La justice française va bien. On peut même dire qu’elle pète la forme tout autant que le fond, qu’elle touche maintenant avec insistance et régularité. Et si les exemples ne manquent pas, je voudrais aujourd’hui vous en proposer un qui illustre assez bien la direction lamentable que prend cette institution avec une décontraction tout à fait à la mode.
Il y a quelques jours, on apprenait en effet, avec une stupéfaction largement amoindrie par des années de pratique de l’ajustice française, que le groupe américain Apple venait d’être débouté de sa demande d’interdire à ATTAC de pénétrer dans ses magasins français pour des actions militantes.
ATTAC, pour ceux qui ne suivraient pas toutes les minutieuses nuances de collectivisme qui gangrènent la France, c’est cette association d’altercomprenants naturellement citoyens forcément festifs qui promeut la réduction des inégalités économiques et sociales entre les peuples en se battant farouchement contre la mondialisation comme d’autres, aussi enfants, sont contre la méchanceté ou le temps qui passe trop vite.
Et c’est donc assez naturellement qu’on trouvera régulièrement quelques brochettes de ces militants à l’affûtage économique bâclé dans des opérations vitaminées de pourrissement de la vie d’autrui. Cette fois-ci, c’est Apple qui était désigné à leur courroux : pour nos adulescents tout remontés, il ne fait aucun doute que la marque à la pomme pratique massivement l’évasion fiscale. Jugeant que cela ne pouvait absolument pas se passer ainsi, ils ont donc débarqué, à une braillante centaine, dans son magasin proche de l’Opéra de Paris, prétextant que l’entrevue qui avait eu lieu deux jours plus tôt avec la direction d’Apple avait tourné au dialogue de sourds et justifiait donc amplement l’action militante musclée.
De son côté, la firme américaine, faisant valoir le « risque imminent pour Apple, ses employés et ses clients » que feraient courir les actions de l’association, avait assigné ATTAC en justice afin que soient préservés son droit de propriété privée dans le magasin, la sécurité de ses employés et, de façon générale, le bon état de la place en question.
On peut comprendre les commerçants : jadis, d’autres firmes (elles aussi américaines, ce qui n’est pas forcément une coïncidence), prises en grippe par l’une ou l’autre phalange d’activistes survitaminés aux relents collectivistes, avaient vu certaines de leurs boutiques consciencieusement saccagées pardon démontées dans cette ambiance à la fois décontractée et bon enfant qui caractérise les gauchistes lorsqu’ils savent avoir la justice de leur côté.
Et comme de juste, cette fois encore, la justice aura largement donné raison à ATTAC : nos petits activistes de supermarché pourront continuer à brailler dans les magasins Apple en profitant de cette délicieuse protection qu’offre une loi interprétée de façon fort commode. Pour le Tribunal de Grande Instance de Paris, il apparaît en effet que, je cite,
« La simple pénétration de militants dans l’enceinte du magasin Apple Store Opéra, ou dans d’autres magasins situés en France, sans violence, sans dégradation, et sans blocage de l’accès du magasin à la clientèle, ne suffit pas à caractériser un dommage imminent justifiant de limiter le droit à la liberté d’expression et à la liberté de manifestation »
Sur le plan de la jurisprudence, voilà qui offre des perspectives fort intéressantes : si l’on s’en tient au raisonnement fort permissif du tribunal, il va devenir délicat d’interdire des manifestations plus ou moins spontanées dans les lieux ouverts au public.
Je connais pas mal d’associations de contribuables qui, excédées des exactions de l’État, pourraient donc s’inviter à venir brailler dans les parties publiques des perceptions nationales par exemple. De la même façon, on attend exactement le même jugement favorable à toute centaine d’usagers mécontents qui viendraient à manifester dans une gare SNCF devant l’abyssale médiocrité des services fournis par la société nationale… On peut multiplier les exemples, mais il ne fait cependant aucun doute que, pour ceux-là, l’interprétation de la liberté d’expression ou de la liberté de manifestation sera – comme par hasard – fort en défaveur de ces associations, de ces usagers ou de ces contribuables.
Eh oui ! Il faut bien comprendre que s’il s’agit, pour un groupe de gauchistes, d’aller saboter le commerce d’une entreprise étrangère bénéficiaire, la justice française, très largement acquise à leur cause, saura faire durablement pencher sa balance en leur faveur. Si, en revanche, les revendications devaient se faire tout aussi virulentes et menées de la même façon mais envers un service de l’État ou une de ses entreprises nationales, le jugement sera subitement bien différent.
D’autre part, il ne faudrait pas passer trop vite sur le motif des exactions d’ATTAC : débarquant chez Apple, les militants réclamaient bruyamment que la firme américaine paye ses impôts. Outre l’absence évidente du respect de la propriété privée (même ouvert au public, un magasin reste bien une propriété privée), ces militants s’arrogeaient ainsi le droit de jouer aux agents du fisc, frôlant d’assez près ce qu’on peut définir comme de l’extorsion, c’est-à-dire le fait d’obtenir (entre autres) la remise de fonds par la violence, menace de violences ou la contrainte.
Voilà qui ne manque pas de sel puisqu’une telle attitude montre, s’il était besoin, le rapport étroit et quasi-amoureux que ces militants et cette association entretiennent avec l’argent des autres, la violence et la contrainte (ou la menace d’icelles). C’est quasiment revendiqué puisque, comme le dit Raphaël Pradeau, le porte-parlote d’ATTAC, avec une mauvaise foi que seule explique la cupidité :
« Le tribunal reconnaît la légitimité de nos actions et va jusqu’à dire que nous sommes d’intérêt général et que nous sommes en droit de mener ces actions, même s’il ne se prononce bien entendu pas sur le sujet de fond. »
Tout comme il est bien entendu que lorsqu’il faudra « aller chercher l’argent où il est » (selon le mantra communiste qu’on sifflote régulièrement de Caracas à Pyongyang en passant par Moscou ou la Havane à la belle époque), nos ardents petits militants seront les premiers debouts, dans les premiers rangs. C’est aussi ça, la soumission servile aux desiderata fiscaux de l’État.
Cette histoire démontre encore à qui pouvait en douter le biais flagrant de la justice française en faveur des thèses les plus ouvertement collectivistes. S’il vous prenait la fantaisie de vouloir faire justice vous-même, en montant une association et en débarquant quelque part en braillant, il n’y a aucun doute que cette même justice vous tomberait dessus à bras raccourcis. Si, en revanche, vous prétendez le faire pour le compte de l’État, l’intérêt général ou une calembredaine du même tonneau, que vous avez préalablement enrobé votre extorsion dans un discours copieusement marxiste, la justice ne vous en tiendra plus rigueur.
Main dans la main, les militants gauchistes et la justice du pays sauront toujours trouver un terrain d’entente, comme il en fut trouvé, assez régulièrement, pour les syndicalistes qui brûlent, saccagent ou détruisent en fonction de leurs petits caprices du moment.
Non décidément, la justice française va bien, terriblement bien même.
Et elle vous emmerde, tenez-vous le pour dit.