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Ainsi donc, le gouvernement chercherait à
rédiger un texte de loi visant à empêcher le versement de
"trop grandes rémunérations" à ses cadres
dirigeants, et, selon les "échos", penserait à taxer
les entreprises qui versent de gros salaires ou de gros
éléments de rémunération variable.
Bigre.
Qu'est-ce qu'un salaire "trop élevé" ?
Je dois dire qu'à chaque fois que l'on croit qu'un sommet
d'imbécillité économique a été atteint par
nos politiciens, il ne s'écoule à peine qu'un mois pour qu'un
nouveau mur du çon, comme dirait le
"Canard Enchainé", ne soit franchi avec la plus apparente
décontraction par les premiers de la classe qui nous gouvernent.
Selon notre gouvernement, donc, les entreprises verseraient à leurs
meilleurs cadres, et notamment à leurs dirigeants, des salaires et
rémunérations annexes "trop élevés". Il
serait bien entendu difficile de donner une définition
légalement acceptable d'un salaire trop élevé, sachant
que la définition exacte en serait sans doute "un salaire
trop élevé est celui qui rend jaloux le politicien, le
nostalgique du programme commun, le syndicaliste déçu par la
chute du marxisme et l'envieux compulsif, et plus généralement
tout électeur potentiel".
La "valeur rémunérable" du
travail effectuée par une personne dans une entreprise dépend
de la valeur ajoutée (ou retranchée) qu’un travail bien
fait ou mal fait peut avoir, et de la rareté ou de l’abondance
de certains savoir-faire sur le marché. Je sais, je sais, c'est aride.
Beaucoup préfèreraient que le travail soit
rémunéré en fonction de sa pénibilité, de
sa durée, en fonction inverse de l'origine sociale du salarié,
ou que sais-je encore. Mais ce qui fait la valeur d'une chose, quelle qu'elle
soit, c'est le prix que certains sont prêts à payer pour
l'avoir, et aucun décret gouvernemental n'y peut rien.
Or, n’en déplaise à certains, diriger une entreprise de
plusieurs milliers de salariés est très difficile, ceux qui peuvent
faire ce métier efficacement sont assez rares, et leurs
décisions peuvent rapporter ou coûter des dizaines de millions,
ou de milliards, à leurs entreprises. Un mauvais patron, même
peu payé, coûte beaucoup plus cher à une entreprise
qu’un bon patron très bien payé, et les
salariés souffriront beaucoup plus des décisions prises par un
mauvais patron que par un bon.
Le cas du "mauvais" patron
Vous me direz : "oui, mais il y a des mauvais patrons bien
payés ? Est-ce normal ?"
A priori, aucune entreprise privée ne nomme un cadre a priori
"mauvais" comme patron. Mais, comme je l'ai dit, diriger une boite
de plusieurs dizaines de milliers de salariés est très
difficile. Et même un "bon" dans un contexte donné
peut échouer dans un autre.
Prenez le cas de Carlos Ghosn, plus gros salaire du
CAC 40 si j'en crois la presse. Personne ne peut nier que le redressement de
Nissan a été conduit de main de maître, alors que
personne ne croyait dans la capacité de Renault de redresser la barre
au milieu des années 90, quand l'ex Datsun était au fond du
trou.
Et pourtant, le même Ghosn, au grand dam de
l'inconditionnel du Scenic que je suis, est
peut-être en train de se planter à la tête de Renault, si
l'on en croit le dernier numéro du magazine "capital".
Autrement dit, tout comme un star du football peut
ne pas s'adapter à un changement d'équipe, même une personne
qui a magistralement prouvé sa valeur dans une situation très
difficile peut échouer dans un autre contexte. Ceux qui croient qu'il
suffirait de promouvoir un cadre moyen acceptant le dixième du salaire
de Ghosn pour être sûr d'obtenir un
résultat au moins aussi bon, pardonnez-moi, se mettent le doigt dans
l'oeil.
Car l'histoire du management montre de façon assez éclatante
qu'il est beaucoup plus facile de prendre une mauvaise décision qu'une
bonne, et que même lorsqu'une bonne décision est prise, une
mauvaise mise en oeuvre peut la rendre tout aussi
médiocre. Cette conclusion est celle de nombreux analystes, et je ne
saurais trop vous renvoyer à la lecture du Best
Seller de Paul Ormerod, "Why most things
fail" pour l'approfondir.
"Decisions are made at
the margin"
Pour comprendre pourquoi la probabilité d'échec est plus
élevée que celle du succès, il suffit d'examiner le
petit diagramme ci dessous
En admettant que le dirigeant ait 50% de chances de prendre de bonnes
décisions et 50% de chances de bien savoir la mettre en oeuvre, il a seulement 25% de chances de produire de la
valeur pour son entreprise.
