des
biens et services qui garantit le maintien des
principes de liberté.
C’est ce
qui explique que des régimes autoritaires se libéralisent sans
qu’aucune démocratie n’existe au préalable. Les
principes de libertés individuelles ne se maintiennent que parce que
les citoyens croient dans les gains que celles-ci peuvent apporter. La
démocratie n’y est pour rien. La liberté individuelle est
une question de pratique institutionnelle et non d’imposition
étatique.
La
démocratie n’est en fait qu’une conséquence de
cette pratique institutionnelle. Celle-ci donne naturellement naissance
à la démocratie car un système autoritaire – par
définition – fait taire immédiatement les libertés
individuelles. Le système démocratique – en donnant
à chaque citoyen accès aux décisions publiques –
résout un problème qui se pose dans l’exercice des
libertés individuelles. En effet, le développement des
échanges conduit à la création d’un système
complexe de copropriétés qui rend difficile la prise de
décision. Seule une structure hiérarchique permet de
résoudre la question et la démocratie peut garantir à
chaque copropriétaire d’émettre un vœu quant
à la composition de cette hiérarchie.
Néanmoins,
une démocratie continuera à garantir les libertés
individuelles si et seulement si les citoyens qui la
composent pratiquent majoritairement le respect à la
propriété privée. Dans ce cas, la démocratie
servira de rempart à toute tentative visant à nuire à
cette pratique. Si elle est
absente, il ne faut pas se faire d’illusion : la démocratie
ne servira pas à garantir les libertés individuelles, au
contraire.
Ceci permet de
comprendre pourquoi un État ne peut pas imposer une démocratie
stable. . Tant que la pratique institutionnelle des libertés
individuelles est absente ou limitée, la démocratie repose sur
des bases très fragiles. Il est plus facile à un gouvernement
autoritaire de favoriser la pratique institutionnelle des libertés
individuelles que pour lui d’instituer la démocratie.
C’est qui a été fait à un degré plus ou
moins grand au Brésil, au Chili et en Espagne pendant la transition
entre dictature et démocratie.
La situation
actuelle de l’Europe occidentale est aussi plus facile à
comprendre. Après plusieurs années de
« garantie » excessive de droits et libertés
financés par la dette, il est devenu évident que ces droits
étaient en réalité « garantis »
par la propriété d’autrui. Or, la pratique
institutionnelle de
l’assistanat est devenue si forte par rapport à la pratique de
la propriété privée que les citoyens utilisent
aujourd’hui la démocratie pour maintenir des institutions
défavorables aux libertés individuelles.
L’effritement
des libertés individuelles sous le coup des abus de
l’État et des citoyens explique aussi le scepticisme grandissant
d’un segment de plus en plus important de la population à
l’égard de la démocratie et son penchant de plus en plus
marqué pour une forme de gouvernement plus autoritaires.
Ce point a
été souligné par des auteurs comme Bertrand de Jouvenel
et Mancur Olson. Plus que
la liberté individuelle, les individus cherchent la
sécurité. La liberté sans sécurité est une
illusion car la pratique de la liberté est fondée sur la
propriété privée. Si cette dernière est
constamment menacée, la liberté ne peut pas vraiment
s’exercer. Quand la démocratie devient un vecteur
d’insécurité pour les citoyens, il est naturel que la
population estime qu’elle est un échec et qu’elle soit
attirée par un gouvernement autoritaire jugé seul capable de
réinstaurer la sécurité.
En conclusion,
la démocratie n’est pas un principe fondateur de la société.
Elle est une conséquence des pratiques institutionnelles des citoyens.
C’est seulement lorsque ceux-ci se sentent en sécurité du
fait du respect de leurs libertés individuelles et de la prospérité
économique que cela suscite, qu’une démocratie devient
éventuellement inévitable.
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