En fin de semaine dernière, un forcené
d’à peine vingt ans abattit sa mère d’une
décharge de fusil avant d’entrer par effraction dans
l’école élémentaire Sandy Hook de Newport,
Connecticut, et d’y assassiner 2o enfants et six adultes au moyen
d’un semi-automatique—une arme militaire chargée de balles
explosives.
D’après les autorités, le meurtrier
portait encore deux pistolets, un fusil à pompe, et de nombreuses
munitions lorsque, à l’approche de la police, il retourna son
arme contre lui-même, mettant fin au carnage d’une seconde salle
de classe dans lequel il venait de se lancer.
Pour insupportable qu’il soit en lui-même,
ce massacre, le second le plus meurtrier de l’histoire des
États-Unis, n’est en outre que le dernier d’une longue
série.
Début Août 2012, un suprémaciste fit
irruption dans un temple sikh du Wisconsin où il mit à mort six
personnes, et en blessa quatre autres.
Fin Juillet 2012, un jeune homme de 25 ans prit
d’assaut un cinéma, jetant des grenades lacrymogènes et
ouvrant le feu avec de multiples armes. Douze personnes perdirent la vie, et
58 furent blessées.
La liste continue, avec la terrible
régularité d’une suite de données statistiques :
Avril 2012, Oikos University, Oakland, Californie :
7 morts.
Mars 2012, Episcopal High School, Jacksonville,
Florida : un mort.
Février 2012, Chardon High School, Chardon,
Ohio : 3 morts, 6 blessés.
Tout cela en une année.
Devant de tels drames, et plus encore devant leur
multiplication, nombreux sont ceux qui refusent de parler
d’ « événements tragiques. »
Il ne s’agirait pas simplement
d’ « événements » (ce qui
sous-entend un phénomène d’autant plus marquant
qu’il est isolé), mais bel et bien d’effets
réguliers de causes claires et déterminées.
Il ne s’agirait pas de
« tragédies » (ce qui sous-entend une
malédiction, fatalité aussi malheureuse
qu’inévitable), mais bel et bien de conséquences de
choix, ou plutôt d’absences de décisions politiques.
Le problème, en effet, serait évidemment
le « droit de détenir et de porter des armes »
inscrit juste après la liberté d’expression dans la
Constitution.
La solution, dès lors, serait un plus grand
contrôle en la matière, voire, si cela était possible,
une interdiction.
De fait, la pression est actuellement très forte
sur le Président Obama et les officiels démocrates pour agir
« vite » et profiter de la commossion
générale pour réglementer plus strictement le
marché des armes.
Ainsi, la sénatrice Dianne Feinstein, qu’un
jeu de chaises musicales pourrait porter à la tête de la
Commission judiciaire de la chambre, a-t-elle déjà
laissé entendre son désir de commencer par faire renouveler une
interdiction, expirée en 2004, portant sur les armes d’assaut.
Un peu partout, l’action publique se
prépare au niveau des États Au constat que la
législation rélativement stricte du Connecticut n’a pas
empêché le drame de Sandy Hook, le Gouverneur Dannell Malloy a
répondu que c’était là la preuve que plus de
fermeté encore était requise.
Une difficulté qu’il y a à traiter
ce sujet est que des faits aussi abominables que ceux qui viennent de se
produire brouillent la raison. Ils ne rendent pas seulement l’opinion
plus sensible aux appels au contrôle des armes, ils la rendent
également sourde aux critiques que l’on pourrait leur adresser.
D’un côté, le lien entre une tuerie
et le droit de détenir et de porter des armes est aisément
ressenti, et semble pour cette raison évident. Les partisans du
contrôle n’ont donc qu’à sauter sur l’occasion
et, en se joignant à l’émotion générale,
faire avancer leur agenda.
D’un autre côté, la critique à
l’égard de ce lien de causalité entre détentention
d’armes et tueries demande, elle, réflexion. Pour cette raison, ceux
qui s’y risquent passent bien souvent pour d’insensibles
idéologues, à l’écart du bon sens et du reste de
la population.
En fin de compte, la relation généralement
établie entre un massacre tel que celui qui vient d’avoir lieu
et la relative liberté d’accès aux armes se réduit
à l’idée selon laquelle ce genre de tueries ne pourraient
avoir lieu si leurs auteurs ne pouvaient disposer d’armes à feu.
Pour évidente qu’elle semble, cette
réflexion n’en est pas moins très limitée.
Elle suppose qu’une légalisation plus dure
désarmera les auteurs potentiels de tels actes. Or cela est-il si
simple ?
D’une manière générale, les
lois ne contraignent que ceux qui les respectent,
c’est-à-dire les « bons et loyaux
citoyens. » Les criminels se fichent éperdument que l’accès
aux armes soit légal ou non.
D’ailleurs, aucun pays que ce soit
n’interdit purement et simplement l’accès aux armes
à ses citoyens. Tous délivrent des permis et des licences aux
tireurs sportifs, aux chasseurs, etc. Certes, cela limite grandement le
nombre d’armes qui circulent. Mais, pour ce qui est de ne pas les
laisser tomber en de mauvaises mains, cela s’avère
malheureusement souvent suffisant.
En mars 2012, un forcené a abattu un rabbin, et
trois enfants, dans une école juive… en France, où le
« droit d’être armé » passe pour une
contradiction dans les termes.
En juillet 2011, un homme déguisé en
policier a ouvert le feu sur un camp de jeunes activistes, tuant ainsi 68
personnes… sur l’île d’Utoya, en Norvège,
où les armes circulent aussi peu librement qu’ailleurs.
En mars 2009, 25 personnes furent abattues au
lycée technique Albertville par un adolescent de 17 ans… en
Allemagne, où les armes ne sont pourtant pas en libre accès.
En septembre 2008, un jeune homme de 20 ans assassina 9
camarades étudiants à Kauhajok, à 300km au nord de
Helsinki… en Finlande, censément le symbole d’une
société « développée » et
bien ordonnée.
En novembre 2007, c’est au sud du pays, cette
fois, qu’une tuerie a eu lieu, un adolescent de 18 ans abattant 8
personnes dans son lycée de Jokela.
En septembre 2006, un jeune homme de 25 ans a pour sa
part ouvert le feu avec une arme semi-automatique, abattant une
étudiante et blessant plus d’une douzaine de membres du Dawson
College… de Montréal, au Canada, patrie au sein de laquelle les
opposants américains au droit de détenir et de porter des armes
jurent régulièrement vouloir aller trouver refuge.
Il est indéniable que les tueries sont plus
nombreuses aux États-Unis qu’ailleurs. Pour une part,
c’est le fait d’une illusion statistique car les USA ont plus de
3oo millions de personnes. Il est donc difficile de comparer ce pays à
l’Allemagne, au Canada, à la Finlande, à la
France, et à la Norvège, même pris ensemble.
Ensuite, d’autres facteurs entrent certainement en
compte : historiques, culturels, sociologiques…
Mais, qu’en est-il des différences de
législation ? Les ÉtatsUnis rendent l’accès aux armes
plus facile à leurs populations. Est-ce là un facteur déterminant ?
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