Ajoutez à cela que généralement, les pertes liées
aux mauvaises décisions sont plus importantes que les gains
attachés aux bonnes, et vous comprendrez pourquoi les grandes
entreprises sont prêtes à payer très cher pour embaucher
les rares personnes dont le parcours professionnel a montré qu'elles
avaient une prédisposition très supérieure à la
moyenne à la prise de bonnes décisions bien mises en oeuvre.
Le mécanisme de sélection qui s'opère est exactement le
même que celui à l'oeuvre pour les
stars du football, que j'avais développé il y a quelques
années : Si Barcelone est prêt à payer 10 fois plus
Lionel Messi qu'un joueur qui marquerait simplement
moitié moins de buts en une année de championnat, c'est parce
que ce sont les buts "de plus" qui ont, de loin, le plus de valeur
pour le club. Ce raisonnement est dit "marginaliste", par
opposition aux raisonnements "à la moyenne", et est à
la base du calcul des rémunérations dans toute forme de
"star system". Et les grands dirigeants, lorsqu'ils font gagner des
milliards à leurs actionnaires, sont indubitablement des stars.
Ce qui peut coûter cher... coûte cher !
Mais même le FC Barcelone n'est pas à l'abri d'une erreur de
recrutement. Par exemple, Thierry Henry, star incontestable du football
britannique, n'a pas vraiment réussi en Catalogne. Il en va de
même pour un patron. La qualité présumée est
chère, et en plus, la réussite n'est pas garantie. Changez de
contexte, et un candidat présumé bon peut se rater. Le monde
est vraiment mal fait.
Un exemple rare de réussite variable en fonction du contexte dans la
même entreprise a été fourni par Apple : son fondateur,
Steve Jobs, a d'abord été certes un créateur assez
génial (dans sa période Lisa-McIntosh 1) mais aussi un manager
relativement médiocre, ce qui lui valut d'être viré sans
ménagement par les actionnaires d'Apple en 1986. Ce battant n'est pas
resté sur cet échec et a fondé ou racheté deux
autres entreprises, Next et Pixar
(rachetée à George Lucas), qui ne furent pas des aventures
faciles. Le personnage y a gagné en maturité, en exéprience, tout en conservant sa capacité
à "renifler" les grandes ruptures du marché. Ce qui
lui a permis de redevenir CEO de son "premier bébé",
Apple, au fond du ruisseau en 1998, et de multiplier sa valeur par 100 en 13
ans, respect, et de rentrer en force au capital de Walt Disney grace aux succès de Pixar.
Entre les deux périodes Jobs, Apple a connu plusieurs CEO qui ont connu
des fortunes diverses (Sculley, Spindler,
Amelio), qui avaient tous des CV tout à fait honorables, avaient
déjà été en position de numéro 1, mais
n'ont pas vraiment fait d'étincelles à la tête de la
firme à la pomme.
De même IBM, au début des années 90, était en
grand danger de faillite, et a eu la chance de faire signer Lou Gerstner,
considéré alors comme un bon patron (il avait dirigé
American Express) mais pas comme une star, et qui ne connaissait rien
à l'informatique. C'est lui qui a entrepris de transformer IBM en
entreprises de services et non en vendeur de matériels, et qui a su
trouver les compétences, le management et l'énergie pour mener
à bien une telle transformation.
Sans doute d'autres approches que celles de Gerstner auraient-elles pu
marcher. Sans doute d'autres que Gerstner auraient pu faire aussi bien. Mais
combien ? Peut être une cinquantaine
d'individus tout au plus, pour plusieurs centaines d'entreprises en recherche
d'un oiseau rare. Dans ces conditions, pas le choix : il faut payer cher pour
avoir celui que l'on pense être le meilleur pour le poste, quitte
à se tromper. Parfois on embauche un Gerstner, mais parfois on tombe
sur un JM Messier, Serge Tchuruk, ou George Shaheen...
Liste de destructeurs de valeur non exhaustive.
A un degré moindre, la même logique est à l'oeuvre pour attirer, selon les secteurs, des cadres de
top niveau : une star du développement technologique, une star du
design, un directeur financier de pointe, un chercheur top niveau, etc...
La règle peut se résumer ainsi : "Quelqu'un dont les
erreurs peuvent coûter (très) cher à l'entreprise doit
être payé (très) cher".
Ceci dit, les contrats de travail de ces cadres et dirigeants
prévoient généralement, outre un fixe confortable, une
part variable fonction des résultats. Cela limite le risque de sur-payer quelqu'un qui échoue. Mais cela ne le
supprime pas totalement.
