Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,
Voici une question qui, dans vos courriers, revient plusieurs fois par jour et à laquelle je prends enfin le temps de répondre, ou plus précisément de vous apporter quelques éléments qui, je l’espère, viendront nourrir votre réflexion.
Cela va sembler très bête à certains parce qu’en fait, tout le monde pense exactement savoir ce qu’emprunter veut dire. Pourtant, il y a une toute petite nuance qui souvent échappe à la majorité, or, comme le dit la sagesse populaire, “le diable se cache dans les détails”.
Emprunter c’est consommer tout de suite ses revenus futurs !
Emprunter c’est “se faire prêter de l’argent”! C’est comme cela que le Larousse définit en tout cas le terme, et de vous à moi, tout le monde le sait bien et je ne vous apprends rien.
Je ne vous apprendrai rien non plus en vous disant qu’emprunter, ce n’est pas se faire prêter de l’argent mais consommer tout de suite une partie plus ou moins importante de vos revenus futurs. Je ne vous l’apprendrai pas car c’est évidemment ce que vous faites lorsque vous rembourserez votre crédit avec vos revenus pendant les 25 prochaines années.
Mais je suppose, en revanche, que vous dire qu’emprunter c’est consommer tout de suite 25 ans de vos revenus va provoquer en vous tout de suite un autre état d’esprit qui viendra évidemment influer votre réflexion et votre décision finale.
Poursuivons ce raisonnement atypique sur l’emprunt que je vous propose.
Comment j’étais et dans quel monde j’évoluais il y a 25 ans ?
Bon, déjà, il y a 25 ans, nous avions tous 25 ans de moins, enfin c’est valable uniquement pour les plus de 25 ans… Il y a 25 ans, nous étions en 1991.
Le mur de Berlin venait juste de tomber, Internet n’existait que dans les romans de science fiction et dans quelques laboratoires américains, nous avions le minitel et la télématique et nous avions juste Windows 3.0 ! En 1991, les GPS n’existaient pas, pas plus que le téléphone portable en dehors de la voiture présidentielle, d’ailleurs François Mitterrand ne terminerait son règne de 14 ans que 4 ans plus tard.
En 1991, j’avais 16 ans, jeune lycéen, et c’était la guerre du Golfe, enfin la première ; depuis, il y a eu la saison 1, 2 et 3, que des mauvais remakes mais c’est un autre sujet.
Ce que je voulais vous aider à formaliser c’est qu’emprunter sur un an c’est une chose, mais emprunter sur 25 ans c’en est une autre ! Regardez comme le monde a changé ces 25 dernières années, et il en sera de même pour les 25 prochaines.
Emprunter c’est donc un immense pari sur le futur, mais pas n’importe lequel : le vôtre !!
Quelle sera votre situation dans les 10 prochaines années ? Vous êtes fonctionnaire, vous vous sentez rassuré ? Je vous dirai que fonctionnaire sans compétence autre que remplir du Cerfa dans une administration d’un pays en faillite, ce n’est pas forcément une voie d’avenir.
Vous êtes banquier dans une agence bancaire en CDI depuis 10 ans et vous ne savez rien faire d’autre que vendre des PEL et des contrats d’assurance vie ? Il y a fort à parier que votre poste sera supprimé dans les 5 ans ainsi que votre agence qui migrera sur Internet sous la forme de banque en ligne.
Et puis dans les 25 prochaines années, aurons-nous besoin de plus d’immobilier ou de moins ? Serons-nous plus nombreux ou moins ? Et puis quelle sera la répartition géographique, quelles sont les grandes tendances ?
Actuellement, par exemple, l’Île-de-France perd des habitants et c’est le cas de Paris depuis plusieurs années. Quel sera l’impact de la disparition de nos seniors sur notre économie et de l’essentiel des baby-boomers dans les 25 ans qui viennent (hélas) ?
Enfin, si emprunter c’est consommer tout de suite vos revenus futurs, quelle est la stabilité de vos revenus dans la durée par les temps qui courent ?
Oui les taux ne sont pas chers mais tout le reste est très cher !!
Oui les taux sont très bas… mais ce que l’on achète en période de taux bas vaut généralement très cher ! Et… inversement. Si les taux sont élevés, ce que vous achetez est généralement très peu cher.
Alors faut-il emprunter ? La réponse me semble évidente : avec les incertitudes économiques actuelles qui pèsent en particulier sur l’emploi et les immenses mutations du marché du travail que des générations entières vont avoir à affronter, je ne me précipiterais pas à la banque !!
