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Des
manifestations monstres se sont déroulées aujourd’hui
dans soixante villes espagnoles, comme une répétition de la
grève générale organisée par les deux grandes
centrales UGT et CCOO (les Commissions Ouvrières) le 29 mars prochain.
Plusieurs centaines de milliers de personne sont descendues dans les rues de
Madrid, Barcelone, Valence et Séville pour manifester leur rejet de la
politique du gouvernement Rajoy. L’Espagne
est en train de prendre la succession de la Grèce.
Peut-on
dans ces conditions penser que l’accalmie intervenue sur le
marché obligataire, grâce à la BCE, et la restructuration
réussie de la dette grecque, sous les auspices des mégabanques,
vaut solde de tout compte de la crise européenne ? Les avis ont
été plutôt nuancés, lorsque l’on se
réfère aux déclarations des dirigeants européens.
Si Nicolas Sarkozy, fidèle à ses habitudes, a jugé que
« la page financière [de la crise] est en train de se tourner
», Herman Van Rompuy s’est
contenté d’un « nous allons vers une mer plus calme
» et Wolfgang Schäuble de « nous
ne sommes pas sortis d’affaire, mais nous avons fait un grand pas en
avant » et d’un « personne ne peut prédire
l’avenir »… La prudence est devenue de mise.
Comme
à la suite de la restructuration précédente de la dette
grecque, Charles Dallara a tenté, au nom de
l’Institute of International Finance, de prévenir les tentations
en expliquant que l’on ne l’y reprendrait pas. C’est de
bonne guerre mais ce n’est qu’un voeu
pieux. Il va en effet falloir prolonger les plans de sauvetage irlandais et
portugais, si l’on veut éviter de se retrouver contraint
à de nouvelles restructurations, et pour cela mettre en service le
grand pare-feu financier européen (le MES). En faisant mentir
Christine Lagarde, directrice générale du FMI, qui pour trouver
des fonds utilise l’argument qu’il sera d’autant moins
utilisé qu’il sera volumineux et impressionnant.
Les
discussions ont donc changé de terrain, avec comme objectif de trouver
d’ici fin mars un compromis européen permettant de renforcer les
moyens du pare-feu, au-delà des 500 milliards d’euros
initialement prévus pour le futur MES, à propos duquel le
Bundestag ne se prononcera qu’en juin prochain. Mi-avril, les ministres
des finances du G20 devront entretemps décider de l’augmentation
des ressources du FMI, afin qu’il puisse venir conforter les
Européens.
Sur
cette question, on tente de contourner l’épineux sujet de la
nouvelle répartition des quotes-parts et des droits de vote au sein du
FMI, en recherchant des accords de prêt bilatéraux. On a
toutefois appris que les discussions sur cette répartition se
poursuivaient, et qu’elles pourraient aboutir à un nouveau mode
de calcul de celle-ci qui donnerait plus de poids aux pays
émergents. Le modeste objectif poursuivi est de parvenir à
un accord de principe en janvier 2013… ce qui ne signifiera pas
qu’il sera pour autant appliqué. Les
Brésiliens, dont le pays a été consacré
sixième puissance économique mondiale, mènent la danse
au nom des BRICS, tandis que les Occidentaux traînent des pieds.
Dans
l’immédiat, la participation des émergents au plan
de renforcement des moyens financiers du FMI risque d’être
effectuée a minima, à titre d’encouragement pour faire
avancer ces laborieuses discussions. Les Américains n’y
contribueront pas financièrement, le Japon envisageant de prêter
50 milliards de dollars et les Européens 197 milliards (qu’il va
falloir réunir).
Le
gouvernement espagnol n’a pas attendu la conclusion de tous ces
pourparlers pour mettre les points sur les « i », car il a
été forcé de reconnaître impossibles à
atteindre les objectifs de réduction de la dette publique qui lui ont
été assignés. Il va falloir pénétrer dans
les méandres de la comptabilité nationale espagnole pour voir
ce que cache son déficit et comment il peut évoluer, ce que les
autorités de Bruxelles ont finalement décidé de faire en
envoyant à Madrid leurs meilleurs experts. Le moins qu’ils
pouvaient faire pour ne pas prononcer immédiatement de sanctions, en
attendant la suite.