Parmi les exceptions célèbres, Steve Jobs, encore lui, a
accepté plusieurs années, lors de son retour à la
tête d'Apple en 1998, un salaire fixe de 1$ et un paiement uniquement
en stock options, libérables seulement
au-dessus d'une certaine performance. En contrepartie, ce (gros) paquet de
stocks options, compte tenu de la performance du titre Apple, lui a permis de
redevenir un des tous premiers, sinon le premier actionnaire d'Apple,
quelques années plus tard. Mais tout le monde n'est pas Steve Jobs. Et
sa succession -on le dit malade- sera très difficile :gageons qu'aucun
prétendant n'acceptera de diriger Apple pour 1$ de fixe...
Résumons-nous : un patron est bien payé parce que les candidats
qui rassurent les actionnaires avant d'occuper le poste sont rares, et un
mauvais patron de grande entreprise est bien payé parce qu'il
n'était pas possible de prévoir avant la signature de son contrat
qu'il serait mauvais, sans quoi le contrat n'aurait pas été
signé.
Le "faux" problème des parachutes dorés
S'il est une pratique qui choque le public, c'est l'octroi d'un parachute
doré, y compris à un dirigeant qui a fait perdre de l'argent
à l'entreprise.
Au risque de susciter une fois de plus incompréhension, flammes et
anathèmes, j'estime que c'est un faux problème sur le principe,
même si parfois, les conditions de signature des contrats instaurant
ces parachutes nécessiteraient quelques éclaircissements, j'y
reviendrai plus loin.
Le poste de patron est très rémunérateur mais
également très éjectable. D'autre part, en tant que
mandataire social, le patron ne jouit d'aucune protection autre que celle
prévue à son contrat en cas de limogeage. Le parachute est donc
le fruit d'une négociation avant embauche, et la fixation de son
montant et de ses modalités d'attribution se fait avant que l'on
puisse savoir si le futur patron sera un bon ou un mauvais. Le parachute est
parfois une concession que le conseil d'administration doit faire pour
s'assurer de la signature d'un candidat jugé adapté à
l'entreprise.
Ajoutons que lorsque un patron déçoit
les attentes placées en lui, il peut être
préférable de le virer vite plutôt que de le voir
s'accrocher à son fauteuil. Si le parachute doré aide à
permettre cette transition rapidement, so be it.
Loi des conséquences inattendues
Imaginons maintenant que l'état
français trouve un moyen constitutionnel de pénaliser les
entreprises qui paient "trop bien" leurs patrons et leurs cadres C-Level. Que se passera-t-il ?
Les grandes entreprises ne peuvent pas se permettre de recruter des
dirigeants simplement présumés moyens parce que l'état
refuse qu'elles paient pour des bons aux prix qu'ils demandent. Les entreprises
en question qui le pourront détourneront la loi en faisant
rémunérer leurs patrons par leurs filiales
étrangères, ce qu'elles font déjà, mais
l'évasion salariale (et donc... fiscale) prendra de l'ampleur. Si la
coercition devient trop dure, les projets d'implantations de centres de
décisions éviteront soigneusement la France, et des entreprises
pourraient froidement décider de bouger leur siège social.
Certes, on voit mal Renault (encore. C'est une obsession...) déménager
au Luxembourg demain. Mais par contre, nombre de compagnies internationales
qui ont leur siège "EMEA" en France pourraient choisir
-beaucoup l'ont déjà fait- une autre implantation, toutes
choses égales par ailleurs. Et les actionnaires de certains grands
noms du Cac 40 ont déjà fait savoir qu'instruction était
donnée à leurs dirigeants de lancer une délocalisation
de leur siège si les lois anti-businesse devenaient trop
insupportables en France...
Or, l'implantation d'un centre de décision génère
nettement plus d'activité et d'emploi dans le pays hôte que dans
les pays voisins. En posant un problème de recrutement tout à
fait crucial à de grandes entreprises, nous nous tirerions une
nouvelle balle dans le pied. Comme si la France avait besoin de cela.
Les abus
Cela dit, il est exact que nous avons vu récemment bien des patrons de
grands établissements financiers se payer très bien et perdre
énormément d’argent, la crise financière et le foreclosure gate en sont les
preuves manifestes. Mais là encore, à bien y regarder,
l’Etat, et l’état américain en particulier, en
permettant à de très grands acteurs de la finance de se surléverager sans considération pour le
risque réellement pris, en institutionnalisant la pratique du
sauvetage des "too big
to fail", et en ne poursuivant pas
réellement des cas de fraudes manifestes, a permis à des
patrons prédateurs tels qu'Angelo Mozilo ou
Dick Fuld de plus facilement arbitrer contre
l'intérêt de leurs actionnaires à long terme entre gros
bonus récompensant leur prise de risque, et négligence vis à
vis des risques de pertes. Sans parler de fraudes comptables
évidentes.