Cela ne veut pas dire qu’il faut proscrire toutes formes d’emprunt, je vous dis juste d’être prudent et de considérer qu’un bon crédit, c’est un crédit que l’on est toujours en capacité de rembourser.
Vous pouvez effectivement penser que vous saurez toujours gagner 1 000 euros par mois. Pas 2 ou 3 000, mais 1 000, même en vendant des patates sur les marchés je suis capable de les gagner, donc je vais calibrer mon emprunt non pas sur mon revenu actuel mais sur mon revenu minimum futur possible. À vous de calculer votre RMFP (revenu minimum futur possible). Cela veut dire que faire face à un remboursement de 300 à 400 euros par mois est envisageable, mais calculer son crédit sur des échéances élevées et des revenus importants sur des longues périodes c’est évidemment très casse-gueule… et c’est le cas en particulier des Parisiens !!
Pourquoi ? Parce que la vie coûte tellement chère à Paris, et en particulier l’immobilier, que c’est une course effrénée à l’échalote, où tout le monde doit gagner plus afin de pouvoir vivre un peu mieux ou de maintenir son niveau de vie. Le problème c’est que cela veut dire que l’on prend des risques, pour avoir des jobs de mieux en mieux payés au degrés d’exigence de plus en plus fort, jusqu’au jour où la moindre baisse de régime entraîne un licenciement, puis une descente aux enfers.
“La main qui reçoit est toujours située en dessous de celle qui donne” !
Autre réflexion, celle de votre liberté et de votre indépendance ! Ne rien devoir c’est être libre, devoir c’est avoir des obligations à l’égard d’un tiers et c’est donc une forme d’aliénation plus ou moins importante.
Encore une fois, je ne vous dis pas que le crédit c’est mal et sale ! Si vous me dites “Charles, je veux emprunter 50 000 euros sur 7 ans pour acheter une sandwicherie et gagner ma vie”, je vous dirai de foncer. Si votre étude de marché est bien ficelée, ce sera intelligent même. Si vous me dites “on se met au maxi pour acheter un clapier sur 25 ans, dans un quartier moisi de Paris avec des mauvaises écoles”, je vous demanderai si vous êtes “sûrs”…
Que retenir ?
On n’emprunte pas parce que c’est pas cher ! Ce n’est en aucun cas un argument valable. Certes c’est le “persil sur les carottes” mais rien de plus.
On emprunte parce que l’on veut consommer tout de suite une partie de ses revenus futurs pour l’acquisition d’un bien ou un investissement qu’il serait rentable de faire (j’achète mon appartement car c’est économiquement plus rentable que le loyer ce qui n’est presque plus jamais le cas au moment où j’écris ces lignes) compte tenu des conditions économiques actuelles et des évolutions à venir. Enfin, je peux emprunter si cela ne me fragilise pas car si cela crée une tension financière trop forte, ce ne sera pas bon.
Que les taux soient aussi bas n’est pas une bonne nouvelle, c’est même le symptôme avec les taux négatifs que tout va très mal et que la situation économique peut déraper à tout moment soit vers une déflation majeure, soit vers de l’hyperinflation. Ce à quoi tout le monde me dit “mais s’il y a hyperinflation c’est bien d’emprunter aujourd’hui”.
Oui… sauf que là encore, on oublie une partie de l’équation. Pour qu’il soit utile d’emprunter pendant une période inflationniste, encore faut-il que les salaires soient indexés… Or cela fait bien longtemps qu’ils ne le sont plus (à peu près 25 ans justement, comme quoi les choses changent) et si vos salaires n’augmentent pas mais que tout augmente très fortement, vous serez comme les Grecs : des salaires de plus en plus faibles, des produits de plus en plus chers, et des dettes constantes… Mais au bout de quelques années, vos dépenses courantes auront tellement augmenté que vous ne pourrez plus rembourser votre crédit même si celui-ci était à taux fixe !
Bref, n’oubliez jamais que les taux bas sont le symptôme d’immenses problèmes économiques, et quand il n’y a pas de visibilité, on ne se lance pas dans des projets à 25 ans.
Alors faut-il emprunter ? À vous de voir, mais restez prudent, et ne prenez pas des vessies pour des lanternes !
En attendant, mes chers amis, préparez-vous, il est déjà trop tard !
Charles SANNAT
“Insolentiae” signifie “impertinence” en latin
Pour m’écrire charles@insolentiae.com
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« À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes » (JFK)
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