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Il
n’est même plus question de sortie de crise, mais de tenir bon
dans l’adversité, étant désormais reconnu
qu’une longue phase de quasi-récession et de chômage
élevé attend les pays avancés. Le spectre de
l’éclatement de la zone euro – ou de sa reconfiguration,
dont on ne voit pas comment elle pourrait se faire en douceur – domine
plus que jamais les pensées tout en continuant à être
publiquement exorcisé. L’Espagne et l’Italie, trop gros
pour être sauvés, sont sur le bord du trou.
Irrésistiblement, la Grèce s’approche de la faillite,
menaçant le système bancaire. Le G7 finances de fin de semaine,
à Marseille, va avoir de quoi s’occuper, mais que va-t-il
pouvoir décider ?
Aux
Etats-Unis, les grandes décisions sont reportées aux lendemains
de l’élection présidentielle, en novembre 2012, tandis
que les espoirs se fondent en Europe sur l’alternance
sociale-démocrate qui pourrait survenir durant la même
période, en 2012 en France et 2013 en Allemagne. Comme si de nouvelles
équipes au pouvoir allaient être porteuses de solutions
aujourd’hui inexistantes. Mais, avant toute chose, sera-t-il possible
d’attendre de telles éternités ?
Préparer
l’avenir relève du plus inouï des luxes lorsque
l’apurement du passé est comme aujourd’hui dans
l’impasse. Des grandes phrases tiennent lieu de politique dans le
premier cas, en référence à une mythique croissance qui
se fait beaucoup prier et qu’il faudrait relancer ; des bricolages
de dernière minute interviennent dans le second, qui sont autant de
demi-mesures déjà dépassées alors qu’elles
ne sont pas encore appliquées.
Que
ceux qui se situent à droite de l’échiquier politique
s’enferrent dans une stratégie dont ils ne veulent pas
démordre, bien qu’elle ne donne aucun signe de réussite,
c’est dans l’ordre des choses. Comment pourrait-il leur
être demandé de se renier et d’abattre eux-mêmes les
statues qu’ils ont dressées ? Que les représentants
de la gauche institutionnelle se soient autant compromis alors qu’ils
sont encore au pouvoir – en Grèce et en Espagne – incite
par contre à s’interroger : de quoi seront porteurs ceux
qui peuvent prochainement y accéder, en 2012 et 2013 ?
Attendue
comme le Messie, l’émission d’euro-obligations recueille
le soutien des socialistes allemands et français, qui rejoindraient
leurs homologues espagnols et le gouvernement italien actuel. Dans les
commentaires, la tendance est à dire que l’on y viendra au bout
du compte. Mais que peut-on en attendre réellement, à ce stade
avancé de la crise ? Gagner du temps une fois de plus en faisant
rouler la dette plus aisément ? Et, pour aller à
l’essentiel, poursuivre la même stratégie qui consiste
à donner du temps aux établissements financiers pour
qu’ils recouvrent leur santé, tout en adoucissant
l’austérité et la rigueur budgétaire en
répartissant un peu plus la charge ? Exaltant programme qui ne
tient pas compte des obstacles déjà dressés sur sa
route !
La
naïveté de ce calcul enchanterait s’il ne reposait pas sur
nos têtes. Un premier avertissement sans frais vient d’être
donné par Standard & Poor’s, qui a
averti qu’il noterait « CC » (la note actuelle de
la Grèce) de telles obligations si elles étaient garanties
selon le mode employé pour le Fonds de stabilité
financière (FSFE), c’est à dire proportionnellement au
PIB des pays qui le soutiennent, en application d’un principe bien
connu : c’est l’élément le moins performant
d’un assemblage qui détermine la performance finale de
l’ensemble… Cela ne va pas simplifier leur éventuelle
adoption.
Le
renforcement du fédéralisme européen est de plus en plus
présenté, sous ses différentes variantes, comme une
autre panacée. On se raccroche à ce que l’on peut.
Qu’est-il proposé, pour y voir plus clair ? A tout seigneur
tout honneur, Mario Draghi, le futur
président de la BCE qui accompagne désormais presque partout
Jean-Claude Trichet, réclame une « large »
révision du traité de Lisbonne, faisant l’analyse que si
les marchés avaient « amplifié » la
construction inachevée de l’Europe, « ils n’en
étaient pas à la racine ». Ceux-ci exonérés,
il est sans surprise question d’adopter « une meilleure
discipline fiscale ». Un discours qui n’est pas très
différent de celui de Wolfgang Schaüble,
le ministre allemand des finances, mais qui tranche avec celui de
l’ex-chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, qui
réclame de surcroît l’émission
d’euro-obligations. Le débat continue de se développer en
Allemagne, à propos de la mutualisation de la dette comme de la gouvernance
économique, mais sans effet dans l’immédiat.