Les
calculettes vont chauffer, afin de déterminer sur quelle pente
ascendante le déficit public se trouve, avant de mesurer comment il va
pouvoir en redescendre. La dette était chiffrée à 66% du
PIB en septembre dernier, soit 706 milliards d’euros, ce qui restait
plus que raisonnable dans le contexte général, mais on craint
qu’elle ne dépasse très vite la barre des 90%.
Afin
d’aider les régions et les municipalités à honorer
leurs factures, et éviter des faillites en cascades des PME, le
gouvernement va les éponger grâce à un prêt
syndiqué (sous la responsabilité des banques) de 35 milliards
d’euros sur dix ans et à 5%. Ce qui va permettre de tirer un
trait sur le passé mais ne règlera rien pour l’avenir,
les collectivités étant désormais elles aussi soumises
à la rigueur ambiante, ce qui affecte le financement de
l’éducation, des aides sociales et de la santé. Puis il
s’apprête à lutter contre la fraude fiscale, en
espérant ainsi récupérer 8 milliards d’euros. Le
dossier des privatisations, qui a montré le peu qui pouvait en
être effectivement attendu, est par contre au point mort.
Si
l’on fait le bilan de ce qui a été déjà
effectué depuis 2008, des coupes budgétaires de près de
9 milliards d’euros sont enregistrées et des hausses
d’impôt de plus de 6 milliards. Aboutissant à bien peu de
résultats pour beaucoup de conséquences économiques et
sociales désastreuses. Réduire le déficit pour revenir
à une dette de 60% du PIB, quand on estime qu’elle a déjà
dépassé 80% si l’on prend tout en compte,
représente un mur qui ne pourra pas être franchi quand le
chômage a déjà atteint les plafonds que l’on
connait.
D’après
les estimations de Mc Kinsey, le montant de la
dette publique et privée additionnées serait de 363% du PIB. Ce
qui par une simple soustraction permet de chiffrer la dette privée
à pas loin de 300% de celui-ci, en raison notamment de la bulle
immobilière. Or celle-ci n’a que commencé à se
dégonfler, et son éclatement brutal est contenu au prix
d’accommodements comptables.
Certes,
la dette publique s’est développée à un rythme
soutenu (elle augmentera de 60 milliard d’euros en 2012),
résultat de la folie des années de prospérité
à crédit et des dépenses somptuaires enregistrées
à tous les niveaux, central, régional et municipal. Mais de
nouveaux facteurs y contribuent désormais : aides au secteur bancaire,
moindres recettes fiscales résultant de la récession et dettes
des entreprises et des fonds de pension publics. Tous
comptes faits, un gros nuage sombre s’annonce. Un nouveau
sauvetage du système bancaire qui pourra difficilement être
éludé, la crise immobilière ne donnant aucun signe
d’être terminée, risque encore de les alourdir.
300.000
expulsions ont eu lieu depuis 2008, le gouvernement tentant de freiner le
mouvement. Au prétexte de venir en aide aux familles surendettées
et au chômage, mais avec l’intention d’éviter que se
retrouvent sur le marché un nombre de plus en plus important de
logements ne trouvant pas acquéreur en dépit de la baisse des
prix, ce qui l’accentue, obligeant les banques à
déprécier les stocks en leur possession et faire
apparaître des besoins de recapitalisation cachés, ou bien
conduisant inéluctablement le gouvernement à un sauvetage
financier à forte incidence sur le déficit public.
Pour
l’Espagne, comme d’ailleurs pour l’Italie, le seul choix
possible réside dans le moment où il va falloir leur tendre un
bras secourable. Les dirigeants européens ayant montré des
capacités limitées à agir à froid et à
anticiper, ils seront dans l’obligation de le faire à chaud,
dans de mauvaises conditions, s’ils suivent le même pli. A quoi
cela va-t-il revenir ? A poursuivre la mutualisation de la dette publique
européenne, qui a été engagée dans des conditions
scabreuses et à contre-coeur, et à
finir par l’assortir d’une réduction de peine sous forme
de nouvelles restructurations de la dette.
L’étape
suivante pourra être de s’interroger sur les moyens et la nature
de la relance économique européenne, car il ne suffit pas de
parler de croissance sur le mode de l’incantation. L’image
d’une prospérité retrouvée s’appuyant
sur une Europe redevenue compétitive et toute entière
tournée vers les exportations, car la stratégie libérale
revient à cela, est une franche absurdité.
Billet rédigé par
François Leclerc
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