Le remède n’est pas dans plus d’interventions de
l’Etat mais au contraire dans des interventions plus ciblées sur
le niveau « régalien », c’est-à-dire sur la
transparence des opérations financières, et une meilleure prise
en compte judiciaire des petits actionnaires, en rendant illégales
certaines manœuvres qui permettent à des pools de gros dirigeants
non actionnaires de leurs boîtes de se liguer contre eux. Par contre,
à ceux-ci de faire leur boulot ensuite. Si ils ne font pas
l’effort de peser aux assemblées générales, de
suivre leur management, de débarquer les médiocres à
temps, qu’ils ne viennent pas se plaindre après !
A ce titre, des fonds d’investissement détenus par des actionnaires
professionnels comme Albert Frère jouent un rôle tout à
fait bénéfique dans le management des entreprises. Il a sans
doute manqué de tels actionnaires sérieux de
référence dans les conseils d’administration des grandes
banques de Wall street et d’ailleurs. Mais
depuis la fin du XIXème siècle, une loi interdit aux grandes
banques US d'accepter qu'un grand actionnaire dépasse quelques pour
cents (je n'ai pas retrouvé le chiffre exact) de son capital...
La question des parachutes dorés jugés abusifs devrait se
traiter de la même façon par les actionnaires. Souvent, le
parachute est négocié à la signature du contrat de
travail, et demander à l'AG des actionnaires de valider a posteriori
les dispositions négociées peut être délicat,
puisque la signature du contrat n'a pas de raison de coïncider avec la
date de l'AG... Le moyen évident est de demander à l'AG des
actionnaires de se prononcer PAR AVANCE sur le montant maximal acceptable du
parachute doré du FUTUR patron et sur ses modalités
admissibles. Au moment du contrat, celui-ci devra, en fonction du choix des
actionnaires, négocier uniquement sa "rémunération
positive". Des actionnaires plus "relax" sur le parachute
doré pourront peut-être espérer un patron moins gourmand
en terme de salaire ou de stocks options. En contrepartie, celui-ci pourra
négocier un parachute moins confortable que le maximum prévu
par les actionnaires mais obtenir plus de rémunération variable
positive en cas de succès...
Casser les coteries d'administrateurs, redonner le pouvoir aux petits
actionnaires
Ajoutons qu'en France, certaines mauvaises habitudes du capitalisme de
connivence devraient être combattues, car elles organisent la
spoliation des petits actionnaires par les managers professionnels qui
n'investissent pas dans leurs entreprises et donc ne supportent aucun risque
personnel. Les conseils d'administration sont trop souvent une affaire de
coteries, où les ex-énarques s'entre-octroient des petites
douceurs les uns aux autres... Stocks options "exceptionnelles" sans
rapport avec les résultats, parachutes renégociés en
cours de contrat de travail sans consultation des actionnaires... Ces
pratiques devraient disparaitre du paysage capitaliste français.
Certes, depuis l'établissement de comités de
rémunération indépendants, la situation s'est un peu
améliorée, mais beaucoup pourrait encore être fait. Ainsi
par exemple, sauf dans le cas de fondateurs encore majoritaires, le
rôle de président du conseil d'administration et celui de CEO
devrait toujours être séparé. Les nominations au conseil
d'administration devraient être plus représentatives de
l'actionnariat, et les CEO ne devraient pas pouvoir se bâtir des
conseils sur mesure. Aucune astuce législative ne devrait pouvoir
barrer la route à une OPA visant à renverser un management
défaillant, faussement appelée OPA hostile (pas hostile aux
petits actionnaires, en général !). Et ainsi de suite.
Bref, la rémunération du patron doit être du ressort des
propriétaires de l'entreprise et d'eux seuls. A eux de faire leur travail
de recherche et d'évaluation, et à l'état de faire en
sorte que des corporations de managers professionnels ne puissent pas
détourner la lettre des lois pour limiter le pouvoir des actionnaires
sur le patron en limitant les contre-pouvoirs au sein du conseil
d'administration et de l'assemblée générale des
actionnaires.
Mais que l'état ne se mêle pas, au nom d'une fausse morale
démagogique, de fixer ce que les uns ou les autres doivent gagner. Il
n'est ni légitime, ni compétent pour cela.
Vincent
Bénard
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