Jacques
Delors, accompagné au sein d’un « Conseil pour le
futur de l’Europe » par Felipe Gonzales, Tony Blair, Nouriel Roubini et Joseph
Stiglitz – un drôle d’attelage auquel s’est joint le
milliardaire Nicolas Bergruen – a
rajouté un volet à cette politique : la recapitalisation
des banques, insistant sur une plus grande intégration
européenne.
Dans
la grande tradition européenne, l’accent est donc en
priorité mis, en guise de fédéralisme, sur
l’adoption d’un nouveau traité ou la création de
nouvelles structures, accompagné ou non de mesures restant à la
surface des choses. Pourquoi pas un renforcement de l’Europe, mais sur
quels terrains et pour quoi faire ? Il y a dans ce domaine, aussi,
beaucoup d’incantations ! D’où va provenir la croissance
qui permettrait d’accroître les ressources fiscales et comment
va-t-elle être financée ? Comment les banques vont-elles se
recapitaliser, si ce n’est avec des fonds publics, et avec quelles
contreparties ? Aucune coquille vide n’apportera en soi une
réponse à ces deux premières questions dérangeantes.
Quant à la régulation financière, elle ne figure
même plus au menu. C’est un peu court !
La
crise a été trop loin et, en s’attaquant aux plus faibles
maillons de la chaîne obligataire, elle a déstabilisé
tout l’édifice financier ; c’est à celui-ci
qu’il faut s’attaquer.
La
ruée actuelle vers les obligations américaines et allemandes ne
doit pas faire illusion : leur bonne forme éclatante n’est due
qu’à l’effondrement du marché des actions, en
général, et du montant des obligations des pays de la zone des
tempêtes. Les investisseurs se réfugient là où le
risque est relativement moins élevé et se serrent au chaud.
Longtemps niées, les grandes faiblesses du système bancaire
commencent à être reconnues du bout des lèvres…
mais quand il s’agit de celles des autres. Josef Ackerman,
Pdg de la Deutsche Bank et patron de
l’Institute of International Finance, vient d’expliquer lors
d’un congrès des banques à Francfort qu’« une
recapitalisation forcée donnerait le signal que les responsables
politiques ne croient pas au succès des mesures »
qu’ils ont engagées pour soutenir les Etats européens
fragiles, ajoutant que cette perspective est
« contre-productive », faisant fuir les investisseurs
en raison de la dilution du capital qu’elles impliquent.
Une
explication est à ce propos nécessaire : la très
conséquente dévalorisation des actions des banques qui vient
d’intervenir et se poursuit accentue en effet l’effet de
dilution, car un même apport financier donne droit à un nombre
d’actions accru, au détriment des actionnaires actuels
s’ils ne peuvent en être à l’origine. Les nouveaux
peuvent craindre que le même sort les attende. Il ne faut pas chercher
plus loin les raisons du front du refus.
La
situation se tend pour les banques, à la fois dans l’obligation
de refinancer leurs opérations de crédit en cours, de
développer leurs fonds propres dans le cadre de la
réglementation Bâle III ainsi que d’accroître leurs
liquidités pour faire face au blocage du marché bancaire ou
à des retraits massifs de dépôts. Additionnés, les
montants finissent par être vertigineux. Déjà, elles
doivent faire face à un surenchérissement de leur dette et
privilégier l’émission d’obligations
sécurisées, mieux garanties, leurs rendements se
réduisent en conséquence. Et ce n’est pas fini. Ce
qu’elles craignaient le plus, après la régulation, est
intervenu.
Elles
combattent actuellement pour obtenir un assouplissement des règles de
liquidité, non pas tant en pourcentage qu’en
élargissement des actifs éligibles (favorisant les obligations
convertibles que le Comité de Bâle a exclues).
D’après JP Morgan Cazenove, un
important courtier, les trois grandes banques françaises seraient
particulièrement mal placées et devraient se financer à
hauteur de 173 milliards d’euros à échéance de
2015.
Le
dossier des banques, pointe émergée du système
financier, est ré-ouvert et ne va pas pouvoir être à
nouveau fermé. Un très rigoureux ménage y est
inévitable. Les socialistes européens sont donc loin du compte
avec leur vision étriquée et somme toute conformiste de la
crise et de sa solution. Ils prennent le grand risque, leurs marges de manoeuvre étant très étroites, de
poursuivre sur la lancée de leur homologues espagnols et grecs qui
s’apprêtent à rendre leur tablier, chose
déjà faite par les portugais.
Les
mobilisations sociales s’affirment progressivement entretemps, tandis
que les sondages témoignent aux Etats-Unis d’une défiance
incluant les démocrates et les républicains.
Prochain
billet : « les premières briques de la prochaine
maison ».
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